Sous l'il goguenard du facétieux Marcello
Mastroianni, le 67ème Festival International de Cannes,
présidé par Jane Campion, réalisatrice
néo-zélandaise de la "Leçon de piano" Palme d'Or 1993,
a offert un cru savoureux de très bons films.
"Nous avons tout aimé, j'aurais voulu donné
encore plus de prix" dira-t-elle en conclusion de son
palmarès.
"Jane Campion utilisait le mot liberté, la liberté
de parole, voilà ce qu'elle recherchait" dira en Conférence
de presse Carole Bouquet, membre de son jury.
Le Festival 2014 a commencé sous les auspices d'une
princesse revisitée : "Grâce de Monaco", film d'Olivier Dahan
avec Nicole Kidman, a ouvert le bal, hors
compétition.
Il s'est parachevé par la révérence
discrète d'un prince spirituel et solaire du cinéma: Monsieur
Gilles Jacob se retire de la présidence du Festival de Cannes en laissant
désormais la fonction à Monsieur Pierre Lescure. Cependant
cet insatiable découvreur de talents du 7ème Art en devient,
conséquemment, Président
dHonneur.
Cannes 2014 a décerné une Palme d'Or hautement
méritée au film :
"A winter sleep" du turc Nouri Bilge Ceylan
"Un réalisateur doit s'adresser à l'âme
du spectateur"
Ce film dont le rythme lent est au diapason de la solitude
des êtres dans un paysage grandiose, aride et sauvage est très
maîtrisé.
L'Hôtel Othello, tel un huis clos isolé, est
le théâtre du déchirement d'un couple, lui ancien
comédien, aujourd'hui riche propriétaire, et son épouse
bien plus jeune. Les personnages se torturent les uns les autres dans une
confrontation sophistiquée très
Tchekhovienne.
Haluk Bilginer, debout dans la neige, imprègne de
tout son poids l'atmosphère de ce film biblique. Il aurait pu recevoir
le prix d'interprétation attribué à Timothy Spall dans
le film "Mr Turner" de Mike Leigh.
Cette réflexion sur la solitude du "has been" concernant
un ancien comédien ou une actrice déclinante a été
un point commun de plusieurs films de la
sélection.
Dans le film de David Cronenberg " Maps to the stars", Julianne
Moore qui a reçu le prix d'interprétation féminine joue
une actrice névrosée d'Hollywood, quinquagénaire prête
à tout pour ne pas disparaître de l' écran et
traumatisée par l'aura de sa star de
mère.
Ce film donne une vision pessimiste d'un Hollywood perverti
et incestueux, emprisonné dans un délire autodestructeur
.
Pour notre part, nous avons eu du mal à adhérer
à cette vision glacée, sans personnage digne de réel
intérêt sauf peut-être la jeune fille interprétée
par Mia Wasikowska.
Notre préférence allait à Hilary Swank
- Million Dollar Baby - bigote intrépide et malade de solitude dans
le touchant film de Tommy Lee Jones "The Homesman", western qui impose un
ton très personnel dans les paysages grandioses de l'Ouest sauvage.
Un parcours initiatique où seul le bouffon hirsute et drolatique peut
espérer trouver la rédemption.
On retrouve le thème de la solitude d'une "has been"
dans le "Sils Maria" d'Olivier Assayas.
Film autour du processus de création se constituant
en déclaration d'amour au Cinéma et aux actrices avec une Juliette
Binoche d'une grande aisance naturelle.
Actrice vieillissante, elle doit jouer la victime 20 ans
après avoir joué la jeune fille qui poussait une femme mûre
au suicide.
De l'autre côté du miroir, elle se réfugie
dans un village des Alpes avec son assistante interprétée par
une très juste Kristen Stewart.
Par ailleurs, "Deux jours, une nuit" traite de la solitude
d'une femme dans sa quête désespérée pour conserver
son emploi. Menacée de licenciement, elle veut réintégrer
sa place contre les primes promises aux autres
salariés.
Film assez linéaire, décevant de la part des
frères Dardenne. Marion Cotillard, l'espace d'un week-end, part pour
convaincre ses collègues, obstinée certes mais elle reste trop
sur le même registre. Une simplicité et une rectitude honorables
mais il manque cette hargne et cette énergie si caractéristiques
des films précédents. Toutefois au bout du parcours, initiatique
lui aussi, elle pourra dire "Je n'ai plus peur".
Gaspard Ulliel, quant à lui, aurait aussi
mérité un prix pour son interprétation d'YSL dans le
"Saint -Laurent" de Bertrand Bonello - "l'Apollonide, souvenir de la maison
close" Cannes 2011 - Confondant de mimétisme, ses manières
fines et féminines, l'lnclinaison de la tête, son regard
perçant sont d'une remarquable justesse. Jérémie Renier
incarne le fidèle compagnon Pierre
Bergé.
Film viscontien aux lourdes tentures avec la splendide apparition
d'Helmut Berger pour interpréter YSL dans l'âge avancé,
on sent les effluves parfumées proustiennes d'un monde plein de
mélancolie.
Il y eut beaucoup de films magnifiques dans lesquels les
paysages tiennent une place
prépondérante:
Ainsi "Timbuktu" de Sissako et la splendide beauté
graphique des dunes; "Still the Water" de Naomi Kawase, opus
élégiaque où deux adolescents apprennent à devenir
adultes et découvrent les cycles de la vie en harmonie avec la nature
sur l'île d'Amami et la mort comme un voyage magnifique. Encore et
toujours des parcours initiatiques.
De son côté, "Jimmy Hall " de Ken Loach (palme
d'Or en 2006) traite, lui, une dizaine d'années après la guerre
civile, d'un retour d'exil aux États-Unis dans les landes
irlandaises.
Le prix du jury fut partagé entre le plus jeune
réalisateur, le canadien Xavier Dolan pour son "Mommy" très
moderne, révolutionnaire et le plus âgé de la
compétition Jean-Luc Godard avec "Adieu au
langage".
Pour illustrer la prestigieuse sélection d'"un Certain
Regard", saluons « Xénia » de Panos H. Koutras
qui explore, à travers la quête du père, l'identité
grecque. Ici également, le voyage initiatique de deux frères
que tout sépare, Dany, adolescent original et déjanté,
aux cheveux décolorés et assumant son homosexualité
(lumineux Kostas Nicouli) et l'aîné Odysséas (Nikos Gelia),
plus mesuré, plus ancré dans la réalité mais
doutant de ses propres capacités.
Ou "Snow in Paradise" 1er long métrage du britannique
Andrew Hulme dont le scénario est inspiré d'une histoire vraie:
celle de Martin Askew, petit délinquant, entre drogue et violence
dans le milieu du crime organisé de l'east End de Londres dont le
parcours singulier l'amènera à se convertir à l'Islam
et à une éventuelle rédemption.
Martin Askew est aujourd'hui coscénariste et joue
dans le film (oncle Jimmy); son propre personnage (Dave) est
interprété par Frédérick
Schmidt.
La Semaine de la Critique a mis à l'honneur la jeune
création de cinéastes internationaux. Le prix du jury des longs
métrages a été décerné à "The Tribe"
(Ukraine), premier film de Myroslav Slaboshpytkiy, dans un pensionnat pour
sourds muets, sous la coupe de gangs mafieux.
Impitoyable.
A la Quinzaine des Réalisateurs, relevons le chef
d'oeuvre du studio Ghibli, "Le conte de la Princesse Kaguya" de Isao Takahata,
adaptation animée d'un texte fondateur de la littérature japonaise
et la rencontre de John Boorman venu présenter son film "Queen and
country" sur les rêves brisés par la guerre de
Corée.
Cannes Classics a revisité 20 longs métrages
dans des versions restaurées de chefs d'uvre d'antan, tels "les
Violons du bal" de Michel Drach en présence de Marie-Josée
Nat
"La Peur" de Roberto Rossellini, "Les croix de bois" de Raymond
Bernard, "Lost Horizon" de Frank Capra, "La vie de Château" de Jean-Paul
Rappeneau en sa présence & "Mariage à l'Italienne" de Vittorio
de Sica en présence de Sophia Loren
Le film de clôture "Pour une poignée de dollars"
de Sergio Leone fut présenté par Quentin
Torrentino.
L'heure de la dernière séance était
donc arrivée ! Au revoir
Gilles Jacob !
« Ciao Gilles » aurait dit Marcello
!
CatS / Theothea.com le 01/08/14