CHRONIQUES
51 à 55
S10
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LES
HUISSIERS
de Michel Vinaver
Mise en scène: Alain Françon
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Théâtre de la Colline
Tel: 01 44 62 52 52
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Michel Vinaver aurait pu intituler sa pièce: « Chronique de
la Vème République annoncée »! En effet au travers
du regard d’un groupe d’huissiers, ce sont les agitations futiles des politiciens
de la IVème République qu’ils racontent dans
l’épure d’une chronique au jour le jour dévoilant ainsi les
recettes faisandées d’une cuisine qui n’aurait cessé
d’accommoder les restes!....
Son objectif n’étant pas tant de faire oeuvre d’historien ni même
de fustiger les dérives de ce pouvoir déliquescent, mais
plutôt de faire surgir une réalité intemporelle du pouvoir
politique qui se survit à lui-même en pleine confrontation des
idéologies, des intérêts de toute nature et de
l’éthique!.....
Comment
gérer avec clairvoyance la guerre d’Algérie en cette année
57 alors que tous les esprits en métropole sont mobilisés par
le conflit qui oppose partisans et non partisans des cheveux courts
féminins!.... En effet le tout puissant lobby des coiffeurs voudrait
pour améliorer son chiffre d’affaire, imposer la mode des cheveux
longs et réussit de la sorte à faire vaciller le gouvernement
et le président du conseil au fil des motions et des votes!...
C’est ainsi que le choeur (contemporain) des huissiers pressent,
témoigne, cautionne au travers de son rituel gestuel et verbal immuable,
les événements hétérogènes qui font et
défont les majorités élues par les grands électeurs.
C’est bel et bien de tous ces arrangements glauques des partis, ces compromis
inhérents à la démocratie indirecte que sera imposé
par la suite le suffrage Universel de la Vème République.
En attendant les citoyens sont « promenés » à
l’instar de cette jeune femme, à la recherche d’informations concernant
son mari communiste disparu!.... L’exemple de ce problème humain
profondément douloureux révélera le marchandage incessant
entre les partis qui voient exclusivement en chaque dossier des suffrages
à glaner!.....
Jeanne Balibar atteint dans ce rôle les vibrations de la tragédie
antique pendant que le joyeux corps des huissiers flirte avec
l’opérette de boulevard!.... Ce mélange des genres, comme dans
la vraie vie, ne facilite pas une appréciation sereine du spectateur
mais ce spectacle dont le vaste décor est à la hauteur des
dorures de la république, a l’avantage de constituer une vision en
perspective de la citoyenneté face au pouvoir politique quelqu’il
soit!....
Theothea le 20/01/99
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SAINTE JEANNE DES
ABATTOIRS
de Bertolt Brecht
Mise en scène: Alain Milianti
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Théâtre de l'Odeon
Tel: 01 44 41 36 36
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Disons le tout de go, ce spectacle est magnifique!.... Sa mise en scène
est d’une profusion créatrice rarement égalée; le spectateur
ressort du théâtre de l’Odéon avec des images plein la
tête comme autant de tableaux où le groupe humain se
métamorphose d’objet en sujet!...
Près d’une trentaine de comédiens apparaissent sur le plateau
par vagues successives comme dans un océan en tumulte où sac
et ressac s’affronteraient dans un ballet orchestré au millimètre
près.
La gestuelle, les mimiques, les déplacements de tous ces
comédiens s’enchevêtrent en harmonie figurative alors que le
conflit social fait rage et que les opérateurs boursiers déclenchent
à tout va des flux économiques insensés qu’en
définitive nul ne maîtrise mais dont la transgression
s’avère impossible à concrétiser!...
Face à ce délire collectif manipulé par ces quelques
« maîtres du monde », se dresse l’immense cohorte des pauvres
qu’il secrète mais dont l’espérance de s’en extraire apparaît
comme le moteur paradoxale de sa pérennité.
En effet ne sachant à « quel saint » se vouer, c’est
précisément la "Jeanne Dark" des Abattoirs qui
s’élèvera par-dessus cette indigence, s’érigeant de
fait en guide assoiffée d’idéal mais dont le pragmatisme sera
déjoué!...
Provenant d’une association à fortes convictions religieuses,
c’est peu à peu vers l'« Humain » que se construira le
système référentiel de Jeanne mais qu’est-que ce "concept
d’humanité" peut résoudre quand, au plus profond de la
détresse, semblent se confronter inertie et intérêts
contradictoires ?
Tout se passe comme si les hommes étaient influencés dans
leurs choix, quelle que soit leur situation sur l’échelle sociale,
par des forces mystérieuses dont la rationalité semble
échapper à l’entendement!...
Ainsi Mauler, le chef d’orchestre de cette pagaille
généralisée (contre son gré?) apparaît-il
successivement de bonne et de mauvaise foi, avec des sentiments alternativement
rapaces et généreux. Le comédien polonais Jerzy
Radziwilowicz, emblême par ailleurs des films de Wajda, interprète
ce rôle avec un charisme rayonnant d’énergie et d’humour, à
l’image d’ailleurs de l’ensemble de cette troupe qui semble prendre un
incontestable plaisir ludique!...
Clotilde Mollet rayonne elle, dans son interprétation de Jeanne,
guidée par des convictions successives, tout en conservant la
distanciation malicieuse que lui suggère le regard du metteur en
scène Alain Milianti.
Aucun doute que Bertolt Brecht qui n’a jamais pu de son vivant voir la
représentation de sa « Sainte Jeanne des Abattoirs », aurait
apprécié ce ton onirique pour fustiger la réalité
sociale et politique grâce à une transgression artistique
magnifiquement décalée!.... Il souffle sur cette pièce
comme un vent de folie proche de la comédie musicale !...
Theothea le 21/01/99
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PARTAGE DE
MIDI
de Paul Claudel
Mise en scène: Gérard Desarthe
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Théâtre National de Chaillot
Tel: 01 53 65 30 00
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Les dimensions de la salle Jean Vilar ont été réduites
pour la circonstance et une relative intimité feutrée entre
la scène et les gradins s’en trouve confortée!... s’en suivra
une qualité d’écoute et d’attention de la part des spectateurs
rarement égalée!...
Ce « Partage de Midi », c’est comme une douceur que l’on
dégusterait très consciencieusement trois heures durant!....
Tout d’abord la rencontre sous le plein soleil du pont supérieur
d’un bateau en route vers l’Orient, puis la passion à la lumière
vacillante des chandelles, enfin l’abandon sous la voie lactée!....
La chair contre l’Esprit, ce combat lancinant qui immerge l’oeuvre de
Claudel prend ici dans la mise en scène de Gérard Desarthe
la tonalité mystique d’un marivaudage flirtant entre Rohmer et Tchekhov.
Valentine Varela apporte un charme malicieux face à ces trois hommes
qui tour à tour cherche dans sa compagnie comme la preuve d’une
séduction toujours possible, mais peut-être est-ce
précisément la Passion qui aujourd’hui ferait défaut
?
Des ondes semblent traverser la salle! Serait-ce la présence
discrète de Ludmila Mikaël qui elle aussi, joua le rôle
d’Yse en compagnie de Patrice Kerbrat qui lui, présentement met en
scène "TOUT CONTRE", autre forme contemporaine de lutte avec l’Amour
qui se dérobe?.... alors qu'en coulisse la vigilance circonspecte
de Gérard Desarthe ne cesse d’évoquer les vibrations de
«Célimène et le Cardinal», pièce jouée
pareillement avec l’inaccessible Ludmila, dans cet autre fameux combat
métaphorique entre l’Esprit et la Chair !...
C’est la fonction du Théâtre, par essence
éphémère, que de renvoyer au-delà de la contingence,
à ces références multiples qui permettent de faire vivre
dans la mémoire collective ces instants fugaces qui en font
l’Histoire de chacun et de tous!......
A ce titre l’oeuvre de Claudel est extraordinaire car l’impact universel
des tourments métaphysiques dont elle est porteuse, la rendent
perméable à tous les flux de métamorphose, en demeurant
toujours identique à elle-même, c’est-à-dire
inexplicable!....
Theothea le 22/01/99.
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OH PARDON... TU
DORMAIS
de Jane Birkin
Mise en scène: Xavier Durringer
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Théâtre de la Gaité-Montparnasse
Tel: 01 43 22 16 18
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Lorsqu’un auteur joue une pièce qu’il a écrit lui-même,
un sentiment d’intimité semble le relier au spectateur comme dans
une confidence prolongée!... Et cependant Xavier Durringer a
souhaité mettre en scène au théâtre le script
de Jane Birkin en éloignant cette pièce de tout psychologisme
autobiographique et en demandant à l’actrice d’aborder ce rôle
dans une relation exclusive avec son partenaire!...
Initialement prévue pour un téléfilm dont
l’interprète fut Christine Boisson, ce texte narre dans un huis-clos
total, les sentiments et ressentiments des deux protagonistes d’un couple
dont les liens de complicité paraissent s’étioler en devenant
asynchrones!....
Dans cette chambre d’hôtel anonyme que seules les portes de palier
et de balcon relient aux contingences extérieures, c’est plus
l’émergence de deux pathologies désemparées qui va
s’esquisser à notre regard attentif que celle d’un conflit exacerbé
par la mauvaise foi réciproque!...
Lui, absorbé par un travail créatif n’est jamais satisfait
de lui-même tant son idéal est grand, et tant ce dernier lui
apparaît hors de portée!... rien à ses yeux ne vaut le
silence dont la qualité principale serait de ne pas
décevoir!...
Elle, est à la recherche de preuves d’Amour dont elle perçoit
à juste titre la diminution logarithmique !... Sa
vulnérabilité existentielle l’empêche d’être à
l’écoute de son compagnon et c’est par des flots de logorrhée
qu’elle tente désespérément de s’accrocher à
l’image projetée de son Amour!....
Comment savoir si ces deux-là « sont faits » pour être
et rester ensemble? Cela reste une énigme aux yeux de l’observateur
qui constate que leurs besoins respectifs de compréhension, malgré
quelques leurres que dispersent l’Auteur et le metteur en scène, ne
parviennent pas à se solidariser!...
Ce texte est donc poignant, la mise en scène laisse volontairement
à distance, le couple avec son désarroi en s’appuyant sur des
rythmes individuels en décalage permanent!... L’interprétation
de Jane Birkin est effectivement concentrée sur le jeu sobre de son
partenaire.
C’est pour le plaisir de voir Jane Birkin, la comédienne, que le
spectateur vient au théâtre de la Gaité-Montparnasse,
c’est en ayant apprécié l’écriture et
l’interprétation d’une souffrance non feinte qu’il quittera
discrètement l’intimité de cette chambre "claustrée"
!...
Theothea le 26/01/99
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UN TRAMWAY NOMME
DESIR
de Tennessee Wiliams
Mise en scène: Philippe Adrien
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Théâtre de l'Eldorado
Tel: 01 42 38 07 54
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Quand une générale de presse s’enflamme pour un « Tramway
», cela crée une vague d’applaudissements dont flux et reflux
semblent se confondre à l’infini sans qu’une once de suspension puisse
en épuiser l’engouement!... C’est précisément le trouble
et l’émotion de Caroline Cellier qui libéreront les chaînes
de cet enthousiasme majeur pour le laisser se répandre dans une rumeur
élogieuse!...
Comme dans un état de grâce, nommé « Désir
», un magnétisme torride s’empare du Théâtre de
l’Eldorado sans jamais relâcher sur les esprits et sur les corps,
l’emprise des chaleurs du Sud!...
A l’image d’une Viviane Leigh revisitée par Anna Karina, des ondes
ravageuses de séduction immergent le charisme de Blanche (Caroline
Cellier) face à l’ombre d’un Marlon Brando mâtinée de
Mickey Rourke qui aurait diaboliquement sensualisé Stanley (Samuel
Le Bihan)!...
Quant à Philippe Adrien, le metteur en scène qui
s’était confronté, il y a peu dans « Kinkali », avec
l’énergie lascive et irradiée par les canicules équatoriales
et poisseuses, il s’est trouvé immédiatement de plain pied
avec ce « quelque chose » de Tennessee Williams qui subjugue les
comédiens au plus profond de leur talent!....
Cet Harrold (Chick Ortega) qui pourrait avoir pris bouture sur un manche
à balai, cultive l’art de l’embarras jusque dans la substance de ses
vertèbres, si tant est que l’Actor’s studio ait existé avant
qu’il soit « pote » avec Stanley!...
De par sa douceur à l’appétence violente, Stella (Florence
Pernel) écartelée par les divergences de l’Amour et de
l’affection, s’en voudrait à l’avance de rejeter sa soeur Blanche,
à l’instar du frère « tourmenteur » de Camille Claudel
!...
Mais comment résister au charme de Blanche, elle qui, non satisfaite
de provoquer cette irruption de la sensualité là où
elle n’était pas attendue, possède cette soif infinie du plaisir
poétique, du raffinement des sentiments et des bonnes manières,
et aspire telle une adolescente, à l’éventail des passions
d’absolu ?
Et cependant la vie ne renvoie pas nécessairement à Blanche
cette image qu’elle en aurait souhaitée!... C’est effectivement en
raison de cette dichotomie qu’elle sera tentée de s’arranger et
d’arranger la Réalité!.... au grand dam de Stanley qui se
révélera autant intransigeant vis-à-vis de la mythomanie
de sa belle-soeur que complaisant avec sa propre sensibilité
d’écorché vif!...
Comment abdiquer avec classe, lorsque la mauvaise foi supplante
l’utopie, lorsque le goût de la beauté est harcelé par
les ronces ? C’est l’histoire de Blanche dont l’adaptation du « Tramway
» par Jean-Marie Besset, vient se sublimer dans le « Désir
» de cette rencontre désormais anthologique entre Caroline Cellier
et Samuel Le Bihan!...
Theothea le 28/01/99
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