CHRONIQUES
66 à 70
S13
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LE
DESENCHANTE
de Budd Schulberg
Mise en scène: François Bourgeat
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Théâtre Silvia Monfort
Tel: 01 45 31 10 96
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S’approprier la grande scène du Théâtre Silvia Monfort
est certes un défi alors que le vide de son volume semble s’en être
déjà emparé!... Quelques spots-light et sièges
de cinéma pour signifier les studios d’Hollywood et l’artiste doit
impérieusement faire son tour de piste pour occuper les lieux; alors
Jean-Pierre Cassel arpente, court, danse, se plaque sur le mur du fond pour
clamer: Je suis seul mais j’existe!...
Deux écrivains à la fois, le néophyte et le
confirmé, celui qui n’a pas encore et celui qui n’a plus le succès
tant convoité aux USA de ces années 20-30, Scott Fitzgerald
et son double, l’élève et le maître, le
désenchanté et son confident; et puis Zelda l’Amour de sa vie
et puis... Jean-Pierre Cassel est tout cela, il passe des uns à
l’autre, il est les uns et l’autre!...
« Il n’y a pire faillite que le succès », il est illusoire
de penser qu’il pourrait se présenter une seconde chance!... A chacun
donc de la saisir à bras le corps et de la retenir jusqu’à
plus soif!... Sur ce thème, les folles années vont peu à
peu s’éloigner comme un navire à l’horizon et faire surgir
en lieu et place nostalgie et mélancolie, à la recherche
effrénée d’un temps, qui quoi qu’il advienne, ne sera plus!...
Alors tous ces personnages l’encouragent, lui y croit, il écrit....
très bien même, mieux peut-être que jamais, et pourtant
l’état de grâce n’est plus!.... Comme un soufflé qui
n’en finirait pas de monter et de redescendre de son piédestal, mais
toujours un peu plus bas à chaque cycle!...
Jean-Pierre Cassel s’anime, s’investit, intériorise le dilemme,
mais est-il vraiment convaincu d’avoir trouvé le ton juste ? Si le
comédien a toujours su interpréter la joie avec aisance, en
est-il de même pour le drame intime ? Son talent artistique ne serait-il
pas devenu avec le temps et désormais plus en phase avec le cynisme,
la distanciation ? Sans doute l’étrangeté pourrait lui convenir;
il lui faudrait alors franchir le pas d’un miroir lisse, atteindre un autre
bord que sa souplesse physique ne lui a pas encore fait atteindre! En
l’attendant, nous l’applaudissons avec ferveur!...
Theothea le 23/02/99
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L'HEURE VERTE
de Roger Défossez
Mise en scène: Nicolas Bataille
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Théâtre de la Huchette
Tel: 01 43 26 38 99
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Rimbaud, Verlaine!... Verlaine, Rimbaud!... Le couple fait florès!
C’est ainsi qu’après « L’Amour fou » au Lucernaire la saison
précédente, « Rimbaud, dernière escale » au
Théâtre Molière actuellement, le théâtre
de la Huchette à son tour propose une création de Nicolas Bataille
qui ,en flash-back, laisse Verlaine se confier à son ami le portraitiste
Cazals en une pérégrination attachante des frasques de sa vie!...
C’est évidemment de Rimbaud que seraient venues les dérives,
alors que Verlaine, doué d’un sens inné de l’insouciance,
s’étonne qu’il ait pu ainsi traverser dans l’Amour tant de tourments!...
La mise en scène et l’interprétation sont
délibérément légères comme pour signifier
qu’à l’exception du talent (excusez du peu!...), la vie de Verlaine
aurait pu être celle d’un artiste tranquillement installé.
Mais comment s’adapter quand la foudre vous tombe dessus, sans crier gare
et que sensibilité, sensualité et créativité
s’entrechoquent ?
Un Rimbaud (N. Guillot) et un Cazals (X. Lemaire), Deux Verlaine (F. Chodat
et T.Leclerc) et enfin une Lisa Livane qui se métamorphose à
sept reprises interprétant tour à tour l’ensemble des femmes
qui côtoyèrent avec plus ou moins de bonheur Verlaine, du gamin
au vieillard de 52 ans!...
La minuscule scène du théâtre de la Huchette au service
de la fulgurance du génie littéraire dans les vapeurs
crépusculaires de l’absinthe, c’est-à-dire à l’heure
verte!...
Theothea le 24/02/99
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LE LEGS
de Marivaux
Mise en scène: Jean-Pierre Miquel
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Studio-Théâtre
Tel: 01 44 58 98 58
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Deux cent mille francs sont en jeu !.... Qui de la Cupidité ou
de l’Avarice triomphera face à l’Amour qui de toutes façons
en sortira dévalorisé ? Si en définitive les couples
se formeront selon les inclinations initiales, les stratégies et autres
transactions auront eu raison de l’Amour avec un grand « A ».
Le Marquis épousera effectivement la Comtesse, alors qu’Hortense
s’unira avec Le Chevalier pour le meilleur, en recevant au passage les deux
cent mille francs que lui versera ledit Marquis assujetti par testament au
cas il ne se marierait pas précisément avec cette
Hortense!....
Avec l’appui de leurs domestiques respectifs, tous feindront de respecter
la recommandation nuptiale du testament de façon à contraindre
la partie adverse à dévoiler son intérêt financier!
Comme dans une vaste partie d’échec à multiples joueurs, celui
qui baissera la garde le premier perdra l’enjeu; qui donc le premier acceptera
de perdre l’argent au profit de sa passion amoureuse ?
La reprise du « Legs » est une merveille
d’interprétation laissant prioritairement la part belle aux deux dames!...
Clotide de Bayser et Cécile Brune emmènent avec conviction
et charme tout leur petit monde dans une valse dialectique et perfide !...
Denis Podalydès, un peu en réserve des effets qu’il sait pratiquer
avec brio, joue son marquis en timidité mufle! Quant à Nicolas
Lormeau, le valet, il affiche une effronterie faussement respectueuse inversement
proportionnelle à la bienséance malicieuse de sa collègue
Claudie Guillot.
Soixante-dix minutes de plaisir à 18h30 au studio théâtre,
qui refuserait ce précieux Legs de Marivaux ?
Theothea le 25/02/99
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SUR LES SOMMETS, LE
REPOS
de Thomas Bernhard
Mise en scène: Arlette Téphany
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Théâtre 14
Tel: 01 45 45 49 77
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« Comme dirait le Professeur Chardonneret dans ma Tétralogie
», ainsi s’exprime systématiquement Moritz Meister pour
étayer chacune des explications qu’il adresse à ses visiteurs
afin d' expliciter consciencieusement la philosophie de son Oeuvre tout en
contemplant l'image flatteuse de son clone dans le regard médusé
de son auditoire!...
Dans ce château (logé aux bons soins de l’état) loin
des tracas de la société contemporaine, il soliloque devant
les visiteurs ébaubis qui se succèdent, étudiant en
doctorat, journaliste, éditeur et même facteur, tel un nouveau
M. Jourdain qui en découvrant le miracle de l’écriture
s’émerveille du Pouvoir culturel qu’il aurait usurpé!...
Ce paradoxe de la Culture au service de la vanité et de la
vacuité, Moritz Meister en échafaude l’immense édifice
que son épouse conforte, adule, entretient alors même qu’elle
y perd son propre talent et toutes ses inclinations artistiques...
Au-delà de l’observation attentive des comportements sociaux-culturels,
Thomas Bernhard incite le public d’en devenir un acteur critique à
part entière!....
En effet aucun des protagonistes sur scène ne manifestant le moindre
doute à l’égard du bien-fondé de la notoriété
de l’oeuvre de Meister, c’est au spectateur que Thomas Bernhard a dévolu
le rôle d’empêcheur de tourner en*rond de façon à
établir un jugement critique sur la valeur ou non d’un Auteur qui
en s’auto-célébrant grâce à des citations et des
références érigées en système récurent,
ferait écran non seulement avec l’approche cognitive de la
Réalité mais surtout avec chacune des intelligences qu’il prendrait
ainsi en otage.
Pierre Meyrand a le talent de brosser des personnages monstrueux en les
habitant de manière bonhomme; son aisance naturelle est confondante
par la satisfaction et le contentement de soi qu’ose afficher ostensiblement
Meister.
Chacun des autres rôles est joué sur le ton de la
déférence absolue; ainsi jamais, au grand jamais le moindre
grain de sable ne sera susceptible de déranger l’ordre établi
: d’une part le Maître soi-disant omniscient, d’autre part tous ceux
qui le côtoient, constituent de fait ses élèves tellement
respectueux!...
C’est ce schéma autistique que voulait faire exploser Thomas Bernhard
à l’égard de la culture germanophone; faudrait-il que ses
flèches fustigent pareillement notre modèle culturel latin
?
Theothea, le 3/03/99
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L'INCONNUE DE LA
SEINE
de Ödön von Horvath
Mise en scène: Christian Peythieu
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Théâtre Lavoir moderne parisien
Tel: 01 42 52 09 14
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Lieu étrange et fascinant au fin fond des quartiers
délaissés du XVIII ème arrondissement, entre Léon
de Château-Rouge et Léon de Marcadet-Poissonniers et
déjà tout un programme en soi que ce Lavoir Moderne Parisien!...
Poutres apparentes au plafond et piliers de bois massif où
s’égayent encore des isolateurs apparents qui laissent deviner des
circuits électriques d’antan incertains, une centaine de places en
gradins séparées du hall d’accueil avec bar, par une rudimentaire
cabine technique en gardienne du temple!...
L’Inconnue toute blanche vêtue peut surgir de nulle part,
c’est-à-dire des eaux de la Seine, l’atmosphère des films
poétiques et noirs à la Marcel Carné et Clouzot s’est
déjà emparée de notre système d’orientation,
l’avant-guerre a un de ces goûts de flash-back que nous pourrions en
deviner pour un peu les odeurs!...
Une pièce mise en scène à "la Doisneau", avec des
personnages photo-scèniques qui, se télescopant, insufflent
à notre imaginaire émoustillé ces vies de gigolo
insouciant auxquelles nous avons renoncé... et pourtant il y a crime!...
et surtout il y aura impunité!...
Tous les petits métiers des rues, leurs résidants sauront
que le vieux bijoutier a été assassiné pour des motifs
crapuleux, mais mine de rien la loi du silence sera la plus forte et sa
disparition comme sa vie nous apparaîtront comme fictives, comme si
rien ne s’était passé, comme si le long fleuve de la Scène
écoulait tranquillement sa vie!.... Tous complices et sans doute les
spectateurs en seront-ils mouillés!...
La vieille gitane avait prévenu l’Auteur, Ödön von Horvath
qu’un événement décisif l’attendait à Paris!...
Il fut effectivement tué sur le coup par un marronnier centenaire
qui s’abattit sur son passage près du Théâtre Marigny,
le 1er Juin 38!...
Auparavant en Européen clairvoyant, destin improbable de
l’austro-hongrois qu’il fut, ses métaphores théâtrales
avaient su éveiller les consciences des générations
à venir sur le péril latent et ô combien ordinaire que
sécrétait insidieusement la montée du nazisme auprès
du conformisme ambiant!...
Le masque de la noyée, sortie des ondes telle la Lorelei,
s’offrait désormais à l’oeil perspicace de Caïn!...
Theothea le 9/03/99
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