du Forum Théâtre d'AOL

   

     

CHRONIQUES

    Saison 98-99

         61 à 65  S12       

 

    

   

    

      

COPENHAGUE

de Michael Frayn

Mise en scène: Michael Blakemore

***

Théâtre Montparnasse

Tel: 01 43 22 77 74

   

   

La question morale face à la recherche scientifique se dresse au centre du cercle que dessine sur la scène l’espace de mémoire où vont évoluer deux prix Nobel ayant contribué à l’invention de la bombe atomique en compagnie médiatrice d’une de leurs épouses. C’est par-delà leur mort que leur témoignage nous parvient par flash back selon un dialogue analytique qui remonterait le cours du temps, en s’accrochant à leurs souvenirs inéluctablement subjectifs!...

Comment une longue amitié professionnelle peut-elle se trouver subitement rompue en achoppant sur la problématique du Droit moral à persévérer dans une recherche dont les conséquences désastreuses pour l’humanité apparaissent avec évidence selon une perspective politique ?

Et devra-t-on juger ces choix scientifiques à l’aune de l’a priori ou de l’a posteriori, en 1941 ou post mortem ? En effet le regard de Margrethe nous invite à être partie prenante en élaborant un regard critique sur cette extraordinaire aventure atomique dont l’énergie accumulée par cette amitié tourmentée devra effectuer le pendant à l’intensité de la fidélité patriotique!

Un Danemark occupé face à une Allemagne impérieuse et anti-sémite, le Danois Böhr contraint à s’en retourner vers Copenhague et Heisenberg lui décidant d’adopter une collaboration passive; mais pourquoi donc n’aurait-il pas été possible d’accorder leurs violons en 1941, lors de la surprenante visite qu’Heisenberg a voulu effectuer auprès du couple ami ? Que cherchait-il à leur signifier, était-ce une mise en garde, un appel au secours, une entente par-dessus les Etats, alors même qu’ils se savaient tous espionnés et écoutés !...

Très difficile d’ajuster les souvenirs respectifs, mais même au-delà de ces contingences dramatiques, les positions comme les caractères semblent s’être figés à jamais et si l’un se complaît à s’empêtrer dans les concepts contradictoires, l’autre n’a pas l’intuition et le génie d’étayer sa créativité sur ces paradoxes!...

Fallait-il se jeter dans la mer pour sauver son jeune fils tombé par-dessus bord ou au contraire tenter de le sauver en lui lançant une bouée depuis le bateau ? Ce terrible drame familial vécu autrefois par Böhr fera à la fois écran et métaphore pour leur situation affective prise dans la nasse d’un conflit Universel... L’un semble être une proie pour le destin, l’autre semble s’en jouer jusqu’à obtenir la vie sauve pour une dizaine de cigarettes « Lucky Strike »!...

Pierre Vaneck s’imprègne du personnage de Böhr, pragmatique, sans illusion n’ayant guère envie d’agiter des états d’âme qui lui semblent vains; en face tourmenté, fébrile, transpirant de tout son être, Niels Arestrup interprète un scientifique humaniste et idéaliste qui tente de sauvegarder toute parcelle d’espoir et de vie!...

Mais ne serait-ce pas à la fin des fins, un nihilisme consubstantiel qui fusionnera ces deux grands Hommes dans l’amalgame des poussières qu’ils sont désormais devenus ? Trois comédiens, au plus près d’une rencontre sans artifice et au service d’une sensibilité prodigieusement métaphysique!...

Theothea le 09/02/99

LORENZACCIO

de Alfred de Musset

Mise en scène: Gérard Gelas

***

T.E.P.

Tel:

Une mise en scène en noir et blanc, costumes et lumières, teintée de nuances orangées pour souligner les élans affectifs d’un processus inéluctable voire cynique! Des tentures latérales pour décor en esquisse sobre et le drame romantique peut dérouler son énergie contenu au plus profond du texte de Musset!...

Abattre le tyran Alexandre, tel deviendra l’unique préoccupation du jeune Lorenzo dans cette Florence du XVI ème siècle mais au fur et à mesure que le meurtre se prépare, les tenants et aboutissements du crime vont s’estomper au détriment de sa motivation initialement juste.

Ne s’étant pas solidarisé avec le peuple, n’ayant pas organisé avec les conjurés la succession du tyran, cet assassinat se constitue en objectif qui n’aurait le mérite que de valoriser l’idée que Lorenzo se faisait de lui-même!... car plus l’exécution approche, et plus il doute sur la signification d’un tel geste qui lui a fait perdre jusqu’à son âme!

En effet de jeune homme vertueux promis au plus bel avenir, il est devenu peu à peu cet entremetteur sournois rompu à tous les vices, ayant goûté à toutes les débauches de façon à mieux se faire accepter du Duc Alexandre et à endormir sa méfiance!...

Vouloir éradiquer le mal en s’y acoquinant pour mieux y mettre un terme, telle est la méthode de Lorenzaccio, tel est aussi son échec car son orgueil et son ignorance politique lui ont fait perdre de vue que le tyran n’est qu’une représentation interchangeable au sein de la tyrannie!...

En s’empêchant de renoncer à ce qu’il feint de croire être l’honneur de sa vie, alors que diplomatie politique, stratégies et intérêts cléricaux s’agitent aux alentours, quasiment seul contre tous, il ira jusqu’au bout de son idée!... Il sera finalement désavoué par le peuple et assassiné à son tour!...

Des comédiens particulièrement habités par leurs rôles au sein de la compagnie du chêne noir donnent à ce chef d’oeuvre du théâtre français, une force existentielle qui force respect et admiration.

Theothea le 11/02/99

LA CERISAIE

de Tchekhov

Mise en scène: Georges Wilson

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Espace Pierre Cardin

Tel: 01 42 65 27 35

 

La Cerisaie est une pièce de fin d’un monde pour ne pas dire de fin du monde!... Dans une perspective emblématique de tout ce qui se termine en hésitant à franchir le pas pour un ailleurs toujours indéterminé, aussi exaltant qu’inquiétant, La Cerisaie ne cesse depuis sa création, tel le phénix de renaître, en tentant d'unifier les concepts de Fin et de Commencement !...

 

Lorsque s’approchant de la fenêtre, Lioubov et son frère Leonid se mettent à contempler la beauté des cerisiers en fleurs, pressentant que ce ne serait bientôt plus qu’un souvenir, c’est dans leurs yeux éblouis que nous sommes invités à ressentir le charme infini qu’il nous faudra rompre!...

Car La Cerisaie, bien qu’elle se situe au fin fond de la Russie en fin de XIXème siècle, est un miroir aux spectateurs et c’est bien cette métaphore réfléchie que Georges Wilson a souhaité ardemment mettre en scène!...

Ainsi entre les actes, le changement de décor se fait à vue par les comédiens eux-mêmes qui glissent comme des ombres dans la pénombre, tels des fantômes qu’ils ne seront plus l’instant d’après!...

Et si donc les visages prennent si bien la lumière, c’est pour que l’émerveillement reste  dans les coeurs à défaut de subsister dans les esprits, car il faudra bien se résoudre à la vendre cette propriété familiale et chacun d’affronter son destin fort de cette mémoire collective et néanmoins subjective!

D’ailleurs ici Lopakine, l’ex-moujik, semblera aussi atterré que ses anciens maîtres à l’idée d’avoir osé transgresser l’ordre établi en rachetant fort opportunément le domaine avec l’idée de l’en peupler de lotissements locatifs.

C’est comme si tout se déroulait sans plan préétabli et que paradoxalement tout était écrit d’avance... par Tchékhov! Humour, nostalgie, bonheur et agacement d’être ensemble, même Trofimov, l’étudiant idéaliste qui prêche la révolution sociale du grand soir semble avoir toute sa place au sein du groupe!..

En effet le metteur en scène nous montre ici qu’au-delà d’une analyse politique sous-jacente, l’enjeu véritable de cette Cerisaie est celle du temps de l’enfance des personnages, celle du monde et donc de la nôtre! Comment sortir sans faille d’une situation protégée où chacun à sa place, semble s’être tissé un lien au rêve; est-il d’ailleurs vraiment si indispensable d’en sortir ?

C’est sans doute en raison de cette problématique que chaque soir quelque part dans le monde il est impérieux que se joue La Cerisaie !

La chance veut que cette ultime comédie de Tchekov (ainsi la considérait-il!) soit présentement à l’Espace Pierre Cardin; que Marina Vlady y incarne sublimement la rédemption de nos sentiments face à un Georges Wilson qui peut oser la séduction incestueusement distanciée pendant que Bernard-Pierre Donnadieu a la sérénité naturelle de relativiser l’outrecuidance de Lopakine.

Comme un voyage des comédiens, tous sont là au diapason d’une petite musique lancinante qui ne cesse de tourmenter nos sens en tentant vainement d’inhiber la compulsion des émotions!..

Demain, assurément est un autre jour!...

Theothea le 15/02/99

LE VIEUX ET LE PERROQUET

de  Gérard Gelas

Mise en scène: Claude Confortès

***

Théâtre Tristan Bernard

Tel: 01 45 22 08 40

Mais qui sont-ils? Mais qu’est-elle cette famille d’accueil qui héberge des pensionnaires placés par la « CUSE »? Et qu’est-ce que ce perroquet complote avec les vieux qui occupent successivement cette chambre d’hôte, véritable base arrière du camp retranché qu’est devenu cet appartement?

Qu’il est blême ce HLM, qu’ils sont ébouriffants les occupants de ce F4 qui se la jouent « intérieur Louis Philippe » selon le voeu de la mère et qui passent avec une aisance confondante de leurs velléités aux mystifications!

Pour sûr, ils ne s’ennuient pas, faisant de leur vie un théâtre permanent qu’ils se donnent à eux-mêmes, les parents tout occupés à pomper les diverses allocations, les enfants à s’enjoliver un monde quasiment virtuel!

Le père, qui a fait de la prison pour meurtre, vit depuis dans une parano dédiée au souvenir de sa mère; une sorte de « tête brûlée » prêt à tous les coups tordus pour se procurer des subsides ! La mère elle, une séductrice frustrée sur le retour d’âge qui a épousé son homme pour le meilleur et pour le pire, c’est-à-dire en fait pour le traiter de joyeux « connard » toute la sainte journée!

Complices dans le non-dit, ils s’entendent à merveille pour se mentir et organiser de concert leurs petites affaires respectives ! Je t’embrouille, tu m’embrouilles et tout va pour le mieux dans le monde des affabulateurs!

Ca parle beaucoup, ça élève la voix, çà éructe à qui mieux mieux des onomatopées mais c’est pourtant qu’ils sont sensibles ces deux-là, toujours proches de la larme à l’oeil, des bons sentiments, complètement imprégnés de la nostalgie du bon vieux temps!...

Et puis chez ces gens-là, il y a Antoine le frère, constamment polarisé par « FIFO », la radio d’informations en continu qui le relie fictivement au monde et qui lui donne par exemple des nouvelles de l’augmentation du « NMI » qu’il touche puisqu’il a quitté le collège sous le conseil de son père!... A moins qu’il se soit encore emballé et que ce soit seulement le nombre d’allocataires qui est augmenté!...

Quant à Elisa sa soeur, elle vient évidemment en parfaite midinette patentée de rencontrer le Grand Amour et de s’apercevoir derechef qu’il s’agit d’une ordure! La Totale donc!...

Et ce d’autant plus qu’à une pièce de là, survit le Vieux qui a pris le relais de son prédécesseur en développant une affinité partagée avec ce perroquet tellement bavard qu’il en excède la Famille par-delà les cloisons de la chambre...

Le train-train quotidien va soudain se corser lorsqu’Antoine va apprendre grâce à « FIFO » que le perroquet détient un secret qui pourrait rapporter gros!...

Une pièce truculente dont il faudrait pouvoir pleurer si les comédiens et le metteur en scène n’avaient pas décidé de nous en faire sourire et rire -Evoquons notamment une époustouflante interprétation de Maaïke Jansen-! A l’instar des « Deschiens », ce monde nous est terriblement proche mais bien entendu  s’il s’agissait d’un effet de miroir, nous jurerions qu’il est évidemment trompeur!...

Theothea le 18/02/99

TEDY

de  Jean-Louis Bourdon

Mise en scène: Jean-Michel Ribes

***

Théâtre de Poche

Tel: 01 45 48 92 97

 

Des gestes brusques et incisifs, une démarche heurtée, des phrases syncopées, tout le tourment intérieur de Tedy s’exprime ainsi au travers de son comportement. Le travail de Roland Blanche en habitant le personnage au plus profond de sa vérité est de restituer le tragique de ses pulsions toutes empreintes de violence, de férocité en même temps que de sensibilité et d’absolu.

Tedy, l’homme aux cent meurtres en compagnie de son comparse et néanmoins amant, Herbert à qui désormais il reproche de l’avoir trahi pour avoir révélé des détails de leur vie intime aux enquêteurs.

Tedy, un monstre? ou plus exactement un être humain dont une loupe fortement grossissante aurait réussi par transparence à nous montrer le subconscient libéré de ses garde-fou!

Comment peut-il être autant vulnérable, autant susceptible, si ce n’est parce qu’il a une très haute idée de ce que devrait être l’homme, la femme, l’enfant et surtout Dieu ! Alors comme la réalité le déçoit au plus haut point et qu’il n’est pas en mesure de relativiser et d’établir des compromis, il se débarrasse des gêneurs, il les trucide, comme on écrase un moustique qui viendrait vous exciter et vous narguer!...

Repoussé au plus extrême de ses retranchements, dans cette cellule de la mort à quelques heures de l’exécution, il dialogue intérieurement se remémorant les traumatismes de son enfance violée, puis toutes les étapes de l’itinéraire d’un être que la vie a déboussolé et dont il ne perçoit toujours pas l’élément décisif que son ambition morale aurait pu modifier!

Tout semblait écrit à l’avance, et en définitive il ne désirerait rien changer à son destin si ce n’est cette amitié ultimement trahie et qui lui a ôté ce denier espoir qu’il pouvait encore nourrir vis-à-vis du genre humain!...

Une prestation d’acteur remarquable dégageant une immense force contenue dans le décor réfrigérant d’une cellule de prison américaine. Dans la totale proximité du théâtre de poche, Roland Blanche déverse une vague de transgression inouïe, alors que Tedy ne cesse de se cogner sur les parois invisibles qu’il avait lui-même contribué à élever autour d’une existence torturée.

Theothea le 22/02/99

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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