Forum Théâtre Magazine

   

     

CHRONIQUES

    Saison 99-00

         51 à 56  S31     

 

    

   

    

      

MATRICULE

de  Luc Bassong

Mise en scène: Simone Benmussa

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Théâtre du Rond-Point

Tel: 01 44 95 98 10

Avec «Matricule» Simone Benmussa nous fait découvrir un texte au coeur de l’identité, de la multiplicité des identités qui construisent un homme ou le déconstruisent lorsque l’enfermement efface peu à peu ses références constitutives.

Luc Bassang, son auteur après avoir communiqué son manuscrit et rencontré la metteur en scène, semble avoir préféré par la suite s’évanouir dans l’anonymat !...

Peut-être qu’à l’instar de son personnage, fils d’un prisonnier condamné à une longue peine de réclusion, celui-ci tente-t-il de rassembler les morceaux d'un puzzle composite identitaire au travers de l’histoire de celle de son père, là-bas du côté de Yaoundé?

N’ayant plus pour compagnon de fortune et comme témoignage d’humanité qu’un rat et des cafards autant repoussants qu’indispensables à sa survie psychologique, ceux-ci se ligueront contre ce personnage dans une solidarité de caste avec chatte, chiens, corbeau dans l’enfer d’une liberté recouvrée!..

Cet imaginaire à la «Lewis Caroll» use sa négritude à toutes les preuves tangibles de sa non existence au monde!... Jamais à sa place ce personnage cherche des alliés qui se dérobent au fur et à mesure de son errance. Au-delà de la culpabilité et du manichéisme, ce «matricule» dont la seule promotion sociale programmée serait de devenir «récidiviste», erre comme un zombie mécanique en quête d’une vérité qui s’esquive!....

Nazim Boudjenah, jeune comédien tout juste émoulu du Conservatoire, a la lourde charge d’interpréter cet homme «sans nom» dont la schizophrénie à facettes contraint à composer les multiples composantes de l’absence à soi!....

Un percussionniste l’accompagne sur scène, pendant qu’un assistant au travers de panneaux mobiles lui tend les accessoires nécessaires à la mise en scène!...

En faisant ce choix de programmation en ce début d’année 2000, Marcel Maréchal nous force à une réflexion éthique et complexe.

Theothea le 07/01/00

QUATORZE ISBAS ROUGES

de  Andréi Platonov

Mise en scène:  Christophe Perton

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Théâtre de la Colline

Tel: 01 44 62 52 52

Cà commençait très bien!... Dans une gare de chemin de fer russe, un groupe d’écrivains est sur le point d’accueillir un hôte prestigieux!... L’affairement sur le quai est réellement sensible!... Nous voilà au début d’une histoire qui attise notre intérêt!... Et puis après, plus rien!...

Comme si toute la production artistique avait misé sur le décor et la réalisation de cette introduction prometteuse, le metteur en scène semble perdre définitivement pied dès que Khoz, le savant tant attendu est enfin arrivé!...

Bien entendu Platonov l’auteur, premier des écrivains surréalistes russes a écrit un récit particulièrement intéressant sur le plan historique et sociale en évoquant les contradictions suscitées entre les intentions politiques ambitieuses de l’esprit humain et les compromis lamentables qui malheureusement peuvent en découler!...

Sans doute est-ce dans l’art du déplacement métaphorique qu’il aurait alors fallu chercher l’inspiration d’une mise en scène transcendant les conflits et les lâchetés des hommes!... Sans doute aurait-il fallu éviter de confondre décor symbolique et misérabilisme!...

Construire de bric et de broc des échafaudages et des amoncellements de tout acabit ne remplit que mal l’espace scénique et très peu les esprits pourtant aux aguets d’un texte qui, apparaissant a priori quelque peu anachronique, nous enseigne fort bien sur l’art de Platonov à tourner tel un aigle autour de ses proies qu’il préfère suggérer plus qu’identifier!...

C’est quelque part entre désillusion et espoir que Khoz «le président de la commission de la Société des Nations pour la solution à l’échelle mondiale des problèmes économiques et autres» mettra fin à son expérience du Kolkhose des «14 Isbas» effectuée en compagnie de Souiénita, son guide éclairée!.... et nous de même, entre illusion et regret!...

Theothea le 13/01/99

LE SAPERLEAU

de Gildas Bourdet

Mise en scène:  Gildas Bourdet

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Théâtre de la Tempête

Tel: 01 43 28 36 36

En route le long du bois de Vincennes, un seul leitmotiv s’impose à tous: La tempête!.. Pas le théâtre de la Cartoucherie où nous nous dirigeons pour assister à la reprise du «Saperleau»!... Mais celle qui dévasta les forêts de France lors du passage à l’an 2000 et qui témoigne aux spectateurs médusés des stigmates de sa violence!...

Un long silence atterré et puis les langues à nouveau se débrident, comme pour se mettre en bouche avant le torrent logorrhéique qui dans quelques minutes va se déverser au sein de la Tempête, et cette fois, il s’agit bien entendu du théâtre dirigé par Philippe Adrien !...

Pour décor, un vaste triptyque passant de la réflexion tout azimut à la transparence absolue, permettant ainsi de renvoyer alternativement au public sa propre image et celle d’un couloir blanc virtuel en coulisses.

Dans un sabir digne de la tour de Babel où le Latin servirait de dominante chromatique, quatre comédiens se déchaînent durant 80 minutes pour articuler un texte fantasmatique, où l’inconscient freudien aurait pu y fonder sa structure originelle.

Si selon Lacan l’inconscient fonctionne comme un langage, Gildas Bourdet s’évertue à nous démontrer avec convition la réciproque!...

C’est très drôle, d’autant plus que nous renonçons rapidement à comprendre chacune des répliques tellement nous en venons à préférer la musique du jargon à son interprétation rationnelle!...

Comme pour un texte de Rabelais, nous en ressentons la truculence et la paillardise gourmande, et en «visiteurs» de cet idiome nourri au patois du Nord, nous admirons la prouesse des acteurs à mimer cette chorégraphie de mantes religieuses où le délire du sexe représente l’arme fatale!..

Une leçon de comédie et une démonstration pédagogique de «l’art de dire»!... A susciter indubitablement de réelles vocations artistiques !...

Theothea le 17/01/00

LA TRILOGIE DU REVOIR

de  Botho Strauss

Mise en scène:  Patrick Haggiag

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Théâtre de Gennevilliers

Tel: 01 41 32 26 26

En premier lieu, un metteur en scène exceptionnel: Patrick Haggiag qui a travaillé successivement dix ans au service de la Comédie Française et cinq années en collaboration artistique à l’Odéon!..

En approche de Botho Strauss, procédant par touches impressionnistes, il multiplie les points de vue en les opposant, mélangeant jusqu’à les rendre inaudibles pour en révéler le chaos et la confusion généralisée!...

Dans cette galerie d’art, la journée scandée par le midi, l’après-midi et la fin de celle-ci, laissera derrière elle un champ de bataille dévasté par une parole égocentrique dont dix-huit personnages ne sauront s’extraire qu’en un silence mortifère.

A la manière de Jean-Luc Godard qui s’emparerait de «ART» de Yasmina Rezza, Patrick Haggiag découpe, monte, associe les séquences d’une pellicule virtuelle, celle que les spectateurs lui prêtent avec une confiance méritée, pour projeter en perspective les manies et autres idées fixes qui mènent le monde dans son absurdité satisfaite!...

Décadents comme une «Dolce vita», des accents «Rohmériens» imprégnent tous ces personnages qui s’entrecroisent dans des destins fort quotidiens!...

De ces comédiens aux talents éclectiques auxquels la puissance de la mise en scène impose une étrangeté dont la tonalité vibre en continue sur une même fréquence, s’élèvent des moments de grâce et aussi des charismes fascinants:

Ainsi Georges Claisse, comme un Jean-louis Trintignant des années soixante-dix, séduit de par son style «Ma nuit chez Maud»!... ou bien Philippe Dormoy à la manière d'un Dominique Pignon et Olivier Rabourdin à l'instar d’un Samuel le Bihan, affirment énergie et feeling dans des envolées subjuguantes!...

En face, chacune des comédiennes apporte le visage d’une jeune femme en quête de vérité féminine dans un univers désabusé:

«Je viens, je ne sais pas d’où / Je suis, je ne sais pas quoi / Je vais, je ne sais pas où / Ce qui m’étonne, c’est ma joie !».

Theothea le 19/01/00

L'AMANTE ANGLAISE

de  Marguerite Duras

Mise en scène:  Patrice Kerbrat

**

Théâtre de l'oeuvre

Tel: 01 44 53 88 88

Adepte de la  «menthe anglaise», Claire Lannes s’installait le plus souvent possible sur le banc de son jardin, à Viorne!...

Son mari, Pierre Lannes supportait stoïquement cette indifférence permanente à son égard puisque Marie-Thérèse, la cousine sourde et muette s’occupait avec soin de la maison et des repas !...

Un jour, des morceaux de cadavre humain sont retrouvés en France dans plusieurs trains de marchandise dont le «recoupement ferroviaire» permit de prouver que leurs trajets respectifs passaient tous par un même viaduc, celui de la montagne pavée!...

La tête de Marie-Thérèse ne fut jamais retrouvée !... Claire, en prison refusa en effet d’éclaircir son meurtre, conservant ainsi un secret dont le mystère permettait de susciter l’intérêt sans cesse renouvelé des enquêteurs!...

La mise en scène de Patrice Kerbrat place le mari et l’épouse en positions symétriques, de part et d’autre d’une immense porte blindée: La même chaise leur permet de répondre successivement au même enquêteur !

Ce dernier, qui est-il ? A quel titre agit-il ? Est-ce la voix de la conscience, celui du «psy», celui de la romancière ?

L’art de Marguerite Duras est de nous laisser douter, pendant que celui-ci avec tact, neutralité et grande perspicacité accouche, en une «maïeutique revisitée», des vérités antagonistes en cheminement parallèle!..

Point de mobile, point de sentiment de culpabilité, seulement une parole humaine qui cherche à tâtons et au-delà des apparences une signification à son geste !...

Jean-Paul Roussillon a le ton juste de la désillusion lucide qui néanmoins se souvient de son amour éperdu mais non réciproque!...

Hubert Godon, en retrait consciencieux, épouse les détours et contours de pensées en quête ludique de compréhension!...

Suzanne Flon, superbe et rayonnante, s’amuse d’une situation qui rend Claire, intéressante à ses propres yeux!.. Et puis les bras en croix, entraînant par les mains ses deux partenaires sur le devant de la scène, elle salue chaque soir de ses 81 ans, un public ému et toujours plus nombreux !...

Theothea le 20/01/00

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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