CHRONIQUES
81 à 85
S16
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HEDDA GABLER
de Henrik Ibsen
présentation
Mise en scène: Gloria Paris
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TEP
Tel: 01 43 64 80 80
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PORTRAITS CROISES
Présentation de Mélodie Barthoux
Hedda et Lövborg sont animés d’une même rage
d’absolu, mais ne trouvent pas autour d’eux d’objet à leur mesure.
Sans cesse leur est renvoyée l’image fantasmée
d’eux-mêmes. Hedda est un personnage profondément frustré
par son éducation et les conventions sociales qui refusent tout autre
statut que le mariage à une femme d’esprit et de talent. Lövborg
se sait maladivement influençable et lâche, incapable
d’avancer seul et d’affronter son être profond. Mais là où
Hedda demeure immobile, comme paralysée, Lövborg s’active dans
une vie de débauche et de fuite.
En face d’eux, Tesman et Théa apparaissent comme des enfants
innocents, sincères et spontanés, dénués
d’interrogations existentielles. Tesman jalouse le génie de Lövborg.
Il y découvre son aptitude au mal et se décharge de cette sensation
sur Hedda. Quant à l’humble Théa, malgré les
«attaques» qu’elle subit, ses capacités à rebondir
et à s’enthousiasmer demeurent toujours intactes.
C’est en tante Julie et le juge Brack qu’Ibsen semble avoir concentré
son mépris pour le milieu hypocrite et étouffant de la «
bonne société » norvégienne de la fin du XIXème
siècle.. Tante Julie est une vieille fille qui s’est volontiers
sacrifiée pour Tesman, mais sa serviabilité envahissante laisse
transparaître sa dureté de coeur et la haine de classe qu’elle
voue à Lövborg. Le juge Brack est double lui aussi: sous son
air assez bonhomme et en dépit de ses exquises manières, il
est profondément calculateur et désire intensément
Hedda.
Tous ces personnages s’affrontent dans une partie d’échecs dont
Hedda se croit la maîtresse, sous les yeux de Berthe, la bonne, seul
personnage excentré, témoin qui incarne la permanence.
Mélodie Barthoux
d’après Claudio Descalzi
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MASTER CLASS
de Terrence Mc Nally
Mise en scène: Didier Long
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Théâtre Antoine
Tel: 01 42 08 77 71
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Comment ne pas apprécier assister à une série de
cours de chant lyrique avec Marie Laforêt, la fameuse fille aux yeux
d’or que l’humour ravageur a toujours préservé de toute
appartenance à quelque école que se soit ou autres coteries
?
«Classieuse» elle apparaît, moqueuse elle
transparaît!... Quant à son objectif de Diva reconvertie
enseignante, il paraît se dévouer à
«dégrossir» ses élèves, certes talentueux
mais tout empreintés de rigidité et dénués autant
de style que de charisme!...
Pas question pour la chanteuse «Marie» de rivaliser avec la
cantatrice «Maria»! Seuls les élèves seront
autorisés à se confronter au répertoire classique car
leur apprentissage est en lui-même un droit à l’erreur ! La
Callas de Marie est une pédagogue de la distanciation vis-à-vis
de soi et de la maîtrise de son art!... Prenant le public à
témoin, le sollicitant, le manipulant si besoin est, la Diva plus
qu’en repère inaccessible, s’élève en maître à
«penser relatif» pour tenter de préserver des écueils
à venir et du désenchantement qui s’y rattacherait!...
Autant La Callas de Fanny Ardant s’érigeait dans la sphère
mystérieuse et intangible de l’Absolu, autant celle de Marie Laforêt
s’immerge dans la malice et la vivacité caustique ! Cette dernière
par sa parole nous est vertigineusement proche mais nous ôte en
contrepartie toutes illusions, le cas échéant, de flirter avec
l’indicible.
Deux perspectives radicalement opposées quoique complémentaires
de percevoir La Callas des «Masters Classes» à la Julliard
School de New York qui prenant ainsi place successivement d’abord sous la
mise en scène de Roman Polanski au théâtre de La Porte
Saint-Martin en 96 puis maintenant de Didier Long au Théâtre
Antoine, nous réjouissent de voir se marier dans la transgression
magique du temps, la glace et le feu !..
Theothea le 7/04/99
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LE BEL AIR DE
LONDRES
de Dion Boucicault
Mise en scène: Adrian Brine
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Théâtre de la Porte Saint Martin
Tel: 01 42 08 00 32
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Robert Hirsch est un jeune homme!... Son art de se disloquer
comme un pantin lui confère une souplesse inégalée par
laquelle, une trentaine d'années après son inénarrable
prestation avec Jacques Charron lors des adieux de Louis Seigner à
la Comédie Française, le burlesque et l’emphase semblent
s’être définitivement appropriés de son talent!..
Ce « Savoir-faire trop » avec un tel bon goût, tant
d’humour et de malice, laisse le spectateur pantois d’admiration tellement
la charge était risquée et le résultat réellement
confondant!...
Et c’est vrai que le Sociétaire honoraire du Français semble
y prendre un plaisir extrême que nul n’oserait lui disputer tellement
il accorde à ce fantasque personnage d'aristocrate anglais, Sir Harcourt
Courtly, une vérité autant délirante que métaphysique!
En effet aussi vaudevillesques soient les propos de la pièce, celle-ci
maintient une réelle lucidité sur les comportements déviants
qui, présentés comme le piment de la vie, n’en conservent pas
moins un profond sens moral.
Aussi dans ce cadre balisé, tous les mensonges, faux-fuyants,
mythomanie et autres quiproquos peuvent-ils s’épanouir au mieux de
leurs intérêts et décliner ainsi toutes les versions
surréalistes du « Tel est pris qui croyait prendre » et
du « Je te tiens par la barbichette »!...
Qu’un fils, Charles Courtly, soit contraint à des stratagèmes
farfelus pour déjouer un contrat matrimonial contre nature dont son
père est le jouet par vanité et sensibilité à
toutes les flatteries, voilà bien un thème auquel nous sommes
aguerris grâce à Molière! Mais que ce père dans
un sursaut de lucidité réalise à terme qu’il a
été dupe de ses propres forfanteries, voilà effectivement
l’aspect poignant d’un équilibriste sur le fil de sa vie dont les
pieds de nez successifs au destin ne seraient au demeurant qu’une manifestation
amusée de politesse!...
Et comment ne pas concevoir que Robert Hirsch ne nourrirait pas une affection
sincère vis-à-vis d’un personnage dont son métier de
«menteur professionnel» en constitue un clone idéal ?...
En outre quand tous les personnages sont à l’unisson de la
métaphore d’une vie dont l’art suprême est de la travestir avec
la générosité de l’esprit et du coeur, il est aisé
de percevoir en filigrane dans ce «Bel air de Londres» plus un
traité philosophique du savoir-vivre qu’un soi-disant manuel de la
mode et de l’étiquette revendiqué par notre aristocrate faussement
ingénu!...
Nous apprécions particulièrement le jeu roué et malicieux
de Frédérique Tirmont en Lady Gail Spanker, qui nous évoque
à bien des égards, allez savoir pourquoi, l'actrice Stephan
Audran!... et nous observons avec grand intérêt le personnage
très sérieux de Claire Harkaway, interprété
par Marina Hands pour qui la ressemblance avec Ludmila Mikaël ne pourrait
évidemment être fortuite!...
Les six nominations aux Molières 99 dont trois pour
l’interprétation confirment que le Théâtre trouve en
cette adaptation de Jean-Marie Besset le magnifique plaisir exutoire du Jeu,
c’est-à-dire la noblesse effective de son âme!....
Theothea le 9/04/99
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PINOCCHIO
de Carlo Collodi
présentation
Mise en scène: Bruno Boëglin
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Théâtre de l'Odéon
Tel: 01 44 41 36 36
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Ce spectacle est truffé d’inventivité, d’enthousiasme
créatif et se dédie à un imaginaire sans entrave qui
oserait s’exposer à nu devant un public qui lui toutefois a quelque
mal pour se mettre en phase avec cet absence apparente de rationalisme
structurant!...
Le rôle de pinocchio est interprété par Catherine
Ducarre qui révèle une conviction chevillée et assure
une totale crédibilité dans cette pérégrination
délirante, là même où bien d’autres se seraient
pris les pieds et la tête... alouette!
Plutôt que de porter un jugement critique sur cette création
atypique, la lecture du
dossier de presse mis en ligne par le
théâtre
de l’Odéon permet de faire le point sur les intentions et motivations
du metteur en scène, Bruno Boëglin.
Theothea le 14/04/99
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L'AFFRONTEMENT
de Bill C. Davis
Mise en scène: Stéphane Hillel
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Théâtre de la Comédie des
Champs-Elysées
Tel: 01 53 23 99 19
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Non seulement le temps semble n’avoir aucune emprise sur Jean Piat dont
la jubilation de se lover dans le registre clérical n’est de toutes
évidences pas feinte, mais encore le comédien nous apparaît
véritablement comme en état de grâce!...
De surcroît, il est l’adaptateur «moliérisé en
97» pour cette pièce «made in USA», alors que,
succédant dans le rôle créé par Francis Lallane,
le metteur en scène Stephan Hillel en devient également son
partenaire pour cette reprise en 99, à la Comédie des
Champ-Elysées.
Si l’intrigue évoque de nombreux protagonistes, c’est bel et bien
à un parcours initiatique sous forme dialectique à deux
interlocuteurs dont nous serons à la fois les témoins
bienveillants, à charge et à décharge!....
Brillant, intelligent, malicieux, charismatique, Jean Piat s’immerge avec
classe, affirmant une exigence pleine d’humanité envers le jeune
séminariste qui lui est confié par son supérieur
hiérarchique. L’enjeu thématique pour chacun est, excusez du
peu, de se situer par rapport à la problématique de
l’accessibilité des femmes à la prêtrise ainsi que celle,
le cas échéant, de l’ homosexualité assumée des
prêtres!...
Comment affronter ces revendications d'éthique sociale sous le
regard de l’Eglise catholique Romaine et en son sein; telle est la question
débattue par l’ancien, dont le souci est de ménager les convenances
et les autorités hiérarchiques, et par le jeune, qui tel un
cheval fougueux ne peut accepter d’autres lois que celle de pratiquer les
concepts d’Equité et de Réalité?
Donc un enjeu de haute volée, mais dont les modalités en
construiront un chef-d’oeuvre de subtilité, d’émotion et surtout
d’humour de part et d’autre!..
De la chapelle avec sa chaire, lieu d’ expérimentation rhétorique
ou de master-class, au bureau du prêtre, lieu de réflexion et
de stratégie, le décor pivote alternativement en des fondus
enchaînés au noir, constituant peu à peu comme dans un
système de vase communicant un renversement des valeurs, du pouvoir
et des ambitions respectives!...
Etrangement, Jean Piat comme dans un mimétisme perspicace de
comportement nous semble ressembler de manière très troublante
à Alain Delon, mais précisément là où
la tangente de celui-ci atteindrait au tragique, celle de Jean Piat
apparaît comme légère, souriante et pleine de malice
délicieuse!....
Un charme fou! un vrai sujet! un humour confondant! des spectateurs ravis!...
Stephan Hillel a le tact naturel et celui du metteur en scène avisé
pour mettre en valeur son partenaire prestigieux! Qu’ils en soient
félicités tous les deux dans le même élan!..
Theothea le 16/04/99
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