CHRONIQUES
56 à 60
S11
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DELICATE BALANCE
de Edward Albee
Mise en scène: Bernard Murat
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Théâtre Antoine
Tel: 01 48 78 02 50
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Jusqu’où peut-on aller trop loin dans son rapport à
l’Autre et selon la nature de la relation: Filiation, fratrie, amitié
etc...? L’affection que les êtres humains se portent mutuellement
nécessitent confiance, compréhension, solidarité et
implique demandes, dons, services en échange réciproque !...
Et même s’il n’y pas parité, c’est toujours dans la contrepartie
que se compensent aide et besoin divers !...
Cependant les évènements se compliquent lorsque les liens
relationnels s’entrecroisent: Comment en effet organiser sa disponibilité
lorsque fratrie, filiation et amitié se disputent conjointement vos
suffrages et que leurs interférences contredisent leurs requêtes
respectives ? Faut-il établir une échelle des priorités
et considérer que l’affection obéit à des lois
hiérarchisées ?
Telle pourrait être la trame thématique de « Délicate
balance » où comme son titre le suggère fort habilement,
la gestion des affects rime avec subtilité, doigté et autre
diplomatie !...
Une maison habitée par un couple d’un certain âge dont les
certitudes sur la vie sont fragilisées, une soeur tendance alcoolique
anarchiste, une fille unique perturbée par l’échec annoncé
de son quatrième mariage, un couple d’amis terrorisé soudain
par leur solitude, comment tenir tête lucide alors que tout ce poids
affectif décide de venir se réfugier « at home »
?
Comment faire comprendre à tous ces êtres aimés
différemment qu’ils ne sont pas le « centre du monde » et
qu’il serait pragmatique de renoncer à l’altruisme là où
fleurissent les égocentrismes!...
Bien entendu, ce n’est pas par la voie de la Raison que se résoudront
les conflits qui vont se superposer jusqu’à devenir inextricables,
mais ce serait de préférence par un effet de miroir où
l’exacerbation de l’ensemble des egos va apparaître dans un effet de
grossissement monstrueux, et donc insupportable à chacun des protagonistes
!... Un peu comme si les lâchetés des uns et des autres en se
fondant dans un magma peu flatteur, servaient de révélateur
à une prise de conscience du point ultime de non retour pour chacun
!... Comme une pédagogie par l’excès en guise de thérapie!...
Geneviève Page et Henri Garcin sont aux commandes de ce navire
en perdition dans la nuit noire des angoisses respectives et c’est un régal
que de les voir se compléter pour lancer chacun à leur tour,
des bouées de sauvetage à ces quatre « hommes à
la mer », alors qu’eux-mêmes n’ont plus vraiment le pied marin!...
Une excellente distribution qui, après quelques vicissitudes lors
des répétions, a elle aussi trouvé son point
d’équilibre!...
Theothea le 01/02/99
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LE REVIZOR
de Gogol
Mise en scène: Jean-Louis Benoît
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Comédie-Française
Tel: 01 44 58 15 15
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Denis Podalydès fait partie de ces acteurs géniaux qui
s’emparant d’un rôle lui impriment une tonalité délirante
qui ne cesse de surprendre le spectateur. Il ne s’agit pas tant de numéro
d’acteur que de faire surgir les contrastes, les paradoxes, le surréalisme
d’une situation à travers un personnage. Dans ce rôle d’un simple
fonctionnaire qu’un quiproquo va faire passer pour un inspecteur du gouvernement,
Yvan Alexandrovitch Khestakov excelle à mener à « l’insu
de son plein gré » cet égarement collectif. Voici la
présentation du REVIZOR telle qu’elle est disponible
sur le site web de la Comédie Française.
Theothea le 02/02/99
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IDYLLE A
OKLAHOMA
de Claude Duparfait
Mise en scène:Marion Hewlett
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Théâtre de Gennevilliers
Tel: 01 41 32 26 26
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Trois voies de chemin de fer parallèles qui vont se déployer
en accordéon comme dans un travelling latéral suggérant
tour à tour no man’s land, théâtre, bureau d’embauche,
longs couloirs etc... afin de donner corps aux dernières scènes
du roman inachevé de Kafka « Le disparu » mieux connu sous
le titre de « Amerika », l’un des livres préférés
de Claude Duparfait sur lesquels celui-ci aime à rêver et de
manière infinie!...
Revivre ces émotions de jeune migrant atteignant le port de New-york
et la terre promise d’Amérique, c’est effectivement possible puisque
Franz Kafka lui-même rêvait d’un théâtre pour Karl
à l’issue des épreuves traversées!...
Comme prenant le relais tendu par Kafka, de lecteur à Auteur, puis
metteur en scène et enfin acteur, ce n’est qu’une question de désir
pour franchir le pas du rêve au rêve!... Le ton est donné
et Claude Duparfait, tout inspiré par un humour surréaliste
à la Buster Keaton, va pouvoir retrouver cette fébrile agitation
propre aux films muets surtout s’ils sont accompagnée d’un piano bar
avec batterie...
Pourquoi lorsque Karl, européen sans diplôme, ayant
déjà eu la chance sur son chemin de faire rencontre avec Fanny,
son ange de bon conseil, ne pourrait-il pas être nommé
Ingénieur puisqu’il aime la technique et qu’après avoir
suffisamment intrigué auprès du chef du personnel, celui-ci
se résout à lui proposer une place d’Acteur, alors même
qu’il n’en a ni l’ambition ni le talent à ses propres yeux ?...
Pourquoi serait-il trop tard à 23h30, alors que l’annonce
précisait que tous seraient les bienvenus jusqu’à minuit ?
Pourquoi un européen ne s’appellerait-il pas "Negro"? Pourquoi
renoncer si près du but ?
Des rails, des haut-parleur, des spot-light ... comme un voyage au bout
de la nuit américaine !...
Theothea le 05/02/99
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RIMBAUD, DERNIERE
ESCALE
de Michel Rachline
Mise en scène: Nada Strancar
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Théâtre Molière
Tel: 01 44 54 53 00
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Mais que diable est-il venu faire dans les Ardennes en cet été
1891, lui qui aime tant les grandes chaleurs et le désert, lui qui
a tellement soif de liberté absolue, lui qui chérit
passionnément les aventures lointaines ? Un instant de faiblesse sans
doute, un instant de deux mois espérant que protégé
par sa famille, il pourrait se remettre sur pieds dans la région de
son enfance!...
Mais rien n’y fera car il n’y rencontrera que l’exaspération, celle
que gravement malade, il créée systématiquement autour
de lui ainsi que la sienne propre provoquée par le conformisme
résignée de sa mère!
Peut-être que la véritable raison de ce détour par
la maison familiale quatre mois avant sa mort fût dictée par
l’envie latente de se confronter à son double indentitaire; ce qui
lui fera répéter maintes fois : « C’est de famille
!».
De famille, le mauvais caractère, de famille l’entêtement,
de famille le goût du risque comme si Arthur Rimbaud voulait venir
vérifier une dernière fois qu’il était bien le clone
de sa mère!...
Mais en contrepoint, s’affirme sa soeur qui ignorant pareillement à
cette époque le génie littéraire d’Arthur Rimbaud, pressent
toutefois son extrême vulnérabilité et son angoisse
inavouée. Isabelle se veut prête à toutes les
opportunités pour protéger son frère jusqu’à
l’accompagner dans ses projets les plus insensés face à la
maladie.
Tout se passe comme si dans ce combat de la dernière chance, ces
trois êtres voulaient, quelles que soient leurs maladresses et leurs
lâchetés respectives, se livrer corps et âmes de façon
à faire rejaillir la Vie.
Nada Strancar inspirée par Strindberg organise les rapports de
force en condensant l’espace: Salle à manger et chambre d’Arthur
apparaissent de plain-pied séparées uniquement par quelques
marches d’escalier. Ainsi soeur, frère et mère peuvent se relayer
pour livrer cette lutte perpétuelle avec eux-mêmes!... Un retour
très résolu de Laurent Mallet sur les planches, trois
comédiens bien campés dans leurs personnages qui se montrent
visiblement heureux de jouer ensemble lors des applaudissements!
Theothea le 17/02/99
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MADEMOISELLE
ELSE
d' Arthur Schnitzler
Mise en scène: Didier Long
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Petit Théâtre de Paris
Tel: 01 42 80 01 81
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Mademoiselle Else est une autre!... Une autre que celle qu’elle voudrait
être, une autre avec laquelle elle se confronte, se cogne, se
reflète!.... Des pulsions, des compulsions la traversent et qu’elle
réprime, qu’elle chasse tel un boomerang!.. En villégiature
dans cet hôtel, elle ne peut résister à se façonner
son roman intérieur au gré des rencontres avec les pensionnaires
que sa famille et elle-même côtoient d’une année sur
l’autre.
Dire
que nous devinons ses pensées secrètes serait un euphémisme
car les mêlant systématiquement à ces propos, celles-ci
et ceux-là constituent de fait un dialogue permanent avec elle-même
et dans lequel elle se débat tel un poisson pris dans la nasse!...
S’imitant elle-même, caricaturant les autres, elle se donne des claques
comme pour se réveiller du songe de la jeune fille mondaine en proie
avec les tourments de l’adolescence!.... Mais ce rêve éveillé
et entretenu dans les chambres, le hall, le tennis de ce palace désuet
va peu à peu tourner au cauchemar alors qu’une impérieuse
nécessité va enrayer son esquive incessante:
Un besoin d’argent urgent pour sauver son avocat de père, d’une
faillite annoncée va concrètement la mettre en situation
d’obligée vis-à-vis d’un pensionnaire ami de sa famille!..
C’est alors comme si les deux visages de sa schizophrénie contraints
à se superposer, engageaient une lutte désespérée
pour nier et empêcher ce rapprochement; ce qui l’obligerait à
admettre et à se soumettre aux conditions du prêteur, relativement
tourmenté lui-même!....
Isabelle Carré interprète superbement ce rôle avec
la subtilité d’un peintre qui étendrait sa palette de nuances
infinies et sans cesse surprenantes!... Tenir les rênes parallèles
de cette dichotomie nécessitent une présence exacerbée
de la comédienne puisqu’envers et revers, intérieur et
extérieur sont constamment exposés au yeux de tous!.. Elle
est soutenue par sept comédiens qui esquissent autour d’elle une
atmosphère viscontienne pleine de charme et de volupté, toute
rehaussée par des effets spéciaux qui se fondent dans un imaginaire
sensuellement onirique !..
Theothea le 03/02/99
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