Forum Théâtre Magazine

   

     

CHRONIQUES

    Saison 99-00

         66 à 70  S34     

 

    

   

    

      

HÔTEL DES DEUX MONDES

d' Eric-Emmanuel Schmitt

Mise en scène:  Daniel Roussel

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Théâtre Marigny

Tel: 01 42 25 20 74

Ce pourrait être le purgatoire des âmes, mais c’est plus certainement l’antichambre de la destinée que cet hôtel des deux mondes, situé quelque part entre le haut et le bas comme un improbable refuge en état d’apesanteur!...

Les corps flottent débarrassés de leur contingence pathologique permettant ainsi aux esprits de se réapproprier leurs capacités précédemment atrophiées par les aléas de la vie!..

Mais attention, si ce lieu de transit n’est pas un mirage, il n’en constitue pas moins un domaine de frustration où l’égalité absolue règne au point qu’aucun acte de volonté ne saurait y être accepté!...

Seules les lois du hasard et de la fatalité y dictent leurs verdicts sans appel, pour chacun à son tour!..

Et pourtant de toutes évidences, des exceptions sembleront confirmer cette règle!... Dans ce cas, c’est la loi du silence qui imposera sa discrétion au sujet de ces apparentes possibilités à influencer éventuellement le Destin!...

Qu’adviendra-t-il donc de Julien, l’accidenté de la route, du président Delbec, renversé par un vélo, de Laura atteinte de maladie congénitale, de Marie au coeur usé par le travail, du mage Radjapur arrivé dans cet hôtel, comme tous ici, en coma profond ?

D’abord recoller les morceaux du puzzle de la mémoire, et tenter ensuite de se souvenir des instants précédents le trou noir!... Et puis, selon la durée du séjour dans l’hôtel, élaborer un bilan de vie et très rapidement se laisser happer par les grandes interrogations métaphysiques!..

Eric-Emmanuel Schmitt a le talent en partant de cette idée magnifique d’un «no man’s land» maquillé en petit hôtel désuet gravitant autour d’un ascenseur diabolique, tout en miroirs, d’y installer ses personnages en salle d’attente du fameux Docteur S.

Qui est-il, qui est-elle ? Nul ne le sait !... Il suffira à tous de constater qu’il est le passeur intransigeant, obéissant à un planning mystérieux et alétaoire qui entraînera l’ascenseur vers les cimes ou les profondeurs!..

Le grondement précédé par un sifflement strident, semble résonner comme le four fascinant de la crémation et pourtant force est de constater que certains résidents sont déjà revenus plusieurs fois en villégiature dans cet hôtel!...

Comme le turn-over y est donc considérable, les comédiens y jouent naturellement eux-mêmes aux chaises musicales!... Citons notamment Rufus qui laisse son rôle à Bernard Haller, Jean-Yves Bertheloot à Pierre Cassignard, Viktor Lazlo à Francine Berge.

La mise en scène nette et subtile de Daniel Roussel permet à l’auteur Eric-Emmanuel Schmitt d'entr’ouvrir les portes vers les espaces infinis de la pensée immanente, laissant libre cours à une dialectique qui sous un ton léger et plein d’humour, accompagne chaque spectateur dans son cheminement intime.

«L’hôtel des deux mondes» mérite tous les hommages car rarement au théâtre les interrogations transcendentales y ont été abordées avec une telle humilité rhétorique et une telle grâce métaphorique!...

Theothea le 10/02/00

RAISONS DE FAMILLE

de  Gérald Aubert

Mise en scène:  Gildas Bourdet

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Théâtre Hebertot

Tel: 01 43 87 23 23

A «Famille, je vous hais», Gérald Aubert rajoute moins paradoxalement qu’il y parait «Famille, je vous aime»!...

Et c’est bien là, que se dissimule le noeud du problème qui s’impose à Charles depuis que tout petit, il se sent installé sur des rails où le «prêt à penser communiste» de sa mère accompagné par le «laisser-faire» de son père ont déterminé la tiédeur d’un cocon familial apparemment sans couleur et sans saveur!...

Comment élever son ambition d’écrivain à hauteur de reconnaissance d’autrui mais surtout de soi-même, restant fidèle à ses idéaux de jeunesse hors des chemins tracés, comment si ce n’est en provoquant la rupture décisive avec son milieu originel?

Maintenant quadragénaire, le voilà revenu au terme de cinq années de séparation pour une brève visite dans l’appartement kitsch, figé dans les années 50, alors que son dernier roman est sélectionné pour le prix Goncourt.

Il a d’ailleurs trouvé le titre de son manuscrit avant d’écrire la moindre ligne: «Raisons de famille»!... Récurrentes, ces raisons qui l’ont poussé à s’extraire de sa famille, les voilà devenues matière à écriture, matière à prix littéraire!...

Sur scène, le père (François Lalande), la mère (Geneviève Fontanel), Jean le frère (Sam Karmann) et Charles lui-même (Jacques Gamblin) qui dans un premier temps vient confier aux spectateurs son amertume mêlée à des envolées de tendresse!... Tous feront de même au fur et à mesure de la journée venant, comme en des bulles de bande dessinée, épancher leurs sentiments contrariés par les malentendus de la communication orale!...

L’écriture pourrait-elle à son tour exprimer le non-dit et les sauver tous ensemble de l’échec affectif?

D’ailleurs Jean qui vient d’être quitté par sa femme avait aussi ce désir taraudant d’écriture avant de devenir un fonctionnaire prototype!... Mieux il a réellement écrit en secret un livre qu’il confiera faussement désinvolte à l’appréciation de Charles quelque peu surpris!...

Gérald Aubert ajuste avec subtilité ses dialogues qui se lisent en permanence entre les lignes avec la connivence des spectateurs. Humains, trop humains les sentiments deviennent comme des vagues rarement en phase qui submergent les êtres!... Un quartette de comédiens y surfant avec retenue et malice, sous la baguette perspicace de Gildas Bourdet!...

Theothea le 11/02/00

SHIRLEY

de Shirley Goldfarb (Les carnets)

Mise en scène:  Caroline Loeb

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Théâtre du Rond-Point

reprise: Théâtre La Bruyère

 

Une table de bistrot, une chaise, un cendrier, une tasse de café, un verre d’eau, et voici évoqué le Flore, les Deux Magots, le Select, la Coupole où Shirley Goldfarb avait trouvé le refuge de ses longues méditations solitaires confiées au fil du temps à des carnets intimes qui, retrouvés récemment par Caroline Loeb, permettent ainsi à Judith Magre de faire revivre le Saint Germain-des-Près des années 70!....

Invitée de toutes les fêtes, assidue de tous les vernissages avec son mari Grégory, pique-assiette en diable, elle côtoyait sans relâche tous ces noms qui y faisaient l’air du temps: Francis Bacon, David Hockney, Andy Warhol, Yves Saint-Laurent, Michel Butor,  Karl Lagerfeld, Paloma Picasso, Pierre Bergé.....

Ils y gravitaient tous, tous la connaissaient mais jamais son talent de peintre monochrome n’y fut récompensé des approches maintes fois répétées de ce tout Paris des Arts.

Portée par les encouragements, les vagues promesses, et une propension manifeste à la méthode Coué, Shirley maintenait le cap de sa motivation artistique, flirtant avec le chant et la comédie, et convaincue qu’il était préférable de ronger sa faim seule à cette terrasse au milieu des happy few plutôt que de se rassasier à l’ombre d’un vulgaire anonymat.

Epicurienne tout autant que misanthrope éclairée, elle lutta contre la maladie et l’indifférence du jet-set avec le mépris qui sied à celle qui entend imposer au destin la vision d’un monde qu’elle s’est choisie!....

Judith Magre avec la sobriété d’un regard perdu dans les pensées, égrène les dates de cette décennie qui défileront jusqu’au terme de l’année 80, laissant les propos de Shirley affleurer la mémoire collective d’une époque si proche et déjà si lointaine!....

Theothea le 14/02/00

LA FRAMBOISE FRIVOLE

de Peter Hens & David Laisné

Mise en scène: Peter Hens & David Laisné

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Théâtre Tristan Bernard

Tel: 01 45 22 08 40

Le syndrome «BRACHETTI» semble se répandre en cette année 2000 avec l’assentiment généralisé du public parisien: Le «transformisme» peut en effet se décliner en de multiples domaines!...

Peter Hens a choisi celui de la musique où passant sans ambages d’un genre à l’autre, tous les styles, tous les tempo semblent se marier dans des fusions inattendues, faisant par exemple dialoguer l’Ave Maria avec la Maria de West Side Story, chanter «Frou Frou» sur l’air de «Carmen», ou encore endiabler «Le beau Danube bleu» en un tango!....

Là où d’autres pratiquent l’association d’idées, lui choisit d’enchaîner les phrases musicales avec le talent d’un professionnel aguerri accompagné d’un jeune musicien fort doué. Celui-ci utilisant à volonté les nouvelles technologies numériques, le piano à queue se transforme sous ses doigts magiques en orgue, clavecin ou boîte à rythme etc...

Belge d’origine, ayant fait ses études de violoncelle et chant à Anvers, de Jazz et variétés à Rotterdam, Peter Hens apparaît au confluent de multiples courants linguistiques avec lesquesl il préfère jongler plutôt que de s’y perdre!....

Disons-le, en pratiquant l’amalgame tout azimut, le risque serait pourtant grand d’une confusion des valeurs!...

Cependant s’appuyant délibérément sur une ritournelle populaire «La mère Michel qui a perdu son chat et qui se trouve en conciliabule avec le fameux père Lustucru...», son objectif semble davantage de faire rimer les éléments du patrimoine collectif sans exclusive plutôt que d’en subir la ségrégation culturelle.

Non bien entendu, tout n’est pas égal à tout!... Mais sachons laisser l’imaginaire rassembler en un drôle de rêve tous ces sons, composés de mots et de mélodies pour qu’ils s’entrechoquent et se fondent à l’instar d’atomes en pleine folie poétique!...

Theothea le 16/02/00

PETITE LECON DE NUIT

de  Dominique Vivant-Denon

Mise en scène: Christophe Lidon

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Petit théâtre de Paris

Tel: 01 42 80 01 81

Attention!.. Comme en un jeu de mouvements récurrents, une démarche d’initiation amoureuse pourrait fort subtilement en révéler une seconde!...

C’est ainsi que Christophe Lidon adaptant pour la scène, le conte libertin «Point de lendemain» de Vivant-Denon, complète l’éducation sentimentale du jeune homme, Damon par celle de la jeune fille, Célie interférant les rôles de telle sorte qu’une histoire semble cacher l’autre, sous le regard complice et influent de Madame de T.!...

Attention!... Comme en un jeu de miroirs et de laque noire, deux comédiennes se donnant la réplique malicieuse face à un comédien, plus souris que chat, escaladent allègrement les échelons du plaisir que l’esprit dispute réciproquement à la chair!....

Madame de T. mène le bal des sentiments amoureux, préférant toujours être en avance d’un enchantement à celle d’un dépit!...

Danièle Lebrun lui prête ici son talent, mêlant subtilement raffinement et maniérisme à la manière d’une Arielle Dombasle!...

Benjamin Boyer assure avec prestance souriante et vive, la candeur qui sied à la découverte des émois de l’Amour et du Monde!..

Interprétant les rôles de Célie, de l’amant et même du mari, Pascale Arbillot se distingue par son adaptabilité toute sensuelle à composer des attitudes et à poser sa voix!...

Un petit bijou de mise en scène qu’une spectatrice de l’autre soir compara avec des yeux émoustillés et visiblement en appétit à un «Soufflé au fromage»!...

Theothea le 17/02/00

 

 

 

   

 

   

   

   

   

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