CHRONIQUES
86 à
90
S38
|
|
|
LA TERRIBLE VOIX DE
SATAN
de Gregory Motton
Mise en scène: Olivier Maurin
|
*
Théâtre Paris-Villette
Tel: 01 42 02 02 68
|
Dans le cadre de la manifestation théâtrale «Londres
sur scène» qui a sélectionné une dizaine de spectacles
s’étant joués en Grande-Bretagne, pour en proposer du 29
Février au 8 avril 2000 quelques représentations en France
aux Théâtres Silvia Monfort, Paris-Villette et Cité
Internationale, cette pièce de Gregory Motton fait exception car
programmée pour une durée d’un mois jusqu’au 25 mars, elle
a été publiée et montée jusqu’à ce jour
exclusivement en France.
Une atmosphère onirique imprègne ce conte qui nécessite
de la part du spectateur un abandon total aux démons de
l’irrationnel!...
Comme si le surréalisme allait chercher son inspiration dans les
contes de Perrault, Tom Dohenny emboîte ses pas dans les bottes de
l’ogre, semblant pour le meilleur et pour le pire, y flotter quelque peu!...
A l’appel de l’oiseau magique tel un guide éclairé, les
monstres mythiques rivalisent sur scène avec le fantastique des
légendes irlandaises comme si la quête du graal ne pouvait trouver
son sens qu’en parcourant, en aveugle, le labyrinthe infini des métaphores
exprimés par le langage!....
Les comédiens se livrent à coeur joie dans l’ivresse des
répliques délirantes, trouvant les repères de la
cohérence dans les contraintes techniques qu’ils assument avec
intégrité!...
Isabelle Randrianatoavina tire son épingle de ce jeu diabolique,
révélant un charisme aux multiples facettes!....
Spectacle à apprécier en phase et à l’aune des
vibrations ressenties!...
Theothea le 22/03/00
|
TOUT MON
POSSIBLE
d' Emmanuel Bourdieu
Mise en scène: Denis Podalydès
|
**
Théâtre de la Commune
Tel: 01 48 33 93 93
|
Faudrait-il que les potentialités de chaque être humain
s’épanouissent en une entité idéelle
différenciée ou au contraire au sein d’une âme collective?
C’est la problématique que soulève sous des oripeaux fantasques
cette fable théâtrale qui confronte le «mal être»
relatif et les ambitions déçues de tout un chacun!...
Un psychiatre fou ou son pléonasme imagine donc pouvoir soulager
la difficulté à vivre de deux de ses patients en leur
suggérant l’existence d’un double d’eux-mêmes qui tendrait à
l’accomplissement idéal de leur personnalité!...
Cependant le principe même de cette coexistence impliquera
l’impossibilité d’une mise en présence de l’original face à
son double!... De là naîtra le désagrément ressenti
par Rose et Lucas d’évoluer quelque part entre perfection et contingence,
comme en état d’apesanteur!...
Pour sortir de cette ambiguïté monstrueuse, une démarche
à rebours est initiée par Lucas qui par un coup de force se
substitue au médecin et crée une machine infernale à
remonter sinon le temps, tout au moins l’identité première!...
Mais ironie du sort, comme le concept de double n’avait jamais existé
qu'en tant que simple «effet placebo», au lieu de revenir à
l’unité initiale, la machine renvoie ses cobayes dans le magma de
la matière vivante originelle!...
Douloureuse expérience ou objectif ultime du destin humain? Emmanuel
Bourdieu se garde de transgresser la métaphore en nous faisant cheminer
allègrement l'histoire de la philosophie, du mythe de la caverne de
Platon à la dialectique hégélienne du maître et
de l’esclave!...
La mise en scène alerte de Denis Podalydès semble respirer
au rythme d'une inspiration cinématographique!... Quant aux
comédiens, ils excellent à se plier aux lois d’un texte à
la fois cérébral et fantastique!...
Par un effet d'étrange concomitance, un ascenseur emblématique
rappelle «L’Hôtel des deux mondes» d’Emmanuel Schmitt!...
Ainsi pourrait se confirmer l'intérêt contemporain pour le
thème spéculatif du «Passage»!...
Theothea le 24/03/00
|
VA DONC CHEZ
TÖRPE
de François Billetdoux
Mise en scène: Georges Werler
|
**
Théâtre du Vieux-Colombier
Tel: 01 44 39 87 00
|
Déconcertante cette pièce qui donne à voir le
mystère sans jamais le pénétrer!...
Le suicide, affaire personnelle ou choix de société? Onze
personnes venant de toute l’Europe, réunies dans une improbable auberge
tenue par une femme étrange, Maria Törpe!.. Et puis un Inspecteur,
Karl Töpfer dont l’enquête semblera au fur et à mesure
obscurcir la vérité, si tant est qu’il y en est une à
découvrir!...
Objectivement un constat se dresse a priori: Des suicides à
répétition emportent la vie de pensionnaires qui sont venus
de leur plein gré pour séjourner en villégiature dans
cette auberge quelque part en Europe de l’Est!...
Mais à partir de là, tout rationalisme sera battu en
brèche, si ce n’est que Maria Törpe semble fasciner et sans doute
séduire les personnes qui la côtoient!... Serait-ce cependant
un mobile suffisant pour que, tels des papillons guidés par la rumeur,
des voyageurs de conditions sociales hétérogènes viennent
tenter le sort, motivés par une curiosité mortifère!...
Telle la sirène de la Lorelei qui attirait les bateliers pour les
faire chavirer, Maria pourrait être délibérément
ou à son insu, cette mante religieuse, grande dévoreuse de
proies humaines acculées au désespoir!...
Chacun restera dépositaire de son secret et c’est sans doute
précisément dans cette perspective que le suicide pourra
effectivement apparaître fédérateur!..
La mise en scène de Georges Werler ne cherche pas à
éclairer l’indicible mais celui-ci, à l’instar d’un entomologiste,
force a contrario la logique de la contradiction à
s’épuiser elle-même dans toutes les impasses du labyrinthe de
l’entendement.
Au demeurant les personnages conservant imperturbablement leur
quant-à-soi, l’interprétation contraint les comédiens
à évoluer en zone glauque, à tel point que l’attrait
fascinant de Maria Törpe semble lui-même en pâtir!...
Alain Pralon, superbe dans la candeur irritée, contrebalance
l’inertie abyssale d’un thème qui agite toutes les interrogations
muettes!...
Theothea le 28/03/00
|
BONJOUR, BEL
AMI
de Guy de Maupassant
Mise en scène: Madona Bouglione
|
*
Théâtre du Ranelagh
Tel: 01 42 88 64 44
|
C’est toujours un grand plaisir que de se rendre au théâtre
du Ranelagh qui nous accueille chaleureusement avec ses lambris et ses poutres
de bois.
«Bonjour, Bel Ami» y est actuellement mis en scène par
Madona Bouglione dont le parcours scénographique n’est pas
précisé dans le dossier de presse!...
Investissant le théâtre en y incluant le bar et la salle,
la pièce tourneboule le spectateur durant 2 heures et demie en exploitant
une pléthore d’idées dont la réalisation semble
s’adosser davantage à des perspectives cinématographiques,
voire publicitaires qu’à une lecture dialectique et contradictoire
d’un texte, véritable chronique de fin du XIX décrivant avec
acuité les moeurs du Tout Paris de l’époque!...
Un jeune «Rastignac» souhaitant faire carrière dans la
presse, y monte en brûlant les étapes, l’échelle de la
notoriété sociale et de la carrière professionnelle
tout en louvoyant entre les ambitions de ses confrères et celles de
ses maîtresses!...
Sur fond d’intrigues politiques et d’interventions colonialistes, Georges
avec un cynisme aguerri séduit, conquiert et rejette au gré
d’un opportunisme que lui dicte un instinct de plus en plus pragmatique.
Emportés par une direction d’acteurs qui surfe sur les scènes,
en des fondus enchaînés de lumière et de musique, les
comédiens n’ont pas l’audace d’habiter les personnages tellement ils
semblent être projetés les uns contre les autres comme dans
les images d’un film muet visionné à vitesse
accélérée.
Alors qu’elle semble être construite pour éblouir, cette
réalisation tape à l’oeil déconcentre l’attention!...
Comme si une réalisatrice trop douée oubliait de discipliner
un imaginaire envahissant jusqu’au sujet même de l’oeuvre de Guy de
Maupassant qu’elle a pris en charge!...
Autour d’un lit à baldaquins en totem à rideaux, les
protagonistes défilent comme à guignol en des scènes
de concupiscence qui se neutralisent dans l’ennui d’un jeu compulsif!...
En présence discrète de Pierre Tabard son époux sur
scène, une comédienne nous a semblé être en mesure
de résister à ce déferlement créatif, marquant
son territoire de manière à donner de la chair et de
l’émotion à son rôle: Il s’agit d’Isabelle Tanakil
interprétant Mme. Walter.
Les autres talents demeurent délibérément cachés
et c’est la perspicacité de chaque spectateur qui pourra, le cas
échéant, les y débusquer!..
Theothea le 30/03/00
|
LE ROI CERF
de Carlo Gozzi
Mise en scène: Benno Besson
|
***
Théâtre de Chaillot (Gémier)
Tel: 01 53 65 30 00
|
Ce roi cerf emmène notre imaginaire en des lieux que nous pensions
avoir abandonné à la nostalgie de l’enfance!...
Nous acceptons d’autant plus aisément l’aventure que cette fable
illustrant la réincarnation, fût-ce d’un animal mort vers un
humain ou vice-versa, fustige au-delà de la candeur métaphorique,
l’abus des pouvoirs d’initiés!...
Ingénu Déramo, ce roi qui accepte en présence de
Tartaglia, premier ministre arriviste, de dévoiler et d’appliquer
la formule magique qui va permettre d’une part au cerf de se transmuter en
royale fonction, abandonnant ainsi toute apparence humaine de monarque mais
surtout à Tartaglia d’endosser les atours et la crédibilité
du pouvoir!...
Cependant la même formule magique pourra par la suite renverser
ce rapport de forces momentanément en faveur de l’injustice et de
la jalousie!...
C’est évidemment l’Amour sincère d’Angela ne reconnaissant
plus la belle âme de son prétendant qui triomphera du subterfuge
crapuleux, faisant alors deviner derrière les traits d’un vieillard
hideux, la passion ardente qui s’est réfugiée dans ce corps
flétri après une nouvel avatar de la fameuse formule
magique!...
Le surréalisme de «La belle et la bête» de Jean
Cocteau nous semble ainsi entrer comme en résonances avec le
théâtre fabulesque de Carlo Gozzi qui, dans les années
1760, pénétrait délibérément le champ
du merveilleux à travers les masques de la comedia dell’arte et en
réaction frontale aux analyses philosophiques de Carlo Goldoni!...
Dans un décor de Jean-Marc Stehlé qui métamorphose
allègrement un palais des mille et une nuits en forêt des songes
luxuriants, ce sont les jeux de l’enfance qui inspirent ceux des comédiens,
emportés par l’enchantement des mots et les sortilèges de ce
conte vénitien!...
Theothea le 05/04/00
|
|

|