du Forum Théâtre d'AOL

   

     

CHRONIQUES

    Saison 98-99

      71 à 75  S14       

 

    

   

    

      

CE SOIR ON IMPROVISE

de Luigi Pirandello

Mise en scène: Luca Ronconi

**

Théâtre de l'Odéon

Tel: 01 44 41 36 36

Quelle histoire!... Mais qu’importe l’histoire, pourvu qu’on ait plus que jamais, l’ivresse!... Commandé à l’origine pour l’exposition Universelle de Lisbonne, ce spectacle donne à voir et à entendre ce que la commedia dell’ arte a légué au théâtre italien, jusque y compris tous ses stéréotypes!... C’est comme si Luca Ronconi avait décidé de jouer avec le feu jusqu’aux ultimes extrémités de l’embrasement fatal!...

Avec Pirandello qui concluait avec «Ce soir on improvise» sa trilogie du Théâtre dans le théâtre après «Six personnages en quête d’auteur» et «Chacun son idée», Ronconi investit ce «point d’orgue» en regroupant sur scène tout ce qui à l’origine s’en était affranchi, à commencer par les spectateurs dont les clones nous feront miroir en assistant à un spectacle sur des sièges venus des cintres!...

De l’Opéra au champ d’aviation en passant par le cabaret, la famille Croce nous embarque dans une saga dont le fil importe si peu que la langue italienne et les comédiens qui la servent nous fascinent à l’envi !...

Si le docteur Hinkfuss, metteur en scène mégalomane et despotique pourrait nous faire penser à Frederico Fellini qui lui même s’était déchargé de son «image» sur Marcello Mastroïani, c’est précisément que l’ascendant charismatique que Hinkfuss impose sur ce «voyage des comédiens» résiste à l’improvisation que réclament ces derniers au profit d’un imaginaire luxuriant et fantasmagorique: comment par exemple ne pas se remémorer les défilés cléricaux de «Roma de Fellini» à l’évocation de la procession sicilienne de Roconi?

Sans doute ici chacun cherche-t-il sa place: le metteur en scène doit-il supplanter l’Auteur? Le comédien doit-il être son propre spectateur? La rébellion des acteurs est-elle spontanée, voulue par l’auteur, phagocytée par le metteur en scène? Le texte est-il centre de gravité ou prétexte à créativité?

Et ainsi de suite comme un gant qui n’en finirait de se retourner sur lui-même, les comédiens du Theatro di Roma nous subjuguent trois heures durant si ce n’était le torticolis que les conditions techniques nous imposent car le surtitrage, aussi parfaitement synchronisé fût-il, est à déchiffrer à hauteur du 2ème balcon du théâtre de l’Odéon sur le fronton d’une immense carcasse métallique qui sert d’écrin fédérateur à ce spectacle!...

Mais précisément comme le spectateur est appelé à modifier sans cesse son point de vue et à relativiser chacune des réalités apparentes successives, la traduction en français reste un point d’ancrage fixe qu’il décide ou non de transgresser, d’autant plus que le synopsis lui est fourni avant que ne commence ce facétieux «Questa sera si recita a soggetto»!...

Theothea le 10/03/99

LES PORTES DU CIEL

de  Jacques Attali

Mise en scène: Stéphane Hillel

**

Théâtre de Paris

Tel: 01 48 74 25 37

   

En choisissant « Les Portes du Ciel » pour effectuer une prestation sur les planches en 90 représentations, Gérard Depardieu a sans doute voulu profiter de cette opportunité pour exprimer le sentiment latent et dérisoire qu’en acteur accompli il pourrait nourrir vis-à- vis de toute gloire! C’est en tout cas ce qui a semblé tarauder l’auteur, Jacques Attali pour l’écriture de sa première pièce de théâtre!...

Ce Charles Quint qui, à l’apogée de ses conquêtes martiales et de sa domination sur une grande partie de l’Europe, optait soudain pour une retraite dans un couvent du bout du monde, atteint une dimension tragique en révélant une schizophrénie non feinte et dans laquelle il semble même trouver refuge!...

Son « moi » dépité, méprise et rejette ce « Charles » conquérant et fier qui a semé le malheur autour de lui au nom d’une volonté de puissance infinie!... Mais ce pouvoir vacillant qui tient sa légitimité du Pape, sinon de Dieu, va se coltiner avec la volonté de Fernando, émissaire du Vatican, ainsi qu’avec l’influence de Guillaume, son conseiller particulier et celle de Juana, sa fille nommée Régente.

Au moment où Charles aurait l’aspiration de vivre en reclus bienheureux s’adonnant à sa passion pour le mécanisme des montres et des horloges, tous essaient au contraire de le réveiller à ses responsabilités politiques ou guerrières.

Cependant Fernando, nommé récemment supérieur de ce couvent espagnol de Yuste, a aussi la mission officieuse de mener une enquête sur les conditions du décès suspect de son prédécesseur à cette charge ecclésiastique... Comme dans une partie d’échecs, tous vont se surveiller!...

Néanmoins toute vie va peu à peu s’enrayer, car Charles ne rêve que de la mort, la mort de cet autre « Charles » dont il ne sait, lui seul, comment se débarrasser et dont son entourage veut sans cesse l’affubler!... Alors il tente des compromis hasardeux, fait des propositions contradictoires aux uns et aux autres: repartir sur les champs de bataille afin d’y être tué, assister à ses propres obsèques grandioses pour disparaître dans l’anonymat, s’adonner à la boulimie et s’empoisonner par la confiture ou le curare etc... Charles n’est pas à une idée saugrenue près pourvu qu’elle lui permette de retrouver une liberté perdue, celle de son « moi » qui s’était laissé usurper par la magnificence de Charles Quint, le « has been »!...

L’auteur n’a sans doute pas acquis tout le savoir-faire d’un dramaturge aguerri aux mécanismes de l’art théâtral, mais il est manifeste qu’il a trouvé dans le thème de la schizophrénie que menace tout Pouvoir et engendre la mégalomanie et en sachant les situer adroitement dans un contexte historique, un sujet passionnant auquel nous comprenons aisément que Gérard Depardieu ait souscrit. L’écriture de l’auteur et la passion de l’acteur ont suffi amplement pour créer une dynamique enthousiaste autour de ce projet auquel Barbara Schulz, Jean-Michel Dupuis, Jean-Marie Winling savent illustrer l’insolente et pétillante crédibilité fantasque.

Du cauchemar initial brûlé vif au coup de pied final du jouet dans la tombe, Stéphane Hillel le metteur en scène propose les signes avant-coureurs « qui ne trompent pas » et qui loin du pléonasme nourrissent l’intuition de tous ceux qui savent et veulent être « à l’écoute » des portes du ciel!...

Theothea le 12/03/99

LA FAMEUSE TRAGEDIE DU RICHE JUIF DE MALTE

de Christopher Marlowe

Mise en scène: Bernard Sobel

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Théâtre de Gennevilliers

Tel: 01 41 32 26 10

Christopher Marlowe en athée convaincu renvoie délibérément dos à dos les trois religions monothéistes au travers des peuples qui les représentent et des fidèles qui les servent. En se positionnant successivement sur leurs points de vue respectifs, il nous montre comment le pouvoir est affaire de stratégie et d’alliances opportunes où les bonnes intentions seraient nécessairement abolies!...

Dans « Le Juif de Malte » l’auteur se place prioritairement dans la perspective de Bartabas qui se montre incontestablement le plus ingénieux, le plus calculateur, le plus jusqu’au-boutiste. La pièce a valeur de fable où le fameux humour juif que l’auto-dérision n’effraie pas, s’emploie à maintenir la distance avec les horreurs qui s’accumulent comme s’il s’agissait d’un simple jeu de société où le gagnant serait en définitive le plus malin!...

Mais comme toute fable se doit d’énoncer une morale vertueuse, le malin périra par où il a pêché!...

Malte au cours de son histoire fut de toutes évidences l’une des places fortes les plus convoitées de la Méditerranée tant son emplacement géostratégique est exceptionnel et c’est donc à de multiples dominations culturelles qu’elle fut soumise au cours des siècles.

Aussi lorsque le gouvernement chrétien réclame la moitié des biens juifs pour payer le tribu que la domination turc exige de percevoir, Bartabas s’insurge et se verra en définitive spolié de la totalité de ses biens répertoriés. Par la suite en paranoïaque assumé il n’aura de cesse de vouloir se venger des uns et des autres, leur reprochant tous de le trahir, en cherchant à s’emparer de son pouvoir, de sa fortune, de sa fille etc....

Le ton est à la farce comme dans Le Molière de l’Avare ou celui des Fourberies de Scapin. La pérégrination de Bartabas sera jalonnée par une suite d’associations visant à diviser pour régner avec l’objectif permanent de tirer son épingle du jeu même et surtout en cas de situations désespérées. Comment ne pas sourire et s’amuser devant tant de malignités destinées à contrarier le destin et la lâcheté des hommes?

Bernard Sobel a imaginé un décor particulièrement fascinant où s’imbriquent des perspectives de vision virtuelles et complémentaires grâce à de vastes miroirs mobiles de façon à transgresser leur au-delà et percevoir toutes les facettes d’une réalité ô combien fuyante!...

Au sein de l’excellente interprétation de la quinzaine de comédiens sur scène, nous apprécions particulièrement le jeu de Pascal Bongard qui campe un Bartabas calmement outrancier et celui de Damien Witecka, son esclave turc qui, cherchant par mimétisme à dépasser « le maître », se pare d’une ingénuité confondante!

La mise en scène de cette pièce n’est pas de celle que le consensus classe dans le « politiquement correct », mais précisément si nous devions être par moment gênés de rire, elle nous force à replacer les religions, les peuples et les personnes qui les constituent dans une perspective réellement critique; ce qui, convenons-en, est une qualité rare!...

Theothea le 17/03/99

LE JEU DES RÔLES

de  Luigi Pirandello

Mise en scène: René Loyon

***

Théâtre Treize

Tel: 01 45 88 62 22

   

   

Tenir la réalité à bout de bras, l’expurger de toutes passions illusoires, en faire une coquille vide pour l’observer tel un entomologiste la faisant tournoyer sur un pivot.... ainsi s’exprime Leone Gala qui par ailleurs non content de stigmatiser Bergson en dévoyeur des esprits, renvoie dos à dos les empêcheurs de tourner en rond que seraient Kant et Socrate.....

Donc Leone a décidé une fois pour toutes de s’abstraire des contingences et de laisser aux autres l’éthique, la responsabilité, le désir d’idéal etc... autant de hochets destinés selon lui à tromper la condition humaine!... A contrario en grand démiurge, l’art culinaire le fascine car il autorise à l’infini les manipulations les plus variées!...

Leone est devenu à ses yeux et à ceux d’autrui celui dont le rôle est de se maintenir en permanence à distance de la casuistique en adoptant sans cesse un acquiescement tactique à l’égard de toutes les velléités morales de ses congénères!....

Il est celui qui échappera à toutes adversités car sa seule honte c’est uniquement « les Autres »!... Pourvu que son petit-déjeuner puisse être systématiquement servi à 7h00 précises, lui se place irrémédiablement au-delà, c’est le rôle qu’il s’octroie!....

Leone est donc marié à Silia, c’est un fait comme celui d’être né!... - Pirandello évoque ici l’Italie de la première guerre mondiale où le divorce est interdit - Force est de s’adapter et de calquer son comportement de façon à apporter une réponse pertinente aux agissements du conjoint; c’est ainsi que Leone a pris le parti d’être toujours en phase avec les desiderata de son épouse, aussi extravagants soient-ils!...

Elle souhaite vivre dans un appartement séparé, qu’il en soit ainsi! elle s’éprend d’un amant, soyons en sympathie avec celui-ci! Elle dénonce l’indifférence apparente de son mari, il est prêt à la comprendre!... Cependant il a été convenu initialement qu’il se devait de lui consacrer une demi-heure par jour; ce qui limite de fait les atteintes à la constance du mari!

Alors Silia tente le tout pour le tout saisissant une situation opportune pour provoquer un duel entre son mari et un notable qui aurait fait outrage vis-à- vis d’elle-même, au cours d’un quiproquo festif!.. De nombreux amis de Leone vont être appelés à la rescousse, les rôles vont se distribuer irrémédiablement et il adviendra ce qui doit advenir!....

Jean-Claude Durand interprétant Leone possède ce quelque chose indéfinissable qui pareillement sait rendre machiavélique un Philippe Noiret; le metteur en scène campe des personnages, chacun fasciné à sa manière par le deus ex machina qu’impose Leone; aussi l’ensemble des comédiens comme dans une symphonie n’ose leur charisme qu’à leur tour venu; ce qui provoque en permanence un savoureux suspens retenu!...

De « Chartreuse! » à « C’est l’heure! » respectivement première et dernière réplique de ce « jeu des rôles », le texte de Pirandello offre à chacun des spectateurs un questionnement sans cesse renouvelé qu’aucun ne parviendra jamais à résoudre!...

Theothea le 18/03/99

LUCRECE BORGIA

de Victor Hugo 

Mise en scène: Jean Martinez

*

Théâtre Mouffetard

Tel: 01 43 31 11 99

L’interprétation de Marie-José Nat est ici délibérément axée sur l’apanage de l’instinct maternel; c’est ce que la mise en scène de Jean Martinez choisit de mettre en étendard au travers des débauches et des horreurs en toile de fond comme si le chaos n’était que le produit de malentendus successifs et de rumeurs calamiteuses!...

Choisissant de protéger la vie de son fils du désordre général, Lucrèce Borgia ne peut de son vivant révéler à Gennaro qu’elle est sa mère tellement elle estime que cette réalité lui serait insupportable à assumer, son fils étant le fruit d’un amour incestueux entre frère et soeur.

Seul le matricide pourra la délivrer de ce douloureux secret et mettra le point d’orgue à cette valse hésitation entre les vengeances respectives alentour!...

Jean-François Regazzi, interprétant le rôle de Gubetta se révèle particulièrement intense et pugnace, doué en outre d’un talent à hautes valeurs ajoutées! Antoine Novel empreint d’un regard à connotation «Hervé Villard» nous a semblé, tout en suscitant une réelle attention, plus en retrait de son personnage! Marie-José Nat campe toute en fougue et vivacité une Lucrèce Borgia pathétique pour laquelle il nous est toutefois difficile d’accorder des passions sanguinaires!...

L’ensemble des 12 comédiens présents sur la scène du Nouveau Mouffetard nous ont paru motivés par celui d’entre eux qui les met en scène, Jean Martinez, à proposer un spectacle assez aguicheur à destination d’un public qu’il faudrait plus subjuguer que convaincre!...

A l’aide d’effets stroboscopiques, de plages musicales envoûtantes, d’une flopée de beaux garçons pour ne pas dire un « boys ‘s band », le spectacle s’emballe dans des atours dont les ficelles ne sont pas nécessairement un cadeau pour les spectateurs!...

L’intérêt d’un tel spectacle nous a donc paru résider plus dans le discernement subjectif de ce que chacun pouvait être potentiellement porteur au-delà du prêt à séduire!...

Theothea le 19/03/99

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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