CHRONIQUES
96 à
100
S40
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LA MAIN PASSE
de Georges Feydeau
Mise en scène: Gildas Bourdet
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Théâtre Comédia
Tel: 01 42 38 22 22
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La mise en scène à la fois élaborée et intuitive
de «La main passe» par Gildas Bourdet installe
délibérément cette pièce de Georges Feydeau en
un «centre de gravité» qui maintient l’institution du mariage
en état d’instabilité chronique!...
Bien entendu, le rire sera notre compagne de tous les instants, mais force
sera d’observer un jeu de société qui, sous des apparences
d’ingénuité, développe le cynisme comme art d’une guerre
entre les sexes dont le seul atout convoité est d’en savoir saisir
les opportunités!...
«La main passe !»... c’est ainsi que toute nouvelle donne attribuera
le «mistigri» à l’un des partenaires qui n’aura de cesse
de reprendre, en partie, la maîtrise d’un jeu de dupes
avéré!...
Pour étayer un tel constat, l’auteur prend le soin d’entourer les
protagonistes légitimes par des partenaires fantasques qui seront
en charge d’insuffler une tonalité toujours plus délirante
à l'égard de situations surréalistes à
souhait!...
Qu’une machine infernale, en l’occurrence un phonographe ait enregistré
à l’insu de tous, des preuves d’adultère!... Qu’Alcide Chanal
décide de mettre son épouse Francine adulée de
surcroît par un parlementaire timide et maladroit, entre les bras
d’un ancien camarade de lycée, Emile Massenay déjà
marié mais amant révélé de sa femme!...
Voilà assurément une base de lancement tonitruante pour
un réquisitoire impitoyable sur les moeurs d’une époque, caduques
seulement de manière formelle!...
Dans cette succession d’imbroglios frénétiques, un
comédien Christian Hecq porte l’extravagance hallucinatoire au sommet
d’un art qu’il semble inventer au fur et à mesure de la jubilation
collective!...
Tous, dirigés par les perspectives judicieuses de Gildas Bourdet,
lâchent alternativement le venin qui transcende les lois de la
tragédie en une hilarante comédie machiavélique!...
Pierre Santini, en dindon somme toute complaisant de la farce, inspirera
le respect dû à un Alcide Chanal, peut-être seul capable
d’un véritable amour... en silence!...
Theothea le 18/04/00
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LE CIEL EST
EGOÏSTE
de Pierre-Olivier Scotto & Martine Feldmann
Mise en scène: Pierre Aufrey
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Théâtre du Palais-Royal
Tel: 01 42 97 59 81
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Tsilla Chelton est décidément formidable!... Oser
interpréter un rôle aussi déjanté confirme une
disponibilité artistique humble et exemplaire!...
En gouvernante de Dieu-fait-femme, en l’occurrence Françoise Seigner,
Tsilla, ancienne militante communiste décédée dix
années plus tôt, seconderait dans l’hôtel du ciel
Belvédère, cette propriétaire dilettante devenue
indifférente au sort de sa création, toute en
humanité!...
Aux premiers instants de la pièce, semble s’imposer une comédie
en pâle plagiat de «L’hôtel des deux mondes»
d’Eric-Emmanuel Schmitt; puis le propos s’élargit en une vaste parabole
bouffonne concernant la destinée humaine engluée dans une
contemporanéité médiatiquement réaliste!...
Ainsi un prêtre, petit-fils de la gouvernante, fait irruption dans
l’hôtel pour obtenir un rendez-vous avec le tout-puissant pour le
sensibiliser aux drames terrestres!...
Dieu nous aurait-il ainsi lâchement abandonné ? Ce sera donc
l’histoire d’une initiation à rebours de «cette Dieu» qui,
s’incarnant sur terre par le biais d’un jeu de rôles, sera confronté
le temps de ce divertissement, aux misères de nos
sociétés!...
Cependant la graine ludique prendra racine car à la suite d’une
confession actualisée en séance psychanalytique laïque
au terme de laquelle le prêtre recouvrera sa liberté d’homme,
Dieu elle à son tour se mettra au service des plus démunis!...
Pièce loufoque du début à la fin, il sera toutefois
beaucoup pardonné à Dieu et à ses assesseurs puisqu’il
permet ainsi à ces deux fameuses comédiennes de renverser toutes
les convenances de la notoriété et de faire ainsi preuve
d’une vitalité créatrice endiablée jusque dans les moindres
recoins d’une divagation socio-philosophique tendance sartrienne
revisitée!....
Dire que nous avions apprécié davantage le « mal de
mère » du même auteur avec déjà Tsilla Chelton
serait un doux euphémisme malgré que les interrogations
métaphysiques du «Ciel est égoïste» apparaissent
éminemment pertinentes!... Comme dans un grand écart
sophistiqué, c’est l’art de l’amalgame tout azimut qui semble
prévaloir dans l’écriture à deux mains, pratiquée
par Pierre-Olivier Scotto et Martine Feldmann!...
Une bonne nouvelle cependant: Dieu est donc revenu parmi nous!... De
même que Tsilla Chelton, Françoise Seigner et Stéphane
Bierry que nous sommes ravis d’apprécier sur les planches de ce magnifique
théâtre qu’est le Palais-Royal!....
Theothea le 19/04/00
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TITANIC
CITY
de Frédéric Constant
Mise en scène: Frédéric Constant
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Théâtre de la Cité Internationale
Tel: 01 43 13 50 50
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En Histoire d’un naufrage annoncé, le Titanic City ne cesse
d’émettre les signaux de détresse que les conventions
internationales ont ainsi pérennisés «Save our souls!...
»
De coulisses en coursives, de jardins en promenoirs, de soubassements
en cales, la Cité Universitaire de Paris déploie ses atours
cachés comme les sortilèges d’une nymphe qui embrasserait
l’Univers!...
Cette tour de Babel vénitienne s’enfonce lentement dans les eaux,
pendant que les hommes s’occupent à danser sur le volcan de leurs
chimères!...
En observateurs attentifs et disciplinés, les spectateurs sont
ainsi ballottés par petits groupes de visites à la recherche
d’un diagnostic fiable mais fort peu probable!...
A peine croit-on s’approcher d’une part de vérité que le
tangage incessant vous force à de nouveaux constats
d’aberration!...
Tout ici semble se maintenir en se détraquant inexorablement alors
que les signes avant-coureurs chantent les mélopées du naufrage
catastrophique!...
Immergée dans les maléfices de la fascination collective,
la croisière du Léviathan s’amuse donc
délibérément corps et âmes!...
Rassemblant peu à peu le public sur les chaloupes en guise de sauvetage
à vau-l’eau, la troupe de comédiens se donne les frissons
d’un voyage manière «Théo Angelopoulos»!...
Leurs spéculations philosophiques dessinent à l’unisson
des arabesques qu’en chantant, les acteurs s’empressent de projeter dans
un imaginaire, entièrement livré aux incertitudes du Tout
Absolu!...
Quand Catherine Pietri en égérie charismatique, magnifiquement
fatale s’affiche en déesse de la Rédemption, Florence Muller,
elle, tente en guide souverain de dominer avec superbe les contingences de
la Destinée!...
Un maelström génial les entraîne tous dans un tourbillon
logorrhéique, scandé d’invites chorégraphiques, à
l’instar d’une arche de Noé tergiversant sur des flots en furie!...
Une mise en scène à la fois volontariste, passionnée
et ludique opère en trompe- l’oeil, cette production titanesque en
diable au regard des moyens de toutes évidences artisanaux, utilisés
par le capitaine Frédéric Constant à la tête de
cette pathétique «Compagnie générale de Navigation
Mondiale»!....
Theothea le 03/05/00
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UN CHAPEAU DE PAILLE
D'ITALIE
d' Eugène Labiche
Mise en scène: Serge Lipszyc
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Théâtre Silvia Monfort
Tel: 01 56 08 33 88
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Sous l’inspiration des films muets en noir et blanc, des camaïeux
de gris s’emparent des costumes et décors en trompe-l’oeil,
imprégnant ainsi la mise en scène de Serge Lipszyc
modélisée dans la gestuelle mécanique des débuts
du cinéma où l’hystérie collective apparaissait comme
une seconde nature!...
Au piano Akémi Souchay, une virtuose asiatique pleine de vitalité
précise et fougueuse, accompagne l’action et les couplets, projetant
le chef-d’oeuvre d’Eugène Labiche dans les fastes de la Comédie
musicale!...
Franchissant les limites de la clôture, à l’instar d’un couvent,
Lionel Muzin sera seul habilité à entretenir une complicité
d’aparté entre Fadinard et le public, en faisant irruption au bord
de scène, baigné exceptionnellement de lumières de
couleurs!...
Ainsi pourront se développer les tribulations de ce chapeau de
paille d’Italie, déposé galamment sur une branche du bois de
Vincennes et brouté inopinément par le cheval de Fadinard,
mettant ainsi en péril l’enjeu de ses «noces» qui le
poursuivront tout au long de cette journée de délire!...
Désincarnée et esthétisée jusque dans les
profondeurs de la divagation, la direction d’acteurs contraint ceux-ci à
un contrôle de tous les instants dont le systématisme pourrait
apparaître un tantinet laborieux, si le tourbillon général
ne nous empêchait habilement quelque lassitude!...
Le rire fuse plus par bouffées salvatrices que par jubilation
endogène mais cette chorégraphie surréaliste
s’appuyant sur le choeur de la compagnie du Matamore, maintient
l’étrangeté au-delà des lois traditionnelles du Vaudeville,
laissant presque imaginer un hommage à Brecht!...
Un chapeau de paille certes d’Italie mais à coup sûr hors
normes!...
Theothea le 06/05/00
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ANTOINE ET CATHERINE
de Sylvie Blotnikas
Mise en scène: Julien Rochefort
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Théâtre de Poche Montparnasse
Tel: 01 45 44 50 21
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Avec ce bijou Rohmerien d’ «Antoine et Catherine» comment savoir,
en appréciant Sylvie Blotnikas et Julien Rochefort, si naissent à
notre regard un Auteur, un metteur en scène, deux comédiens
ou tous à la fois ?
Le registre de Julien Rochefort serait davantage porté à
une direction discrète et à une interprétation en
faire-valoir, comme s’il se voulait le mur où rebondirait la balle
de sa partenaire, voire la page blanche où se tracerait
l’écriture de Sylvie Blotnikas!...
Précédemment, Julien, après avoir joué «La
seconde surprise de l’Amour» sous la direction de Marion Bierry
déjà au théâtre de Poche, mettait en suite en
scène Sylvie dans cette même pièce de Marivaux au
théâtre de Chilly-Mazarin!....
Ici pour «Antoine et Catherine», ils créent à
deux un spectacle, en autonomie intégrale!...
Ce sont des flots de souvenirs qui remontent à la surface en parcourant
cette saga familiale selon sa descendance toujours recommencée avec
la petite musique de la tradition, des habitudes et de tout ce qui peut faire
repères, anniversaires, baptêmes, mariages, enterrements, jours
de l’an etc...
Leur mémoire est la nôtre avec ses modes du jour, ses
chansonnettes fredonnées et toujours selon l’évolution des
moeurs du moment!...
Des années cinquante aux années deux mille, c’est la chronique
du baby-boom qui se feuillette allègrement en suivant à travers
l’histoire d’Amour impossible d’ Antoine et Catherine, les
générations de leurs parents, enfants, petits-enfants à
l’écoute chacun de leurs propres générations!...
Se réunissant au rythme des opportunités de la vie dans
le petit square de leur enfance autour d’un banc, symbolique des
balançoires de tous leurs jeux, ils se racontent les liens qui se
tissent entre eux quel que soit l’éloignement dans le temps et
l’espace!....
Pour Sylvie Blotnikas, un travail d’orfèvre en écriture
entrelacée que rehausse son interprétation toute en subtilité
de charme et de détermination!...
Une véritable révélation juste au lendemain des
Molières 2000, qui augure d’immenses talents artistiques!....
Theothea le 10/05/00
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