CHRONIQUES
06 à 10
S22
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BONHEUR PARFAIT
de Françoise Dorner
Mise en scène: Alain Sachs
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Théâtre Pépinière
Opéra
Tel: 01 42 61 44 16
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Débuter la Saison 99-00 par une
«générale» où le quota de comédiens,
metteurs en scène et autres professionnels du théâtre
est de loin le plus représenté, est en soi la confirmation
d’une énergie créatrice et d’une appréciation que seuls
savent fédérer les talents reconnus de tous!....
Ainsi Alain Sachs a-t-il su gagner cette confiance
professionnelle grâce à ses mises en scène entre autres
de «Accalmies passagères», «Le Quatuor» et «Le
Passe muraille», toutes récompensées par des
Molières!....
Aussi ce vendredi 10 Septembre, la création
du «Bonheur parfait» dans l’intimité du théâtre
de la Pépinière suscitait-t-elle l’intérêt
général au sein d’une convivialité
confiante!....
Comme au bridge, le jeu se déroule avec
quatre partenaires dont l’un fait le «mort» mais surtout chacun
des protagonistes va devoir affronter le délire paranoïaque de
ses compagnons: Identité, Mémoire, Amour, Solitude, autant
de concepts avec lesquels chacun tente de jongler et de s’arranger au mieux!...
Pourtant dès qu’une phase
d’équilibre dans le jeu relationnel semble s’annoncer, aussitôt
la loi du dérapage incontournable apporte sa contribution
métaphorique à ces trois êtres qui s’emmêlent dans
leur affectivité émotionnelle avec une constance confondante!...
Une grande force poétique imprègne
le ton de cette pièce où les illusions assumées de chacun
apparaîtront comme un atout vers le bonheur, ou plus exactement vers
un compromis profitable à tous!....
Françoise Dorner, l’auteur, ose elle-même
le jeu de la substitution, en interprétant «Clémentine»,
amoureuse d’un peintre disparu; C’est Cerise qui joue «Grenouille»
toute passionnée par la pratique du théâtre en prison
et séduite par l’idée du partage affectif; quant à Franck
Olivier Bonnet, il nous campe un «Raymond», bonne pâte et
habitué à jouer le «père Noël» autant
que le «pompier» expert en sauvetage toutes
catégories!....
Au demeurant, cette pièce nous laisse un
goût de tolérance délibérée vis-à-vis
des sentiments humains en les peignant comme un tissu de contradictions que
chacun se devrait de respecter comme tel!... Utopie ou Réalisme, Alain
Sachs nous laisse évidemment la responsabilité du choix!....
Theothea le 14/09/99
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LES LUNETTES D'ELTON
JOHN
de David Farr
Mise en scène: Stephan Meldegg
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Théâtre Tristan Bernard
Tel: 01 45 22 08 40
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Une pièce vide à l’exception d’un
téléviseur et d’une chaise, avec Bill assis qui regarde en
boucle une video concernant la phase de jeu d’un match de football qui a
fait basculer sa perception de la vie!..
Comment vivre après ce but éliminateur
et provoqué malencontreusement par le reflet aveuglant du soleil dans
les lunettes d’Elton John présent dans les tribunes et mécène
du club local de Watford?
Survient après dix ans d’absence, son frère
Dan, leader enthousiaste d’un groupe de rock qui périclite! Problème
rhédibitoire pour Bill: Tim, le bassiste myope, porte les fameuses
lunettes d’Elton John qu’il a acquises depuis!... Contre bon coeur, mauvaise
fortune, Tim devra donc, durant son séjour à Watford, ne plus
les porter, devenant par la même un zombie sans repères!...
Il est comme ça Bill ! Prostré des
jours entiers devant son téléviseur mais sachant imposer des
exigences draconiennes à quiconque viendrait déranger son
système de survie!...
Et puis, il y a Julie qui vient « soulager
» la solitude de Bill durant le match hebdomadaire dont on devine le
score en entendant les clameurs surgissant du stade tout proche! Mais
voilà, il se trouve que Julie a eu précédemment une
brève liaison avec Dan et que par ailleurs, elle est la mère
d’Amy, jeune fille adolescente qui avec son ballon va venir empêcher
tout ce petit monde de tourner en rond!..
Construit comme un vaudeville avec ses quiproquos,
cette comédie s’appuie sur les hasards apparents de la vie pour mettre
en valeur les mécanismes de la névrose inhérente à
chacun des personnages.
C’est bien entendu Bill, véritablement
arc-bouté sur des dogmes intransgressables qui donne le tempo d’une
situation dont le moindre compromis déclenche une souffrance
infinie!...
Qu’en est-il de l’échec, de la réussite
quand ces objectifs sont mesurés à l’aune d’une vie
idéalisée et qu’un mauvais rêve aurait gâché
?...
Cette pièce écrite par David Farr, auteur britannique,
n’est pas sans rappeler ces mêmes consonances sociales et psychologiques
qui ont su imprégner avec brio, la tonalité d'un cinéma
anglais contemporain fort apprécié!...
Il s’agit présentement d’une excellente
distribution de cinq comédiens orchestrée par le judicieux
Stephan Meldegg et que le duo Jacques Frantz, Adrien De Van, marque d’un
subtil charisme charnel!...
Theothea le 16/09/99
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UN SUJET DE ROMAN
de Sacha Guitry
Mise en scène: Geneviève Thénier
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Théâtre Palais Royal
Tel: 01 42 97 59 81
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Bien sûr, nous aimons nous rendre au Théâtre du Palais
Royal qui est sans doute le plus beau théâtre de Paris, bien
entendu nous apprécions le talent de Geneviève Casile et celui
de Michel Aumont, mais comment pourrait-on feindre de croire qu’il est aisé
de mettre en scène du « Sacha Guitry »?
Lorsque de son temps, l’auteur se doublait de l’interprète,
c’était l’emphase et l’outrance qui devenaient sa « marque de
fabrique », très prisée à l’époque et qui
reste fascinante en fin de XXème siècle! Aussi lorsque de nos
jours un comédien endosse le rôle du « maître »,
l’alternative se situe soit dans l’imitation, soit dans
l’actualisation!...
C’est sans doute en refusant d’effectuer un tel choix que Geneviève
Thénier, la metteur en scène entraîne ses comédiens
dans une sorte de « remake » en suspension entre deux eaux!...
Michel Aumont adopte les intonations, la dégaine, l’esprit de Sacha,
Geneviève Casile s’appliquant de son côté à composer
une Madame Levaillé à la « Folcoche » de Bazin, le
couple s’évertuant à prendre sa respiration dans la
désuétude, alors même que leur fille Hélène,
son futur époux Jacques et les autres personnages nous apparaissent
étrangement modernes!...
Au demeurant le texte est incisif, dérangeant, machiste à
souhait et veut démonter les mécanismes de la solitude
inéluctable de l’écrivain, véritable anthropophage de
ses contemporains, se nourrissant de tout et de tous de façon à
y puiser l’inspiration d’une création littéraire à
venir!...
Véritable bourreau de ses proches, l’écrivain se doit
d’être exécrable, de manière à provoquer l'expression
productive de leur insatisfaction!.. Et cependant en toute mauvaise foi et
comble de paradoxe, celui-ci souhaite non seulement être admiré
mais surtout susciter l’intérêt autour de son travail!...
C’est donc dans cette perspective que Théophile Levaillé
a beau jeu de rejeter tous les torts concernant l’échec de son mariage,
sur sa femme qui apparaît plus comme une victime blessée et
apeurée que comme la sorcière que Guitry prend un réel
plaisir à décrire avec une misogynie totalement
délibérée, même jusque dans l’imploration du pardon
qu’elle semble désirer sincèrement!...
Mais comme en définitive, Sacha Guitry souhaite la « paix
du ménage » pour le bien de tous, il plaide coupable, forcement
coupable et ôte ainsi toutes les réticences des spectateurs
à applaudir la valeureuse interprétation des comédiens
qui évoluent dans un superbe décor signé Pace.
Theothea le 17/09/99
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MON PERE AVAIT RAISON
de Sacha Guitry
Mise en scène: Jean-Claude Brialy
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Théâtre des Bouffes Parisiens
Tel: 01 42 96 92 42
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Jean-Claude Brialy a parmi d’autres talents celui de savoir s’entourer,
et c’est bien entendu la moindre des choses lorsqu’en propriétaire
des Bouffes Parisiens, il produit et se met en scène dans une pièce
de Sacha Guitry, dont il est devenu le quasi testamentaire contemporain!...
Chacun devra tirer son épingle d’un jeu que le démiurge
Brialy distribue avec prodigalité, les yeux dans les yeux de ses
partenaires!... Le couple Guitry-Brialy, c’est du champagne qui coule à
flots et dont les bulles vous éclatent au visage dans une
frénésie festive!... L’humour, les traits d’esprit rivalisent
dans un combat que la misogynie de salon attise comme un malicieux feu de
Bengale!..
L’enjeu est effectivement gratifiant car ses deux partenaires féminines
effectuent un numéro d’actrice ébouriffant: ainsi Marie-Christine
Laurent, en ingénue charmante et séductrice se fraie auprès
de Jean-Claude la part de la Princesse, laissant à la Reine, Virginie
Pradal le soin du culot superbe et flamboyant!...
Et puis Marcel Cuvelier s’identifiant à Lucien Guitry, père
de Sacha et en l’occurrence de «Charles Bellanger», parvenu au
soir de sa vie qu’il voudrait libre et certainement plus «classieuse»
que fastueuse, il exprime à merveille cette arrogance feinte et pudique
dont Brialy a su depuis toujours se sustenter chez l’auteur
«Guitry».
Quant à Maurice, fils de Charles, il lui faudra à son tour
écouter les conseils de son père sur un registre sensiblement
différent, question de générations et c’est donc pour
le pire et pour le meilleur que Laurent Malraux sera invité par
Jean-Claude Brialy a ranger sa susceptibilité mondaine au profit
d’une clairvoyance amoureuse!...
Des bulles comme s’il en pleuvait, des étincelles dans les regards,
merci Sacha, merci Jean-Claude!...
Theothea le 20/09/99
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A TORTS ET A RAISONS
de Ronald Harwood
Mise en scène: Marcel Bluwal
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Théâtre Montparnasse
Tel: 01 43 22 77 74
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A l’affiche de ce même théâtre Montparnasse pour la
Saison 98-99, le savant Heisenberg dans la pièce
«Copenhague»
décidait d’adopter une collaboration passive avec le régime
nazi, pensant ainsi pouvoir maîtriser la direction de la recherche
atomique, mais se voyait après la guerre reprocher une telle attitude
par son collègue Böhr!...
Ce thème de la collaboration avec le régime nazi est de
nouveau d’actualité dans «A torts et à raisons» sous
forme d’une instruction menée par le commandant US Arnold, dans le
cadre de la campagne de dénazification d’après 45, vis-à-vis
spécifiquement du célébre chef d’orchestre allemand
Wilhelm Furtwängler, en essayant de rassembler les preuves tangibles
de son entente tacite voire explicite avec Hitler.
La représentation du simulacre de ce procès est menée
sur scène à la manière d’une dialectique platonicienne
avec «l’accoucheur» Arnold qui utiliserait les arguments des sophistes
pour tenter d’éprouver la «Vérité» dans son
ultime capacité de résistance!
Entouré de deux accolytes allemands, un subalterne et une
secrétaire qui, respectant secrétement le talent prestigieux
de Wilhelm Furtwängler, sont néanmoins contraints de participer
à l’instruction, le commandant lui, choisi par ses pairs
précisement en raison de ses méconnaissances artistiques, applique
les méthodes d’investigation qu’il a précédemment acquises
en matière de contentieux dans les assurances!..
Le système de défense de Wilhelm Furtwängler consistera
à affirmer la séparation radicale entre le Politique et
l’Art! De cette dichotomie naît une ambition absolue: sauvegarder à
tout prix la nature intemporelle et universelle de la musique auprès
du peuple allemand protégé ainsi de sombrer dans un univers
sans transcendance!...
Pour le contingent, des stratagèmes devaient pouvoir pallier
aisément aux compromissions, ainsi en est-il par exemple du «coup
de la baguette»: lors d’un concert prestigieux, de façon à
éviter d’être contraint au salut nazi, Wilhelm Furtwängler
garde sa baguette de chef dans sa main droite et «renonce» au salut
afin d’éviter d’éborgner Hitler!...
Arnold n’aime pas ce genre d’arguties car selon lui, elles ne constituent
qu’un écran de mauvaise foi qui cacherait la recherche
d’intérêts personnels, pour lesquels tout homme est enclin et
qu’il serait donc préférable d’assumer franchement!...
Claude Brasseur face à Michel Bouquet, c’est ici le rôle
à l’envers du faire-valoir face au maître «es
catégories»!... Dénué de tout cabotinage, les deux
comédiens s’affrontent à fleurets mouchetés maniant
l’un la profondeur d’âme, l’autre l’entêtement non dénué
d’humour.
Quant aux deux assistants, ils arrondissent de fait les angles de
l’argumentaire, évitant ainsi tout choc frontal entre les deux acteurs
au plus fort de leur exaspération respective!..
Gageons qu’un ou plusieurs «Molières 2000» se profilent
ainsi d’emblée en ouverture de la présente saison
théâtrale, car tous les élèments de réflexion
et d’interprétation semblent ici réunis pour symboliser
«à raisons» le siècle finissant!...
Theothea le 22/09/99
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