ECLIPSE

        Dès les abords du carrefour du Fort d’Aubervilliers, les vibrations de l’événement qui se déroule chaque soir de représentation sont perceptibles dans cette fébrilité frémissante de « ceux » qui s’y rendent toute réservation faite longtemps à l’avance!

       Un premier chapiteau en rond, tout de bois vêtu, accueille les pèlerins de cette grande messe équestre autour de buffets campagnards et autres buvettes conviviales. Ils sont tous là, le public des festivals, ceux qui savent que ce spectacle est unique en son genre et que celui à venir, est toujours le plus important aux yeux de ceux qui vont le vivre, tant dans les gradins qu’au centre de la piste.

       L’heure approche où les spectateurs qui se sont rassemblés comme dans la salle d’embarquement d’un aéroport International, vont être appelés à rejoindre ensemble le grand Navire sidéral, siégeant à quelques pas de là, tout de bois vêtu également à l’instar de cette structure qui accompagnait la compagnie Renaud Barrault dans ses pérégrinations d’Orsay au Rond Point!....

       Dans la nuit complète, le fleuve humain se déplace alors d’un chapiteau l’autre, et gravit les marches qui lui permettent de traverser les écuries en les surplombant en mezzanine.

       Nous pénétrons alors dans l’arène chauffée à blanc par un air pulsé et baigné par une lancinante musique venue d’ailleurs qui peu à peu égrène un compte à rebours mental dans l’attente de ce décollage vers l’au-delà!...

       Le fleuve se ramifie alors en autant de ruisseaux que de travées; chacun est attendu par un petit coussin et son siège numéroté qu’il n’est pas question d’outre passer puisque coude à coude notre place dans le groupe des humains se situe ici et maintenant!

       Le spectacle lui ne se raconte pas, car mystique dans le fond et dans la forme, il fait appel aux synergies de nos sensibilités intimes et collectives. Il est néanmoins possible de le qualifier par sa sobriété, sa précision, ses contrastes et sa lumière en noir et blanc.....

       C’est comme un Opéra dont une vaste et immense impression de silence profond se dégagerait loin des contingences ici rassemblées! Bartabas a élaboré un spectacle qui tire les spectateurs hors d’eux-mêmes vers une terre inconnue de tous.

       Ce spectacle dépasse aussi bien ceux qui en sont les artisans que ceux qui le « comprennent » (qui le prennent avec eux). Une immense impression de respect se dégage, il n’y aura évidemment aucun rappel!....

Theothea le 17/02/98