du Forum Théâtre d'AOL

   

     

CHRONIQUES

    Saison 98-99

         51 à 55  S10       

 

    

   

    

      

LES HUISSIERS

de  Michel Vinaver

Mise en scène: Alain Françon

**

Théâtre de la Colline

Tel: 01 44 62 52 52

Michel Vinaver aurait pu intituler sa pièce: « Chronique de la Vème République annoncée »! En effet au travers du regard d’un groupe d’huissiers, ce sont les agitations futiles des politiciens de la IVème  République qu’ils racontent dans l’épure d’une chronique au jour le jour dévoilant ainsi les recettes faisandées d’une cuisine qui n’aurait cessé d’accommoder les restes!....

Son objectif n’étant pas tant de faire oeuvre d’historien ni même de fustiger les dérives de ce pouvoir déliquescent, mais plutôt de faire surgir une réalité intemporelle du pouvoir politique qui se survit à lui-même en pleine confrontation des idéologies, des intérêts de toute nature et de l’éthique!.....

Comment gérer avec clairvoyance la guerre d’Algérie en cette année 57 alors que tous les esprits en métropole sont mobilisés par le conflit qui oppose partisans et non partisans des cheveux courts féminins!.... En effet le tout puissant lobby des coiffeurs voudrait pour améliorer son chiffre d’affaire, imposer la mode des cheveux longs et réussit de la sorte à faire vaciller le gouvernement et le président du conseil au fil des motions et des votes!...

C’est ainsi que le choeur (contemporain) des huissiers pressent, témoigne, cautionne au travers de son rituel gestuel et verbal immuable, les événements hétérogènes qui font et défont les majorités élues par les grands électeurs.

C’est bel et bien de tous ces arrangements glauques des partis, ces compromis inhérents à la démocratie indirecte que sera imposé par la suite le suffrage Universel de la Vème République.

En attendant les citoyens sont « promenés » à l’instar de cette jeune femme, à la recherche d’informations concernant son mari communiste disparu!.... L’exemple de ce problème humain profondément douloureux révélera le marchandage incessant entre les partis qui voient exclusivement en chaque dossier des suffrages à glaner!.....

Jeanne Balibar atteint dans ce rôle les vibrations de la tragédie antique pendant que le joyeux corps des huissiers flirte avec l’opérette de boulevard!.... Ce mélange des genres, comme dans la vraie vie, ne facilite pas une appréciation sereine du spectateur mais ce spectacle dont le vaste décor est à la hauteur des dorures de la république, a l’avantage de constituer une vision en perspective de la citoyenneté face au pouvoir politique quelqu’il soit!....

Theothea le 20/01/99

SAINTE JEANNE DES ABATTOIRS

de Bertolt Brecht

Mise en scène: Alain Milianti

***

Théâtre de l'Odeon

Tel: 01 44 41 36 36

Disons le tout de go, ce spectacle est magnifique!.... Sa mise en scène est d’une profusion créatrice rarement égalée; le spectateur ressort du théâtre de l’Odéon avec des images plein la tête comme autant de tableaux où le groupe humain se métamorphose d’objet en sujet!...

Près d’une trentaine de comédiens apparaissent sur le plateau par vagues successives comme dans un océan en tumulte où sac et ressac s’affronteraient dans un ballet orchestré au millimètre près.

La gestuelle, les mimiques, les déplacements de tous ces comédiens s’enchevêtrent en harmonie figurative alors que le conflit social fait rage et que les opérateurs boursiers déclenchent à tout va des flux économiques insensés qu’en définitive nul ne maîtrise mais dont la transgression s’avère impossible à concrétiser!...

Face à ce délire collectif manipulé par ces quelques « maîtres du monde », se dresse l’immense cohorte des pauvres qu’il secrète mais dont l’espérance de s’en extraire apparaît comme le moteur paradoxale de sa pérennité.

En effet ne sachant à « quel saint » se vouer, c’est précisément la "Jeanne Dark"  des Abattoirs qui s’élèvera par-dessus cette indigence, s’érigeant de fait en guide assoiffée d’idéal mais dont le pragmatisme sera déjoué!...

Provenant d’une association à fortes convictions religieuses, c’est peu à peu vers l'« Humain » que se construira le  système référentiel de Jeanne mais qu’est-que ce "concept d’humanité" peut résoudre quand, au plus profond de la détresse, semblent se confronter inertie et intérêts contradictoires ?

Tout se passe comme si les hommes étaient influencés dans leurs choix, quelle que soit leur situation sur l’échelle sociale, par des forces mystérieuses dont la rationalité semble échapper à l’entendement!...

Ainsi Mauler, le chef d’orchestre de cette pagaille généralisée (contre son gré?) apparaît-il successivement de bonne et de mauvaise foi, avec des sentiments alternativement rapaces et généreux. Le comédien polonais Jerzy Radziwilowicz, emblême par ailleurs des films de Wajda, interprète ce rôle avec un charisme rayonnant d’énergie et d’humour, à l’image d’ailleurs de l’ensemble de cette troupe qui semble prendre un incontestable plaisir ludique!...

Clotilde Mollet rayonne elle, dans son interprétation de Jeanne, guidée par des convictions successives, tout en conservant la distanciation malicieuse que lui suggère le regard du metteur en scène Alain Milianti.

Aucun doute que Bertolt Brecht qui n’a jamais pu de son vivant voir la représentation de sa « Sainte Jeanne des Abattoirs », aurait apprécié ce ton onirique pour fustiger la réalité sociale et politique grâce à une transgression artistique magnifiquement décalée!.... Il souffle sur cette pièce comme un vent de folie proche de la comédie musicale !...

Theothea le 21/01/99

PARTAGE DE MIDI

de  Paul Claudel

Mise en scène:  Gérard Desarthe

***

Théâtre National de Chaillot

Tel: 01 53 65 30 00

Les dimensions de la salle Jean Vilar ont été réduites pour la circonstance et une relative intimité feutrée entre la scène et les gradins s’en trouve confortée!... s’en suivra une qualité d’écoute et d’attention de la part des spectateurs rarement égalée!...

Ce « Partage de Midi », c’est comme une douceur que l’on dégusterait très consciencieusement trois heures durant!.... Tout d’abord la rencontre sous le plein soleil du pont supérieur d’un bateau en route vers l’Orient, puis la passion à la lumière vacillante des chandelles, enfin l’abandon sous la voie lactée!....

La chair contre l’Esprit, ce combat lancinant qui immerge l’oeuvre de Claudel prend ici dans la mise en scène de Gérard Desarthe la tonalité mystique d’un marivaudage flirtant entre Rohmer et Tchekhov.

Valentine Varela apporte un charme malicieux face à ces trois hommes qui tour à tour cherche dans sa compagnie comme la preuve d’une séduction toujours possible, mais peut-être est-ce précisément la Passion qui aujourd’hui ferait défaut ?

Des ondes semblent traverser la salle! Serait-ce la présence discrète de Ludmila Mikaël qui elle aussi, joua le rôle d’Yse en compagnie de Patrice Kerbrat qui lui, présentement met en scène "TOUT CONTRE", autre forme contemporaine de lutte avec l’Amour qui se dérobe?.... alors qu'en coulisse la vigilance circonspecte de Gérard Desarthe ne cesse d’évoquer les vibrations de «Célimène et le Cardinal», pièce jouée pareillement avec l’inaccessible Ludmila, dans cet autre fameux combat métaphorique entre l’Esprit et la Chair !...

C’est la fonction du Théâtre, par essence éphémère, que de renvoyer au-delà de la contingence, à ces références multiples qui permettent de faire vivre dans la mémoire collective ces instants fugaces qui en font l’Histoire de chacun et de tous!......

A ce titre l’oeuvre de Claudel est extraordinaire car l’impact universel des tourments métaphysiques dont elle est porteuse, la rendent perméable à tous les flux de métamorphose, en demeurant toujours identique à elle-même, c’est-à-dire inexplicable!....

Theothea le 22/01/99.

OH PARDON... TU DORMAIS

de Jane Birkin

 

Mise en scène: Xavier Durringer

**

Théâtre de la Gaité-Montparnasse  

Tel: 01 43 22 16 18

     

   

Lorsqu’un auteur joue une pièce qu’il a écrit lui-même, un sentiment d’intimité semble le relier au spectateur comme dans une confidence prolongée!... Et cependant Xavier Durringer a souhaité mettre en scène au théâtre le script de Jane Birkin en éloignant cette pièce de tout psychologisme autobiographique et en demandant à l’actrice d’aborder ce rôle dans une relation exclusive avec son partenaire!...

Initialement prévue pour un téléfilm dont l’interprète fut Christine Boisson, ce texte narre dans un huis-clos total, les sentiments et ressentiments des deux protagonistes d’un couple dont les liens de complicité paraissent s’étioler en devenant asynchrones!....

Dans cette chambre d’hôtel anonyme que seules les portes de palier et de balcon relient aux contingences extérieures, c’est plus l’émergence de deux pathologies désemparées qui va s’esquisser à notre regard attentif que celle d’un conflit exacerbé par la mauvaise foi réciproque!...

Lui, absorbé par un travail créatif n’est jamais satisfait de lui-même tant son idéal est grand, et tant ce dernier lui apparaît hors de portée!... rien à ses yeux ne vaut le silence dont la qualité principale serait de ne pas décevoir!...

Elle, est à la recherche de preuves d’Amour dont elle perçoit à juste titre la diminution logarithmique !... Sa vulnérabilité existentielle l’empêche d’être à l’écoute de son compagnon et c’est par des flots de logorrhée qu’elle tente désespérément de s’accrocher à l’image projetée de son Amour!....

Comment savoir si ces deux-là « sont faits » pour être et rester ensemble? Cela reste une énigme aux yeux de l’observateur qui constate que leurs besoins respectifs de compréhension, malgré quelques leurres que dispersent l’Auteur et le metteur en scène, ne parviennent pas à se solidariser!...

Ce texte est donc poignant, la mise en scène laisse volontairement à distance, le couple avec son désarroi en s’appuyant sur des rythmes individuels en décalage permanent!... L’interprétation de Jane Birkin est effectivement concentrée sur le jeu sobre de son partenaire.

C’est pour le plaisir de voir Jane Birkin, la comédienne, que le spectateur vient au théâtre de la Gaité-Montparnasse, c’est en ayant apprécié l’écriture et l’interprétation d’une souffrance non feinte qu’il quittera discrètement l’intimité de cette chambre "claustrée" !...

Theothea le 26/01/99

UN TRAMWAY NOMME DESIR

de  Tennessee Wiliams

Mise en scène: Philippe Adrien

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Théâtre de l'Eldorado

Tel: 01 42 38 07 54

Quand une générale de presse s’enflamme pour un « Tramway », cela crée une vague d’applaudissements dont flux et reflux semblent se confondre à l’infini sans qu’une once de suspension puisse en épuiser l’engouement!... C’est précisément le trouble et l’émotion de Caroline Cellier qui libéreront les chaînes de cet enthousiasme majeur pour le laisser se répandre dans une rumeur élogieuse!...

Comme dans un état de grâce, nommé « Désir », un magnétisme torride s’empare du Théâtre de l’Eldorado sans jamais relâcher sur les esprits et sur les corps, l’emprise des chaleurs du Sud!...

A l’image d’une Viviane Leigh revisitée par Anna Karina, des ondes ravageuses de séduction immergent le charisme de Blanche (Caroline Cellier) face à l’ombre d’un Marlon Brando mâtinée de Mickey Rourke qui aurait diaboliquement sensualisé Stanley (Samuel Le Bihan)!...

Quant à Philippe Adrien, le metteur en scène qui s’était confronté, il y a peu dans « Kinkali », avec l’énergie lascive et irradiée par les canicules équatoriales et poisseuses, il s’est trouvé immédiatement de plain pied avec ce « quelque chose » de Tennessee Williams qui subjugue les comédiens au plus profond de leur talent!....

Cet Harrold (Chick Ortega) qui pourrait avoir pris bouture sur un manche à balai, cultive l’art de l’embarras jusque dans la substance de ses vertèbres, si tant est que l’Actor’s studio ait existé avant qu’il soit « pote » avec Stanley!...

De par sa douceur à l’appétence violente, Stella (Florence Pernel) écartelée par les divergences de l’Amour et de l’affection, s’en voudrait à l’avance de rejeter sa soeur Blanche, à l’instar du frère « tourmenteur » de Camille Claudel !...

Mais comment résister au charme de Blanche, elle qui, non satisfaite de provoquer cette irruption de la sensualité là où elle n’était pas attendue, possède cette soif infinie du plaisir poétique, du raffinement des sentiments et des bonnes manières, et aspire telle une adolescente, à l’éventail des passions d’absolu ?

Et cependant la vie ne renvoie pas nécessairement à Blanche cette image qu’elle en aurait souhaitée!... C’est effectivement en raison de cette dichotomie qu’elle sera tentée de s’arranger et d’arranger la Réalité!.... au grand dam de Stanley qui se révélera autant intransigeant vis-à-vis de la mythomanie de sa belle-soeur que complaisant avec sa propre sensibilité d’écorché vif!...

Comment abdiquer avec classe, lorsque la mauvaise foi supplante l’utopie, lorsque le goût de la beauté est harcelé par les ronces ? C’est l’histoire de Blanche dont l’adaptation du « Tramway » par Jean-Marie Besset, vient se sublimer dans le « Désir » de cette rencontre désormais anthologique entre Caroline Cellier et Samuel Le Bihan!...

Theothea le 28/01/99

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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