Forum Théâtre Magazine

   

     

CHRONIQUES

    Saison 99-00

         71 à 75  S35     

 

    

   

    

      

EN ROUTE VERS LE TOKAÏDO

de Nicolas Bataille

Mise en scène: Nicolas Bataille

*

Théâtre de la Huchette

Tel: 01 43 26 38 99

Construit comme un road-movie, ce récit de Jippensha Ikkü publié en 1802 est devenu un succès du roman populaire au Japon.

Yaki et Kita, héros malicieux et candides vivant des aventures rocambolesques sur la route du Tokaïdo par le bord de mer entre Tokyo et Kyoto, incarnent l’engouement ancestral que les Japonais portent à l’égard du voyage.

Nicolas Bataille, après de nombreux séjours, eut l’idée d’adapter pour la scène ce récit truculent en ayant recours à trois techniques traditionnels du spectacle nippon:

En premier lieu celle des «Rakugoka», ces conteurs populaires qui ont l’art de raconter en jouant tous les personnages; de même que celle des «Manzai» qui toujours à deux mettent en valeur, par le rire, le surréalisme de la vie quotidienne. Enfin les «Enka», chansons à mélodie lancinante apportent un liant de comédie musicale à l’ensemble de ces saynètes successives!..

Le théâtre de la Huchette peut facilement s’apparenter aux «Yossé», ces petits théâtres qui subsistent encore de nos jours dans la «ville basse» de Tokyo.

Nicolas Bataille a ainsi réuni tous ces éléments facilitant la création d’un spectacle qui depuis l’ère de Edo et à travers l’époque de Meiji, transgresse le temps jusqu’au printemps, précisément de l’an 2000!...

Confrontant les frasques de cette pérégrination aventureuse au bon sens et à l’humour, Nicolas Bataille s’entoure de deux acolytes particulièrement doués à travestir dans l’imaginaire les quelques 28 personnages agités d’un «frégolisme» compulsionnel!..

Ainsi Thierry Leclerc, comédien à la carrure et à la voix imposantes, semblerait soudain pouvoir passer par le chas d’une aiguille, en souriant aux anges, tant toutes ces tribulations semblent échapper aux contingences!...

Au demeurant ce spectacle a les défauts de ses qualités: Il surprend et oblige à faire abstraction de nos références théâtrales d'occident. A apprécier avec le regard éclairé d’un amoureux du Japon!...

Theothea le 18/02/00

LES BARBARES

de Jean Gillibert

Mise en scène: Jean Gillibert

**

Théâtre Lavoir Moderne Parisien 

Tel: 01 42 52 09 14 

Là où d’autres utiliseraient des arènes pour créer un spectacle d'une telle envergure, Jean Gillibert qui parcourt l’univers théâtral français depuis l’après-guerre,

affronte en toute humilité l’anonymat d’un petit théâtre underground pour y exercer en tout idéalisme utopique, l’art dramatique que d’autres ont depuis des lustres, résolument légué aux marchands!...

En conséquence de quoi, les quelques spectateurs qui atteignent grâce aux miracles insoupçonnés de la communication, le sein des seins, ont nettement l’impression de pénétrer dans un royaume du bout du monde, là où le temps et l’espace ne sont que des contingences abstraites!...

Alors commence l’épreuve!... alors commencent les preuves d’un acharnement, d’un apostolat totalement dévoué à la représentation poétique et métaphorique d’une inhumanité en marche inexorable vers une improbable fête à laquelle convieraient les anges!...

Articulée sur une trilogie (Les Retranchés, Nécropolis, la Traite des anges), la mise à mort y apparaît comme le terreau d’une civilisation sans cesse à venir, inspirant de manière récurrente des modèles totalitaristes!...

La prostitution des esprits et des corps devenant le lieu et la substance d’un théâtre que le cauchemar pourrait substituer au rêve d’une irréalité confondue dans son apparence démoniaque!...

Comment alors exercer son esprit critique face à un telle somme métaphysique et un tel travail de la part de comédiens, dont on ne sait s’ils se vouent à l’oeuvre, ou au maître à penser et à jouer, qu’est devenu Jean Gillibert ?

Celui-ci nous y apparaît néanmoins, en la circonstance, plus convaincant en auteur-metteur en scène qu’en acteur car dans son jeu, il imprime une sorte de nonchalance déliquescente presque en porte à faux avec l’énergie, même contenue, des comédiens de sa compagnie de «L’Autre Théâtre»!...

C’est avec un intérêt manifeste que nous assistons à cette représentation de deux cents minutes (entracte compris) au «Lavoir Moderne Parisien», mais faudrait-il se compter pour autant en «happy few» déconcertés ou même en «héros d’une résistance aux chimères» du théâtre contemporain ?

Nous préférerions simplement parier avec encouragement pour le projet de Jean Gillibert de monter prochainement «La Tempête» de Shapkespeare dont il devrait assurément transcender avec ferveur, la peinture délirante et onirique!...

Theothea le 28/02/00

LE CHANT DU CRAPAUD

de Louis-Charles Sirjacq

Mise en scène: Julian Negulesco

**

Théâtre de Poche Montparnasse

Tel: 01 45 48 92 97

 

 

Quelque part entre le théâtre de Pirandello et la Nuit américaine de Truffaut, ce chant du crapaud croasse à l’unisson avec tous les artisans du spectacle, ceux pour qui passion du métier et imaginaire dévoilent le secret de l’éternelle jouvence!...

Et cependant les contingences pour faire fonctionner un théâtre sont pléthore et risquent à chaque création de mettre en péril l’équilibre instable qu’instinct et chance s’évertuent à maintenir envers tous les aléas!...

Tout d’abord découvrir la pièce, en la circonstance, celle de l'auteur Louis-Charles Sirjacq, qui à un moment donné et dans un lieu précis créera l’alchimie nécessaire pour attirer les spectateurs comme des papillons émerveillés par une clarté tellement irradiante!....

Puis, procéder à la distribution des rôles de manière pertinente, en ménageant les susceptibilités et surtout en ayant le souci de créer des complémentarités et un esprit de troupe, embarqué dans une même aventure de quelques mois!...

C’est ainsi qu’en clin d’oeil avisé, se distille le chant du crapaud au théâtre de Poche co-dirigé par Renée Delmas, renvoyant ainsi sa propre image dans le miroir des arts de l’éphémère!...

Autour d’Etienne Bierry son co-directeur associé, se monte ainsi l’improbable maquette d’un «Roi Lear» alors que celui-ci immiscé dans le rôle de Julien, quatre-vingt en "conteur" des ans, n’aspire plus qu’à assouvir son goût inextinguible pour la pêche!...

Productrice, metteur en scène, régisseur, partenaires de scène, improvisent alors un jeu de chaises musicales qui élabore cahin-caha ce projet un tantinet mégalo pour une jauge si réduite, tout en se croisant les noeuds dans les méandres des histoires sentimentales et affectives!...

En Coulisses comme au théâtre, les coups s’abattent tels des cartes à jouer!... Du blues, du mélo, de l’amour, de la haine, du drame, chacun semble contribuer à la confusion générale d’où sortira à n’en pas douter, la création théâtrale que le tout Paris élèvera en notoriété, à l’ombre des références suprêmes du genre!...

Sous l’inspiration du metteur en scène Julian Negulesco, six comédiens pour défendre avec nostalgie les titres de noblesse d’un métier artisanal qui s’acquièrent dans le traque, la peur et l’irrésistible besoin d’affronter à tout âge, les planches et le public!...

Theothea le 24/02/00

L'AQUARIUM

de  Louis Calaferte

Mise en scène: Gilles Cohen

**

Théâtre de l'Atalante

Tel: 01 46 06 11 90

Pendant que les cinquante-cinq places du théâtre de l’Atalante se prennent d’assaut, il est déjà là lui, le mari craquant des noix d’un air goguenard!...

Silence!... Action!... «Crispant!» lui dit sa femme ce craquement incessant. Le ton est donné à cette logorrhée pulsionnelle qui les anime jours et nuits au sein de la vie commune!...

Mais voilà aujourd’hui est autre, puisqu’ils attendent pour prendre le café, un ancien ami que le mari a rencontré la veille par hasard!...

Ils peuvent effectivement toujours attendre!... La fastidieuse litanie des reproches initialise alors sa dialectique préférée, déversant à flux contrôlé l'incapacité à exister!...

Qu’importe les mots pourvu qu’ils expriment l’insatisfaction dont la vie n’a pas su les dispenser et tellement l’altérité les a dressés tous deux en point de mire!...

Désabusé le mari (Philippe Hérisson)!... Le cynisme lui fait office de fidèle compagnon!...

Très «Famille je vous aime!», elle, l’épouse (Valérie Benguigui) s’efforce de concilier à défaut de réconcilier, ses parents avec son couple bringuebalant!...

Les griefs et les critiques volent bas de part et d’autre, mais comme il s’agit d’un tête à tête du quotidien, les acolytes ménagent leur humeur de façon à assurer la distance, celle que la vie peut encore leur proposer!..

Bien entendu le tiers ne viendra pas!... Il ne restera plus qu’à débarrasser la table de tous reliquats et à mettre de la graisse dans tout ce qui couine!...

Flirtant sans cesse avec la dépression généralisée mise en scène par Gilles Cohen, cet «Aquarium» de Louis Calaferte se révèle en soupape de rires récurrents, transgressant l’indicible médiocrité que titille  tous les démons de midi et autres fantasmes!...

Theothea le 17/03/00

LA VIE DE GALILEE

de  Bertolt Brecht

Mise en scène: Jacques Lassalle

**

Théâtre de la Colline

Tel: 01 44 62 52 52

    

« Et pourtant elle tourne!... », au nom de quelle doctrine, pourrait-on s’opposer en l’an 2000 à une telle évidence? A l’heure des nouvelles technologies, notre planète est devenue un cyber-village dont les règles nous paraissent à jamais acquises?

Cependant  ne serait-ce pas là précisément le lieu de notre obscurantisme contemporain d’où pourrait s’élever la voix sacrilège d’un Galilée « new-age »?

A chaque époque, son idéologie, ses veaux d’or et ses tabous!...

Chaque société se construit sur des strates législatives orales ou écrites dont la transgression pourrait mettre en péril le fonctionnement et surtout la cohérence!... Doit-on au nom d’une vérité supérieure, qu’elle soit scientifique, philosophique, religieuse ou autre, s’opposer de front aux dogmes qui fondent les certitudes d’une époque?

A contrario serait-ce une tare d’avoir raison trop tôt ?

Cette dialectique  qui concerne autant la foi que l’ensemble des repères qui organisent l’intelligence du monde, est en quête permanente des principes de civilisation assurant la meilleure adaptation possible!...

En s’opposant aux vérités établies de l’Eglise qui régissait les croyances collectives du XVIIème, Galilée par ailleurs soucieux de son statut de chercheur rémunéré, affrontait ainsi le dilemme des scientifiques des temps modernes qui se sont trouvé écartelés entre la satisfaction de la recherche pure et les valeurs éthiques!...

Certes de la rotation de la terre autour du soleil à la découverte de la bombe atomique, la continuité n’est pas a priori manifeste!... Et pourtant l’enjeu anthropomorphique est le même, mettant en question la place de l’homme au coeur de l’Univers!..

Les deux Jacques, Lassalle et Weber, s’organisent donc avec seize comédiens interprétant plus de cinquante personnages, selon quatorze tableaux et autant d’inter-titres projetés par transparence devant un dispositif de deux ciels, opposant Ptolémée et Copernic, pour conter sur une scène composée de notes et croquis de Vinci et Galilée, les multiples tribulations se succédant dans la vie du savant, de quarante-six à soixante-quatorze ans!..

C’est sans doute le défaut didactique de cette épopée tranquille qui pourrait en faire sa qualité pédagogique!...

Theothea le 29/02/00

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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