CHRONIQUES
16 à 20
S3
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UNE HEURE AVEC RILKE
de Rainer Maria Rilke
Mise en scène: Laurent Terzieff
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Théâtre Molière
Tel: 01-44-54-53-00
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L’obscurité sur scène!... Un halo de lumière attrape
à tour de rôle chacun des visages des trois comédiens
qui par touches successives et impressionnistes vont raconter Rilke et ses
états d’âme nous plongeant au plus profond d’une sensibilité
que la nostalgie ne cesserait d’attiser!..
Poèmes et textes en prose, extraits essentiellement des «
cahiers de Malte », vont se succéder de l’enfance à la
mort en apprivoisant des thèmes comme ceux de la solitude, l’amour,
la création littéraire et donnent l’impression à chaque
spectateur que cette heure passée en compagnie de Rilke, comme suspendue
à cette parole partagée alternativement par ces trois voix
issues de la pénombre, vient nous toucher par sa rareté
éphémère!...
Les voix
se répondent comme dans un écho feutré; celle de Laurent
Terzieff chaude, claire et grave, celle de Claude Aufaure veloutée,
caressante comme un chat, et celle de Pascale de Boysson, bien posée
et sereine!....
Impossible de garder à soi ces mots qui forcent notre attention;
aussitôt prononcés, ils s’en retournent inéluctablement
à cette pénombre qui les a vus naître!... Ce mouvement
perpétuel s’impose peu à peu comme une drogue douce que nous
dégusterions volontiers comme une tasse de thé, accompagnée
de sa madeleine!...
Theothea le 5/10/98.
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LENZ
d'après le récit de Georg
Büchner
Mise en scène: Frédéric
Leidgens
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Théâtre de Gennevilliers
Tel: 01 41 32 26 10
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Ce spectacle de Frédéric Leidgens raconte la quête
de l’auteur Georg Büchner qui fuyant la répression policière
en 1837, éprouve les affres psychologiques et métaphysiques
du réfugié politique!.. Dans un texte en forme d’exorcisme,
il s’inspire du dramaturge et poète Jakob Lenz, en exil intérieur
comme lui.
La mise en scène de cette catharsis récurrente par
l’acteur lui-même force la concentration du spectateur dans
l'obscurité car sans cesse des rayons de lumière plus ou moins
vive dessinent sur le sol des espaces délimités, tout en focalisant
l’attention sur le corps parcellisé de l’acteur.
Celui-ci s’imbrique dans des escabeaux et autres tabourets en se
démantibulant à même le sol en des mouvements
millimétrés où la lenteur semble se démultiplier
pour mieux faire surgir la vivacité de la douleur intérieure.
Un évident perfectionnisme s’attache à chaque plan de cette
lecture «live» à l’instar d’un découpage
cinématographique dont la bande son aurait traqué la voix dans
les moindres recoins où celle-ci se meut de façon à
être toujours au plus près d'une vérité si
intensément recherchée!
Un spectacle exigeant!....
Theothea le 8/10/98
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PHEDRE
de Jean Racine
Mise en scène: Luc Bondy
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Théâtre Odéon
Tel: 01 44 41 36 36
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Un palais ouvert à tous les vents, en toile de fond le bleu
azuréen du ciel qui se confond avec la mer, et puis une plage de sable,
lieu symbolique de toutes les rencontres, de tous les désirs ludiques!....
Précisément, seul parmi les huit comédiens, un seul
ne jouera pas le jeu, un seul ne prendra pas plaisir à sentir le sable
sous ses pieds nus: Thésée le mari de Phèdre! Evidemment
revenant de bataille, laissé pour mort, son principe de
réalité vitale est certes plus immanent que ceux de ses proches
qui contaminés par le vertige de l’Amour illicite, jonglent avec le
délire et le délice de fantasmes telluriques!....
Ainsi Phèdre n’a pas démenti son amour pour Hippolyte, fils
d’un premier mariage de son mari. Sa confidente Oenone cherchant à
neutraliser les
conséquences
fâcheuses de cet inceste avoué quoique biaisé et quelque
peu platonique, n’aura de cesse d’ intervenir à contre temps, compliquant
à chaque fois un peu plus l’intrication des bienséances et
des affects!...
Les mauvaises cartes ainsi jouées, l’aveuglement de Thésée,
en réponse, sera à la mesure de son éthique
dénuée de toute inspiration: Comme chaussé de
«sabots», il donnera le coup de pied de l’âne, fatal à
trois personnes, presque sans s’en apercevoir: Oenone et Phèdre
céderont aux sirènes du suicide, Hippolyte se jettera dans
une destinée accidentelle parce qu’inéluctable!...
Mais était-ce vraiment un jeu que d’aimer un partenaire interdit
qui aimait par ailleurs? Etait-ce un jeu que de se l’avouer et de l’avouer?
Etait-ce un jeu de laisser croire que les rôles avaient été
inversés, jetant ainsi l’opprobre sur l’objet désemparé
de son désir ?
Paniqué par des flots qui les submergent, les protagonistes se
trouvent alors ballottés sur une mer déchaînée
comme dans le naufrage de leur propre entendement!...
La mise en scène de Luc Bondy révèle une humaine
contemporanéité face à des sentiments censés
demeurer mythologiques! Dominique Frot et Didier Sandre jouent les personnages
d’Oenone et Thésée comme s’ils étaient les deux agitateurs
extrêmes de cette spirale infernale, définissant ainsi les
repères ultimes à transgresser!...Valérie Dréville,
incarnant Phèdre est élue par R. Solis (Libération)
comme la plus grande actrice du Théâtre Français. Un
concert tonitruant de cigales cinglera le terme du jeu!...
Theothea le 9/10/98 |
LA FIEVRE DES ANNEES
80
de Roger Louret
Mise en scène: Roger Louret
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Théâtre Folies Bergère
Tel: 01 44 79 98 98
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Roger Louret, metteur en scène d’une compagnie théâtrale
qu’il a créée à Monclar, près d’Agen, a inventé
un concept de comédie musicale à la française dont le
succès de spectacle en spectacle se confirme avec conviction depuis
la création de « La java des mémoires » puis des
« Années z’Zazous » nominés respectivement aux
Molières, en passant par « Les Années Twist » qui
fut consacré MOLIERE du meilleur spectacle musical 95.
Ces créations
musicales sont caractérisées par une approche essentiellement
théâtrale de l’interprétation alors que paradoxalement
le texte y est quasiment absent! L’objectif est de mettre en valeur sous
forme de patchwork, une kyrielle de courts extraits de chansons qui se
succèdent avec célérité en s’entrelaçant
de telle façon qu'elles se répondent les unes les autres
pour illustrer tour à tour les thèmes de la période
choisie....
Ainsi pour les années 80, nous retrouvons entre autres «
l’Aerobic », « Femmes des années 80 », « Le palace
», « le mur de Berlin », « La banlieue » etc.....
Plus à la manière d’un enchaînement millimétré
que d’un zapping de clips, ce spectacle
fonctionne grâce
à une troupe de comédiens qui en a la charge non seulement
par leurs voix et la chorégraphie, mais surtout par leurs charismes
et l’aisance d’un certain humour distancié qui caractérise
les mises en scène de Roger Louret!.
Scotchés à leur siège les spectateurs sont emmenés
dans un voyage où se télescopent l’enthousiasme,
l’allégresse, la nostalgie, le feeling, l’Amour, l’ironie.... en fait
les sentiments et les sensations se déclinent à l’infini par
la vertu des refrains, des mélopées, des leitmotivs, qui
qu’on le veuille ou non, bercent et structurent notre mémoire individuelle
et collective.
Roger Louret est dépositaire d’un merveilleux secret car tout jeune
il était déjà à l’écoute des grand-mères
de son village qui l' abreuvaient d’une mine insatiable de chansonnettes,
de ritournelles!... Il a donc réussi tout en conservant une attitude
candide et humble à créer une esthétique
théâtrale au service du patrimoine musical et à transposer
les vertus de cet incommensurable trésor!...
Accoutumance inéluctable!.....
Theothea le 14/10/98 |
LE SIXIEME CIEL
de Louis-Michel Colla
Mise en scène: Jean-Luc Moreau
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Théâtre Saint Georges
Tel: 01 48 78 63 47
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Le 6ème ciel, ce sont les chambres de bonne d’un immeuble bourgeois,
dans lesquelles logent quelques fauchés qui, bénéficiant
de la complicité de la femme de ménage d’un superbe appartement
des étages inférieurs, vont ainsi accéder à leur
7 ème ciel, en squattant celui-ci durant les absences de sa
propriétaire en voyage!....
Un quiproquo va naître lors du retour de cette dernière,
quand déguisée en clocharde, pour se rendre à un bal
masqué, celle-ci sera identifiée par erreur comme la domestique
de son propre appartement! En conséquence quelques instants pus tard
le retour inopiné de son majordome consacrera celui-ci de surcroît
propriétaire virtuel!....
Ce jeu initial de chaises musicales va induire le ton ludique de cette
pièce où en quelque sorte c’est l’âme du théâtre
qui sera célébrée!... Car à l’inverse d’une
pièce idéologique opposant les classes sociales entre elles,
l’auteur cherche à placer le thème du « jeu » au
centre des relations humaines pour en faire un lien fédérateur
et convivial!... Derrière le quiproquo donc de pure façade
se trouvent des êtres qui décident de « faire comme si....
» à la fois par dignité et par jeu, décidés
à rendre ainsi la Vie tout simplement plus légère!....
De cette façon en substituant théâtralement les
rôles, chacun pourra paradoxalement se découvrir à
lui-même et aux autres!....
Aussi les spectateurs ne se trompent-ils pas, en percevant le plaisir
indéniable que les acteurs manifestent en « jouant ce jeu »
sur la scène du Théâtre St Georges, car cette pièce
profondément humaine avec Annie Girardot en inspiratrice bienveillante
de cette micro-socièté, atteint de fait à une fonction
cathartique en se déguisant sous les atours de la comédie!...
C’est réellement un régal que de voir Nathalie Roussel
en grande dame névrosée tenter de s’adapter à un personnage
tellement éloigné de son éducation et pourtant si proche
de sa nature! Christian Vadim assure avec classe et amusement les facettes
de son rôle de majordome-propriétaire! Tous les comédiens
communiquent à un public heureux ce sentiment réconfortant
que le théâtre est le lieu de tous les « possibles »
!.....
Theothea le 21/10/98
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