du Forum Théâtre d'AOL

   

     

CHRONIQUES

    Saison 98-99

         26 à 30  S5        

 

    

   

    

      

MERE COURAGE ET SES ENFANTS

de Bertolt Brecht

Mise en scène: Jorge Lavelli

**

Théâtre de la Comédie Française

Tel: 01 44 58 15 15

Peut-on vivre de la guerre? Telle est la problématique qui est développée par Brecht tout au long de cette saga qui se déroule de 1624 à 1636 pendant la guerre de trente ans en Europe centrale! En effet Mère Courage qui se déplace de conflit en conflit avec sa cantine mobile afin de fournir des repas aux soldats de toutes les factions a l’inquiétude permanente de voir s’installer la paix, perdant de cette façon son gagne-pain ainsi que celui de ses enfants!...

Et pourtant ceux-ci vont tour à tour disparaître, victimes dont la neutralité s'avère théorique!.. Aussi à cette aspiration à susciter la guerre se joint une incapacité à imaginer une reconversion en temps de paix! En outre le comportement incontrôlable de sa fille muette stigmatise cette impossibilité à échapper au destin!...

Mais comment expliquer cet ennui qui peu à peu gagne le spectateur au long de cette saga mise en scène par Jorge Lavelli: Est-ce cette impression de tourner en rond avec ce chariot dont le trajet apparaît comme la métaphore d’une répétition inlassable? Est-ce la présence sur scène de tous ces treillis qui agissent comme une morne anesthésie de nos sens artistiques? Est-ce cette intuition désespérante que l’échec est programmé à l’avance sans que rien ne puisse le contrecarrer? L’ennui proviendrait-il de la guerre, de Brecht ou de la mise en scène? L’ennui est-il inhérent à l’essence théâtrale qui devrait apprendre à négocier avec lui?

Bien entendu, l’ensemble du spectacle est d’excellente qualité: Céline Samie y interprète son rôle de muette avec une énergie convaincante, Catherine Hiegel assure avec grande compétence la détermination sans faille de Mère Courage. Sans doute cette mise en scène agit-elle comme un miroir non déformant d’une réalité qui nous taraude et que nous préférerions sans doute rapidement oublier: Pouvons-nous vivre de la guerre?

Theothea le 4/11/98

COMME UN ECHO

de Donald Margulies

Mise en scène: Michel Fagadau

***

Studio des Champs-Elysées 

Tel: 01 53 23 99 19

Pourquoi donc la démarche initiatique serait-elle réservée aux garçons? C’est pourtant la représentation qui en est souvent faite: Le jeune homme et son maître se choisissent, se confrontent; puis celui-ci dépasse l’autre avec plus ou moins d’harmonie!....

Précisément à l’instar de ce processus, Lisa Morrison s’est choisi comme mentor l’auteur Ruth Steiner et s’affirme prête dans la plus extrême humilité et avec un immense respect à partager la vie de son idole littéraire en devenant sa secrétaire particulière. Cette confrontation au quotidien ne se fera pas sans irritations réciproques mais va permettre à la jeune étudiante d’approfondir la complémentarité de son savoir-être avec l’acquisition d’un savoir-faire!

Mais l’élève va si bien profiter des leçons du maître qu’elle en viendra à créer un réel malentendu, croyant sincèrement faire plaisir à Ruth en écrivant le roman de sa vie que celle-ci n’a jamais osé écrire elle-même et qui percevra dans cette démarche une véritable trahison, une confiance bafouée, une amitié gâchée!....

Disons le de suite, l’interprétation de cette pièce adaptée en français par Marie Boudet est simplement magistrale! Bien sûr la gamme des sentiments en demi-teintes par lesquelles Micheline Boudet fait évoluer le personnage de Ruth reflète une subtil évolution de son influence et de sa dépendance vis-à-vis de Lisa!....

Cependant la vraie surprise est de découvrir face à elle, la comédienne roumaine Liana Fulga qui développe une stratégie affective ensorcelante qui tient à la fois de la candeur, de la sensibilité attentive tout en affirmant un charisme dévastateur à l’égard de son professeur et des spectateurs!.....

Une profonde complicité semble régner entre les deux comédiennes comme s’il s’agissait sur scène de jouer la pièce à l’intérieur de la pièce elle-même: une sorte de mise en abîme de la démarche initiatique, un passage de relais souhaité et pourtant jalousé d’une génération l’autre!.....Cet enthousiasme affectif non feint dont ne se départit en aucun moment Liana Fulga révèle à la fois une énergie généreuse liée à un charme imminent naturel.

Il serait aisé de pressentir à l’égard de cette pièce quelques nominations aux Molières 99! En tout cas Michel Fagadau, Directeur des deux salles de la Comédie des Champs-Elysées depuis 94 et metteur en scène de « Du sexe de la femme comme champ de bataille » où jouait déjà Liana Fulga, a su créer une remarquable émulation avec Micheline Boudet.

Pour temporiser cet engouement, il nous a semblé que la qualité du décor n’était pas à la hauteur de cette création, voire peu en accord avec le raffinement de Ruth Steiner!... Ce contraste paradoxal se voudrait-il délibéré?

Theothea le 02/11/98

LA NUIT DES ROIS

de Shakespeare

Mise en scène: Hélène Vincent

**

Théâtre de la Ville

Tel: 01 42 74 22 77

La mise en scène d’Hélène Vincent se caractérise par une grande subtilité dans la maîtrise et la composition de la lumière, dans l’harmonie des couleurs seyant aux costumes, dans la sobriété symbolique et onirique des décors!...

Cette pièce se présentant comme un kaléidoscope des désirs et des identités, Hélène Vincent a délibérément inscrit le jeu de ses comédiens dans un registre où l’imaginaire du spectateur doit se fondre avec la multiplicité des volontés subjectives!..

En outre l’humour du jeu et de la mise en scène côtoient, comme en           contre-poids, le caractère souvent graveleux des dialogues, comme s’il s’agissait de télécommander à distance la progression d’éléphants équilibristes dans un service de porcelaine!...

Ainsi le large public du Théâtre de la Ville se trouve comme par magie à l’unisson de ce doux délire qu’affectionnent les pièces de Shakespeare!.... Une très agréable soirée (jusqu’au 21 Novembre) en compagnie de comédiens ô combien drôles et sympathiques!

Theothea le 10/11/98

GIACOMO LE TYRANNIQUE

de Giuseppe Manfridi

Mise en scène: Antonio Arena

**

Théâtre du Rond Point

Tel: 01 44 95 98 10

Ce spectacle se présente comme un huis-clos en chambres, en trois chambres où va s’égrener le compte à rebours des derniers jours de la vie de Giacomo Leopardi, le plus grand poète italien des temps modernes.

Ces trois chambres sont la représentation de l’enfermement, voire l’autisme de chacun des protagonistes; chacun se débattant avec son besoin d’Amour, sa difficulté à communiquer, son désir de reconnaissance!... L’impossibilité pour Giacomo de discerner la lumière apparaît comme une métaphore d’une incapacité à atteindre sa propre vérité et celle des Autres!...;

Cinq comédiens sont sur scène qui multiplient une suite de couples potentiels suscités par les affects successifs et contradictoires qu’ils nourrissent les uns envers les autres et tous occupés par ce Giacomo qui leur échappe tant son charisme lié à sa maladie en font l’objet unique d’une fascination générale!....

Son ami Antonio Ranieri, Paolina la soeur de celui-ci, Lucella la servante, Paolina Leopardi la soeur de Giacomo, tous à proximité ou à distance voudraient le protéger de lui-même et être le sujet privilégié d’un Amour immense que Giacomo est évidemment incapable d’exprimer tant son état physique et psychique est délabré!....

Cette pièce est comme une ode à la vie créatrice qui refuserait de toutes ses forces le concept de Mort tout en s’y enfonçant inexorablement. Mais au-delà de la mort, synonyme fondamentalement de quiétude et de paix, c’est ici le délabrement des âmes qui ronge tous ces personnages transis de passion inhibée!...

De Neron à Giacomo, Denis Lavant se crée un personnage délirant et phénoménal d’où les garde-fou semblent s’abolir sous contrôle!.... Anne Brochet compose comme l'ombre transparente, quoiqu’agitée, d’une vie qui s’exclurait d’elle-même, Fabienne Luchetti et Graciela Cerasi sur des registres rivaux, expriment le vertige et l’énergie infinie d’une passion inexprimable, Brontis Jodorowski s’investit dans l’ami qui se laisse aliéner peu à peu par ce tourbillon psychotique!....

La lumière vacille, c’est le chaos sur scène car il faut se débarrasser des oripeaux du vieux lit inconfortable, le parquet est disloqué, le fatras général emporte définitivement Giacomo Leopardi et pourtant le plus délicat reste à gérer pour les cinq comédiens: Parvenir à recevoir les ovations du public sans perdre l’équilibre dans ce décor désarticulé et anéanti!....

Theothea le 14/11/98.

LE GLOSSAIRE

de  Max Rouquette

Mise en scène:Vincent Boussard

**

Théâtre Studio-Théâtre

Tel: 01 44 58 98 58

A l’instar d’Arthur son poisson rouge ressassant le concept de bocal, Madame Sissé, concierge ès qualités, tel un oiseau sur la balançoire de sa cage nous fascine une heure durant,  jouant de son trapèze comme le ferait un chaton d’une pelote de laine!...

L’objet de la spéculation qui occupe la conversation des résidents de l’immeuble est un « Glossaire » dont serait atteint l’un d’entre eux, Môssieur Pluche!....

C’est du pouvoir des mots que les choses prennent leur substance et leur influence, aussi ce « glossaire » devenu le support d’un fantasme collectif va-t-il sidérer le délire auquel chacun souhaite contribuer... Môssieur Pluche lui-même n’étant pas le dernier à se faire prier!....

Au-delà du quiproquo, Max Rouquette nous entraîne là où l’absurde côtoie l’univers du « Mal » si peu préhensible qu’il nous faudrait le construire à l’image que nous nous en faisons, pour tenter de le régenter!...

Le metteur en scène donne ici l’occasion à Catherine Salviat de faire une prestation époustouflante tant son habileté à se lover sur le trapèze apparaît comme une perspective jouissive pour appréhender une réalité rebelle!....

Ses partenaires n’auront de cesse de la conforter dans une mystification qui se dissout dans leurs propres convictions!.....

Bref du grand Art où Catherine Sauval et Michel Robin constamment sur la brèche apportent la réplique qui ne saurait souffrir le doute!....

Le Glossaire de 18h30 à 19h30 au Studo Théâtre, cela laisse toute la soirée pour s’interroger sur le rôle de la « diversion » dans la philosophie.

Theothea le 18/11/98

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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