CHRONIQUES
61 à 65
S12
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COPENHAGUE
de Michael Frayn
Mise en scène: Michael Blakemore
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Théâtre Montparnasse
Tel: 01 43 22 77 74
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La question morale face à la recherche scientifique se dresse au
centre du cercle que dessine sur la scène l’espace de mémoire
où vont évoluer deux prix Nobel ayant contribué à
l’invention de la bombe atomique en compagnie médiatrice d’une de
leurs épouses. C’est par-delà leur mort que leur témoignage
nous parvient par flash back selon un dialogue analytique qui remonterait
le cours du temps, en s’accrochant à leurs souvenirs inéluctablement
subjectifs!...
Comment une longue amitié professionnelle peut-elle se trouver
subitement rompue en achoppant sur la problématique du Droit moral
à persévérer dans une recherche dont les conséquences
désastreuses pour l’humanité apparaissent avec évidence
selon une perspective politique ?
Et devra-t-on juger ces choix scientifiques à l’aune de l’a priori
ou de l’a posteriori, en 1941 ou post mortem ? En effet le regard de Margrethe
nous invite à être partie prenante en élaborant un regard
critique sur cette extraordinaire aventure atomique dont l’énergie
accumulée par cette amitié tourmentée devra effectuer
le pendant à l’intensité de la fidélité patriotique!
Un Danemark occupé face à une Allemagne impérieuse
et anti-sémite, le Danois Böhr contraint à s’en retourner
vers Copenhague et Heisenberg lui décidant d’adopter une collaboration
passive; mais pourquoi donc n’aurait-il pas été possible
d’accorder leurs violons en 1941, lors de la surprenante visite
qu’Heisenberg a voulu effectuer auprès du couple ami ? Que cherchait-il
à leur signifier, était-ce une mise en garde, un appel au secours,
une entente par-dessus les Etats, alors même qu’ils se savaient tous
espionnés et écoutés !...
Très difficile d’ajuster les souvenirs respectifs, mais même
au-delà de ces contingences dramatiques, les positions comme les
caractères semblent s’être figés à jamais et si
l’un se complaît à s’empêtrer dans les concepts
contradictoires, l’autre n’a pas l’intuition et le génie
d’étayer sa créativité sur ces paradoxes!...
Fallait-il se jeter dans la mer pour sauver son jeune fils tombé
par-dessus bord ou au contraire tenter de le sauver en lui lançant
une bouée depuis le bateau ? Ce terrible drame familial vécu
autrefois par Böhr fera à la fois écran et métaphore
pour leur situation affective prise dans la nasse d’un conflit Universel...
L’un semble être une proie pour le destin, l’autre semble s’en jouer
jusqu’à obtenir la vie sauve pour une dizaine de cigarettes «
Lucky Strike »!...
Pierre Vaneck s’imprègne du personnage de Böhr, pragmatique,
sans illusion n’ayant guère envie d’agiter des états
d’âme qui lui semblent vains; en face tourmenté, fébrile,
transpirant de tout son être, Niels Arestrup interprète un
scientifique humaniste et idéaliste qui tente de sauvegarder toute
parcelle d’espoir et de vie!...
Mais ne serait-ce pas à la fin des fins, un nihilisme consubstantiel
qui fusionnera ces deux grands Hommes dans l’amalgame des poussières
qu’ils sont désormais devenus ? Trois comédiens, au plus près
d’une rencontre sans artifice et au service d’une sensibilité
prodigieusement métaphysique!...
Theothea le 09/02/99
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LORENZACCIO
de Alfred de Musset
Mise en scène: Gérard Gelas
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T.E.P.
Tel:
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Une mise en scène en noir et blanc, costumes et lumières,
teintée de nuances orangées pour souligner les élans
affectifs d’un processus inéluctable voire cynique! Des tentures
latérales pour décor en esquisse sobre et le drame romantique
peut dérouler son énergie contenu au plus profond du texte
de Musset!...
Abattre le tyran Alexandre, tel deviendra l’unique préoccupation
du jeune Lorenzo dans cette Florence du XVI ème siècle mais
au fur et à mesure que le meurtre se prépare, les tenants et
aboutissements du crime vont s’estomper au détriment de sa motivation
initialement juste.
Ne s’étant pas solidarisé avec le peuple, n’ayant pas
organisé avec les conjurés la succession du tyran, cet assassinat
se constitue en objectif qui n’aurait le mérite que de valoriser
l’idée que Lorenzo se faisait de lui-même!... car plus
l’exécution approche, et plus il doute sur la signification d’un tel
geste qui lui a fait perdre jusqu’à son âme!
En effet de jeune homme vertueux promis au plus bel avenir, il est devenu
peu à peu cet entremetteur sournois rompu à tous les vices,
ayant goûté à toutes les débauches de façon
à mieux se faire accepter du Duc Alexandre et à endormir sa
méfiance!...
Vouloir éradiquer le mal en s’y acoquinant pour mieux y mettre
un terme, telle est la méthode de Lorenzaccio, tel est aussi son
échec car son orgueil et son ignorance politique lui ont fait perdre
de vue que le tyran n’est qu’une représentation interchangeable au
sein de la tyrannie!...
En s’empêchant de renoncer à ce qu’il feint de croire être
l’honneur de sa vie, alors que diplomatie politique, stratégies et
intérêts cléricaux s’agitent aux alentours, quasiment
seul contre tous, il ira jusqu’au bout de son idée!... Il sera finalement
désavoué par le peuple et assassiné à son tour!...
Des comédiens particulièrement habités par leurs
rôles au sein de la compagnie du chêne noir donnent à
ce chef d’oeuvre du théâtre français, une force existentielle
qui force respect et admiration.
Theothea le 11/02/99
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LA
CERISAIE
de Tchekhov
Mise en scène: Georges Wilson
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Espace Pierre Cardin
Tel: 01 42 65 27 35
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La Cerisaie est une pièce de fin d’un monde pour ne pas dire de
fin du monde!... Dans une perspective emblématique de tout ce qui
se termine en hésitant à franchir le pas pour un ailleurs toujours
indéterminé, aussi exaltant qu’inquiétant, La Cerisaie
ne cesse depuis sa création, tel le phénix de renaître,
en tentant d'unifier les concepts de Fin et de Commencement !...
Lorsque s’approchant de la fenêtre, Lioubov et son frère
Leonid se mettent à contempler la beauté des cerisiers en fleurs,
pressentant que ce ne serait bientôt plus qu’un souvenir, c’est dans
leurs yeux éblouis que nous sommes invités à ressentir
le charme infini qu’il nous faudra rompre!...
Car La Cerisaie, bien qu’elle se situe au fin fond de la Russie en fin
de XIXème siècle, est un miroir aux spectateurs et c’est bien
cette métaphore réfléchie que Georges Wilson a
souhaité ardemment mettre en scène!...
Ainsi entre les actes, le changement de décor se fait à
vue par les comédiens eux-mêmes qui glissent comme des ombres
dans la pénombre, tels des fantômes qu’ils ne seront plus
l’instant d’après!...
Et si donc les visages prennent si bien la lumière, c’est pour
que l’émerveillement reste dans les coeurs à défaut
de subsister dans les esprits, car il faudra bien se résoudre à
la vendre cette propriété familiale et chacun d’affronter son
destin fort de cette mémoire collective et néanmoins subjective!
D’ailleurs ici Lopakine, l’ex-moujik, semblera aussi atterré que
ses anciens maîtres à l’idée d’avoir osé transgresser
l’ordre établi en rachetant fort opportunément le domaine avec
l’idée de l’en peupler de lotissements locatifs.
C’est comme si tout se déroulait sans plan préétabli
et que paradoxalement tout était écrit d’avance... par
Tchékhov! Humour, nostalgie, bonheur et agacement d’être ensemble,
même Trofimov, l’étudiant idéaliste qui prêche
la révolution sociale du grand soir semble avoir toute sa place au
sein du groupe!..
En effet le metteur en scène nous montre ici qu’au-delà
d’une analyse politique sous-jacente, l’enjeu véritable de cette Cerisaie
est celle du temps de l’enfance des personnages, celle du monde et donc de
la nôtre! Comment sortir sans faille d’une situation protégée
où chacun à sa place, semble s’être tissé un lien
au rêve; est-il d’ailleurs vraiment si indispensable d’en sortir ?
C’est sans doute en raison de cette problématique que chaque soir
quelque part dans le monde il est impérieux que se joue La Cerisaie
!
La chance veut que cette ultime comédie de Tchekov (ainsi la
considérait-il!) soit présentement à l’Espace Pierre
Cardin; que Marina Vlady y incarne sublimement la rédemption de nos
sentiments face à un Georges Wilson qui peut oser la séduction
incestueusement distanciée pendant que Bernard-Pierre Donnadieu a
la sérénité naturelle de relativiser l’outrecuidance
de Lopakine.
Comme un voyage des comédiens, tous sont là au diapason
d’une petite musique lancinante qui ne cesse de tourmenter nos sens en tentant
vainement d’inhiber la compulsion des émotions!..
Demain, assurément est un autre jour!...
Theothea le 15/02/99
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LE VIEUX ET LE
PERROQUET
de Gérard Gelas
Mise en scène: Claude Confortès
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Théâtre Tristan Bernard
Tel: 01 45 22 08 40
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Mais qui sont-ils? Mais qu’est-elle cette famille d’accueil qui héberge
des pensionnaires placés par la « CUSE »? Et qu’est-ce que
ce perroquet complote avec les vieux qui occupent successivement cette chambre
d’hôte, véritable base arrière du camp retranché
qu’est devenu cet appartement?
Qu’il est blême ce HLM, qu’ils sont ébouriffants les occupants
de ce F4 qui se la jouent « intérieur Louis Philippe » selon
le voeu de la mère et qui passent avec une aisance confondante de
leurs velléités aux mystifications!
Pour sûr, ils ne s’ennuient pas, faisant de leur vie un
théâtre permanent qu’ils se donnent à eux-mêmes,
les parents tout occupés à pomper les diverses allocations,
les enfants à s’enjoliver un monde quasiment virtuel!
Le père, qui a fait de la prison pour meurtre, vit depuis dans
une parano dédiée au souvenir de sa mère; une sorte
de « tête brûlée » prêt à tous
les coups tordus pour se procurer des subsides ! La mère elle, une
séductrice frustrée sur le retour d’âge qui a
épousé son homme pour le meilleur et pour le pire,
c’est-à-dire en fait pour le traiter de joyeux « connard »
toute la sainte journée!
Complices dans le non-dit, ils s’entendent à merveille pour se
mentir et organiser de concert leurs petites affaires respectives ! Je
t’embrouille, tu m’embrouilles et tout va pour le mieux dans le monde des
affabulateurs!
Ca parle beaucoup, ça élève la voix, çà
éructe à qui mieux mieux des onomatopées mais c’est
pourtant qu’ils sont sensibles ces deux-là, toujours proches de la
larme à l’oeil, des bons sentiments, complètement
imprégnés de la nostalgie du bon vieux temps!...
Et puis chez ces gens-là, il y a Antoine le frère, constamment
polarisé par « FIFO », la radio d’informations en continu
qui le relie fictivement au monde et qui lui donne par exemple des nouvelles
de l’augmentation du « NMI » qu’il touche puisqu’il a quitté
le collège sous le conseil de son père!... A moins qu’il se
soit encore emballé et que ce soit seulement le nombre
d’allocataires qui est augmenté!...
Quant à Elisa sa soeur, elle vient évidemment en parfaite
midinette patentée de rencontrer le Grand Amour et de s’apercevoir
derechef qu’il s’agit d’une ordure! La Totale donc!...
Et ce d’autant plus qu’à une pièce de là, survit
le Vieux qui a pris le relais de son prédécesseur en
développant une affinité partagée avec ce perroquet
tellement bavard qu’il en excède la Famille par-delà les cloisons
de la chambre...
Le train-train quotidien va soudain se corser lorsqu’Antoine va apprendre
grâce à « FIFO » que le perroquet détient un
secret qui pourrait rapporter gros!...
Une pièce truculente dont il faudrait pouvoir pleurer si les
comédiens et le metteur en scène n’avaient pas décidé
de nous en faire sourire et rire -Evoquons notamment une époustouflante
interprétation de Maaïke Jansen-! A l’instar des « Deschiens
», ce monde nous est terriblement proche mais bien entendu s’il
s’agissait d’un effet de miroir, nous jurerions qu’il est évidemment
trompeur!...
Theothea le 18/02/99
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TEDY
de Jean-Louis Bourdon
Mise en scène: Jean-Michel Ribes
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Théâtre de Poche
Tel: 01 45 48 92 97
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Des gestes brusques et incisifs, une démarche heurtée, des
phrases syncopées, tout le tourment intérieur de Tedy
s’exprime ainsi au travers de son comportement. Le travail de Roland Blanche
en habitant le personnage au plus profond de sa vérité est
de restituer le tragique de ses pulsions toutes empreintes de violence, de
férocité en même temps que de sensibilité et
d’absolu.
Tedy, l’homme aux cent meurtres en compagnie de son comparse et
néanmoins amant, Herbert à qui désormais il reproche
de l’avoir trahi pour avoir révélé des détails
de leur vie intime aux enquêteurs.
Tedy, un monstre? ou plus exactement un être humain dont une loupe
fortement grossissante aurait réussi par transparence à nous
montrer le subconscient libéré de ses garde-fou!
Comment peut-il être autant vulnérable, autant susceptible,
si ce n’est parce qu’il a une très haute idée de ce que devrait
être l’homme, la femme, l’enfant et surtout Dieu ! Alors comme la
réalité le déçoit au plus haut point et qu’il
n’est pas en mesure de relativiser et d’établir des compromis, il
se débarrasse des gêneurs, il les trucide, comme on écrase
un moustique qui viendrait vous exciter et vous narguer!...
Repoussé au plus extrême de ses retranchements, dans cette
cellule de la mort à quelques heures de l’exécution, il dialogue
intérieurement se remémorant les traumatismes de son enfance
violée, puis toutes les étapes de l’itinéraire d’un
être que la vie a déboussolé et dont il ne perçoit
toujours pas l’élément décisif que son ambition morale
aurait pu modifier!
Tout semblait écrit à l’avance, et en définitive
il ne désirerait rien changer à son destin si ce n’est cette
amitié ultimement trahie et qui lui a ôté ce denier espoir
qu’il pouvait encore nourrir vis-à-vis du genre humain!...
Une prestation d’acteur remarquable dégageant une immense force
contenue dans le décor réfrigérant d’une cellule de
prison américaine. Dans la totale proximité du théâtre
de poche, Roland Blanche déverse une vague de transgression inouïe,
alors que Tedy ne cesse de se cogner sur les parois invisibles qu’il avait
lui-même contribué à élever autour d’une existence
torturée.
Theothea le 22/02/99
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