du Forum Théâtre d'AOL

   

     

CHRONIQUES

    Saison 98-99

         66 à 70  S13       

 

    

   

    

      

LE DESENCHANTE

de Budd Schulberg

Mise en scène: François Bourgeat

**

Théâtre Silvia Monfort 

Tel: 01 45 31 10 96

   

   

S’approprier la grande scène du Théâtre Silvia Monfort est certes un défi alors que le vide de son volume semble s’en être déjà emparé!... Quelques spots-light et sièges de cinéma pour signifier les studios d’Hollywood et l’artiste doit impérieusement faire son tour de piste pour occuper les lieux; alors Jean-Pierre Cassel arpente, court, danse, se plaque sur le mur du fond pour clamer: Je suis seul mais j’existe!...

Deux écrivains à la fois, le néophyte et le confirmé, celui qui n’a pas encore et celui qui n’a plus le succès tant convoité aux USA de ces années 20-30, Scott Fitzgerald et son double, l’élève et le maître, le désenchanté et son confident; et puis Zelda l’Amour de sa vie et puis... Jean-Pierre Cassel est tout cela, il passe des uns à l’autre, il est les uns et l’autre!...

« Il n’y a pire faillite que le succès », il est illusoire de penser qu’il pourrait se présenter une seconde chance!... A chacun donc de la saisir à bras le corps et de la retenir jusqu’à plus soif!... Sur ce thème, les folles années vont peu à peu s’éloigner comme un navire à l’horizon et faire surgir en lieu et place nostalgie et mélancolie, à la recherche effrénée d’un temps, qui quoi qu’il advienne, ne sera plus!...

Alors tous ces personnages l’encouragent, lui y croit, il écrit.... très bien même, mieux peut-être que jamais, et pourtant l’état de grâce n’est plus!.... Comme un soufflé qui n’en finirait pas de monter et de redescendre de son piédestal, mais toujours un peu plus bas à chaque cycle!...

Jean-Pierre Cassel s’anime, s’investit, intériorise le dilemme, mais est-il vraiment convaincu d’avoir trouvé le ton juste ? Si le comédien a toujours su interpréter la joie avec aisance, en est-il de même pour le drame intime ? Son talent artistique ne serait-il pas devenu avec le temps et désormais plus en phase avec le cynisme, la distanciation ? Sans doute l’étrangeté pourrait lui convenir; il lui faudrait alors franchir le pas d’un miroir lisse, atteindre un autre bord que sa souplesse physique ne lui a pas encore fait atteindre! En l’attendant, nous l’applaudissons avec ferveur!...

Theothea le 23/02/99

L'HEURE VERTE

de Roger Défossez

Mise en scène: Nicolas Bataille

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Théâtre de la Huchette

Tel: 01 43 26 38 99

Rimbaud, Verlaine!... Verlaine, Rimbaud!... Le couple fait florès! C’est ainsi qu’après « L’Amour fou » au Lucernaire la saison précédente, « Rimbaud, dernière escale » au Théâtre Molière actuellement, le théâtre de la Huchette à son tour propose une création de Nicolas Bataille qui ,en flash-back, laisse Verlaine se confier à son ami le portraitiste Cazals en une pérégrination attachante des frasques de sa vie!...

C’est évidemment de Rimbaud que seraient venues les dérives, alors que Verlaine, doué d’un sens inné de l’insouciance, s’étonne qu’il ait pu ainsi traverser dans l’Amour tant de tourments!...

La mise en scène et l’interprétation sont délibérément légères comme pour signifier qu’à l’exception du talent (excusez du peu!...), la vie de Verlaine aurait pu être celle d’un artiste tranquillement installé.

Mais comment s’adapter quand la foudre vous tombe dessus, sans crier gare et que sensibilité, sensualité et créativité s’entrechoquent ?

Un Rimbaud (N. Guillot) et un Cazals (X. Lemaire), Deux Verlaine (F. Chodat et T.Leclerc) et enfin une Lisa Livane qui se métamorphose à sept reprises interprétant tour à tour l’ensemble des femmes qui côtoyèrent avec plus ou moins de bonheur Verlaine, du gamin au vieillard de 52 ans!...

La minuscule scène du théâtre de la Huchette au service de la fulgurance du génie littéraire dans les vapeurs crépusculaires de l’absinthe, c’est-à-dire à l’heure verte!...

Theothea le 24/02/99

LE LEGS

de Marivaux

Mise en scène: Jean-Pierre Miquel

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Studio-Théâtre

Tel: 01 44 58 98 58

Deux cent mille francs sont en jeu !.... Qui de la Cupidité ou de l’Avarice triomphera face à l’Amour qui de toutes façons en sortira dévalorisé ? Si en définitive les couples se formeront selon les inclinations initiales, les stratégies et autres transactions auront eu raison de l’Amour avec un grand « A ».

Le Marquis épousera effectivement la Comtesse, alors qu’Hortense s’unira avec Le Chevalier pour le meilleur, en recevant au passage les deux cent mille francs que lui versera ledit Marquis assujetti par testament au cas il ne se marierait pas précisément avec cette Hortense!....

Avec l’appui de leurs domestiques respectifs, tous feindront de respecter la recommandation nuptiale du testament de façon à contraindre la partie adverse à dévoiler son intérêt financier! Comme dans une vaste partie d’échec à multiples joueurs, celui qui baissera la garde le premier perdra l’enjeu; qui donc le premier acceptera de perdre l’argent au profit de sa passion amoureuse ?

La reprise du « Legs » est une merveille d’interprétation laissant prioritairement la part belle aux deux dames!... Clotide de Bayser et Cécile Brune emmènent avec conviction et charme tout leur petit monde dans une valse dialectique et perfide !... Denis Podalydès, un peu en réserve des effets qu’il sait pratiquer avec brio, joue son marquis en timidité mufle! Quant à Nicolas Lormeau, le valet, il affiche une effronterie faussement respectueuse inversement proportionnelle à la bienséance malicieuse de sa collègue Claudie Guillot.

Soixante-dix minutes de plaisir à 18h30 au studio théâtre, qui refuserait ce précieux Legs de Marivaux ?

Theothea le 25/02/99

SUR LES SOMMETS, LE REPOS

de Thomas Bernhard

Mise en scène: Arlette Téphany

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Théâtre 14

Tel: 01 45 45 49 77

 

« Comme dirait le Professeur Chardonneret dans ma Tétralogie », ainsi s’exprime systématiquement Moritz Meister pour étayer chacune des explications qu’il adresse à ses visiteurs afin d' expliciter consciencieusement la philosophie de son Oeuvre tout en contemplant l'image flatteuse de son clone dans le regard médusé de son auditoire!...

Dans ce château (logé aux bons soins de l’état) loin des tracas de la société contemporaine, il soliloque devant les visiteurs ébaubis qui se succèdent, étudiant en doctorat, journaliste, éditeur et même facteur, tel un nouveau M. Jourdain qui en découvrant le miracle de l’écriture s’émerveille du Pouvoir culturel qu’il aurait usurpé!...

Ce paradoxe de la Culture au service de la vanité et de la vacuité, Moritz Meister en échafaude l’immense édifice que son épouse conforte, adule, entretient alors même qu’elle y perd son propre talent et toutes ses inclinations artistiques...

Au-delà de l’observation attentive des comportements sociaux-culturels, Thomas Bernhard incite le public d’en devenir un acteur critique à part entière!....

En effet aucun des protagonistes sur scène ne manifestant le moindre doute à l’égard du bien-fondé de la notoriété de l’oeuvre de Meister, c’est au spectateur que Thomas Bernhard a dévolu le rôle d’empêcheur de tourner en*rond de façon à établir un jugement critique sur la valeur ou non d’un Auteur qui en s’auto-célébrant grâce à des citations et des références érigées en système récurent, ferait écran non seulement avec l’approche cognitive de la Réalité mais surtout avec chacune des intelligences qu’il prendrait ainsi en otage.

Pierre Meyrand a le talent de brosser des personnages monstrueux en les habitant de manière bonhomme; son aisance naturelle est confondante par la satisfaction et le contentement de soi qu’ose afficher ostensiblement Meister.

Chacun des autres rôles est joué sur le ton de la déférence absolue; ainsi jamais, au grand jamais le moindre grain de sable ne sera susceptible de déranger l’ordre établi : d’une part le Maître soi-disant omniscient, d’autre part tous ceux qui le côtoient, constituent de fait ses élèves tellement respectueux!...

C’est ce schéma autistique que voulait faire exploser Thomas Bernhard à l’égard de la culture germanophone; faudrait-il que ses flèches fustigent pareillement notre modèle culturel latin ?

Theothea, le 3/03/99

L'INCONNUE DE LA SEINE

de  Ödön von Horvath

Mise en scène: Christian Peythieu

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Théâtre Lavoir moderne parisien

Tel: 01 42 52 09 14

 

Lieu étrange et fascinant au fin fond des quartiers délaissés du XVIII ème arrondissement, entre Léon de Château-Rouge et Léon de Marcadet-Poissonniers et déjà tout un programme en soi que ce Lavoir Moderne Parisien!...

Poutres apparentes au plafond et piliers de bois massif où s’égayent encore des isolateurs apparents qui laissent deviner des circuits électriques d’antan incertains, une centaine de places en gradins séparées du hall d’accueil avec bar, par une rudimentaire cabine technique en gardienne du temple!...

L’Inconnue toute blanche vêtue peut surgir de nulle part, c’est-à-dire des eaux de la Seine, l’atmosphère des films poétiques et noirs à la Marcel Carné et Clouzot s’est déjà emparée de notre système d’orientation, l’avant-guerre a un de ces goûts de flash-back que nous pourrions en deviner pour un peu les odeurs!...

Une pièce mise en scène à "la Doisneau", avec des personnages photo-scèniques qui, se télescopant, insufflent  à notre imaginaire émoustillé ces vies de gigolo insouciant auxquelles nous avons renoncé... et pourtant il y a crime!... et surtout il y aura impunité!...

Tous les petits métiers des rues, leurs résidants sauront que le vieux bijoutier a été assassiné pour des motifs crapuleux, mais mine de rien la loi du silence sera la plus forte et sa disparition comme sa vie nous apparaîtront comme fictives, comme si rien ne s’était passé, comme si le long fleuve de la Scène écoulait tranquillement sa vie!.... Tous complices et sans doute les spectateurs en seront-ils mouillés!...

La vieille gitane avait prévenu l’Auteur, Ödön von Horvath qu’un événement décisif l’attendait à Paris!... Il fut effectivement tué sur le coup par un marronnier centenaire qui s’abattit sur son passage près du Théâtre Marigny, le 1er Juin 38!...

Auparavant en Européen clairvoyant, destin improbable de l’austro-hongrois qu’il fut, ses métaphores théâtrales avaient su éveiller les consciences des générations à venir sur le péril latent et ô combien ordinaire que sécrétait insidieusement la montée du nazisme auprès du conformisme ambiant!...

Le masque de la noyée, sortie des ondes telle la Lorelei, s’offrait désormais à l’oeil perspicace de Caïn!...

Theothea le 9/03/99

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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