Les
Chroniques
de
Theothea
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chroniques
de 21
à
25
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MARCIEL EN CAMPAGNE
de Marc Hollogne
Mise en scène: Marc Hollogne
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Théâtre Comédia
Tel: 01 42 38 22 22
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En montant à Paris pour son précédent spectacle,
Marciel avait pris un billet aller-retour!... Aussi après avoir
flirté avec le ciel des stars d’Hollywood, le voici qui reprend contact
avec le « plancher des vaches » au fin fond d’un monde rural
emblématique, en proie avec une problématique d’éthique
et de survie!...
D’emblée le charme terrien offre ses appâts à qui
sait les apprécier et Marciel nous accueille dans l’intimité
d’une ferme traditionnelle rythmée par les besognes quotidiennes!...
Rapidement nous percevons les enjeux locaux qui se cachent derrière
les antagonismes personnels: L’élection prochaine du maire du village
sera l’occasion d’un choix entre d’une part l’opportunisme de ceux qui surfent
sur les modes successives, d’autre part le retour en porte-à-faux
à une gestion traditionnelle, et enfin le pragmatisme du bon
sens!...
Exposé ainsi, il ne sera pas surprenant que ce soit Aurore, la
fille aînée du vieil Emile (instigateur initial de la
résistance au modernisme), qui soit en définitive
désignée pour ce mandat avec la mission d’appréhender
le progrès avec modération!...
Si donc un message imminent politique est en toile de fond des motivations
de Marc Hollogne, celui-ci continue bien évidemment à utiliser
son art de magicien, maniant les illusions qu’offre le compagnonnage du
cinéma avec le théâtre!...
Mais toutefois une certaine distanciation, une certaine dérision
à l’égard de ces tours de passe-passe s’installent ici, comme
pour signifier que le trompe-l’oeil n’est utilisé que pour le plaisir
du fun!... L’essentiel se trouvant ailleurs, dans l’engagement civique!...
Dans cette perspective, difficile pour certains spectateurs de surmonter
l’épreuve de l’entracte qui a le fâcheux inconvénient
de suspendre l’attrait de cette incantation écologique!..
Techniquement sur la scène du théâtre Comédia,
les effets spéciaux sont démultipliés en proportion
depuis la scène du théâtre Rive-Gauche où se prolongea
le succès de « Marciel monte à Paris »: Rappelant
les réalisations télévisuelles de Jean-christophe Averty,
l’espace y est découpé en cellules modulables pour se laisser
zoomer en plans de tailles différentes, avec animations de caches
judicieusement aménagés en écran de projection!...
Bref, du grand Art au service d’une cause ambitieuse mais qui laisse
paradoxalement, comme un arrière-goût de désillusion!...
Theothea le 9/10/00
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L'ORIGINE ROUGE
de Valère Novarina
Mise en scène: Valère Novarina
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***
Théâtre de la Colline
Tel: 01 44 62 52 52
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Comme un nageur qui crânement remonterait à contre-courant
le torrent de la genèse du monde, Valère Novarina s’est forgé
le besoin impérieux d’accéder aux sources du langage dont la
force vitale lui apparaît aussi nécessaire que la circulation
du sang!...
Partant ainsi à la rencontre de l’énergie à
l’état pur, il côtoie les mots dans leur jaillissement originel
avant que le sens commun les fige dans une signification
édulcorée!...
« Dans l’origine rouge, on parle parfois en morse, en algèbre
ou, avec des pancartes; on tracera au sol des mots en peinture qui couleront
pour de vrai; on pensera en pensée sans langage; on communiquera par
mouvements; on ira chercher les répliques avec des sacs à
répliques.... »
Créée au Cloître des Carmes durant le Festival
d’Avignon 2000, cette pièce parvient encore « brut de
décoffrage » au théâtre de la Colline!...
Les comédiens comme montés sur piles électriques,
profèrent dans une rhytmique de métronome, une logorrhée
dont rien ni personne ne semblerait en mesure de s’opposer!... Telle une
symphonie, les phrases musicales sont scandées à tour de
rôle, comme si la performance de l’acteur devenait le commun
dénominateur d’une fascination muette!...
Alors l’articulation des mots n’a d’égale que la précision
d’une mémoire abyssale désarticulant une mécanique
d’horlogerie!...
Passant alternativement d’une écoute attentive à une vigilance
flottante, les vocables chantent leur brutalité, se télescopent
et heurtent toute rationalité qui tenterait
désespérément de s’agripper au bastingage d’un naufrage
ascensionnel!...
Des plaintes langoureuses attisent et pansent les blessures que
l’accordéon de Christian Paccoud vient raviver en phases
compulsives!...
Les comédiens emportés dans le tourbillon de cette valse
à mille temps, transcendent le concept de talent, en se jouant d’un
perfectionnisme dont ils transgressent allègrement toutes les
limites!...
Hors catégorie, la direction d’acteurs et la mise en scène
de Valère Novarina suscitent un enthousiasme médusé!...
Une catharsis du verbe!...
Theothea le 10/10/00
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LE BALADIN DU MONDE
OCCIDENTAL
de John Millington-Synge
Mise en scène: Guy Pierre Couleau
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Théâtre 13
Tel: 01 45 88 16 30
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A mi-chemin entre la magie onirique et la démarche initiatique,
ce conte irlandais acquiert dans la mise en scène de Guy Pierre Couleau
une familière étrangeté qui nous fait pénétrer
dans un savoureux entre-deux de la langue!...
Comme si la poésie prenait quintessence en confrontant la
préciosité du langage avec sa truculence et sa rusticité!...
Les personnages d'une tribu paysanne emportés dans le tourbillon
passionnel, miment la danse des mots évoluant sur un plateau circulaire,
rehaussé par un éventail de bouteilles vides!...
L’amour peut-il être initié, en transcendant l’acte fondateur
du «meurtre du père»? La reconnaissance sociale est-elle
en droit de susciter cet appel à devenir soi-même en renonçant
violemment à ses origines ?
Un superbe travail d’équipe qui porte la quête candide et
enthousiaste du fils Christopher (Nils Ohlund) comme un nouveau «Perceval
le galois» à l’assaut des moulins abandonnés par Don
Quichote!... En retour Pegeen (Anne le Guernec) lui rend une admiration qui
n’aura de bornes que celles très minces qui peuvent différencier
l’héroïsme de la lâcheté!...
Sous la houlette des deux figures paternels (Philippe Mercier & Laurent
Huon), le récit s’emballe au rythme du whisky et l’affectif conviendra
que la morale généalogique peut triompher sans
humilité!...
La traduction française de «The playboy of the western»
écrit par John Millington Synge en 1907 est remarquablement adaptée
par Françoise Morvan.
Theothea le 14/10/00
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COMMENTAIRE
D'AMOUR
de Jean-Marie Besset
Mise en scène: Gilbert Desveaux
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****
Théâtre Tristan Bernard
Tel: 01 45 22 08 40
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La petite musique du couple que la caméra-stylo de Jean-Marie Besset
poursuit au coeur de ses tourments, est-ce l’histoire d’un homme et une femme
qui, pour se mettre à l’épreuve, s’inventent mille
pérégrinations imaginaires ? Est-ce au contraire le fruit
d’un réalisme de l’échec répétitif que l’auteur
aurait voulu élever jusqu’au pragmatisme salvateur ?
Est-ce simplement la vertu retrouvée de la confidence qui se
déclinerait en commentaire de la vie amoureuse ?
C’est tout cela à la fois si tels peuvent être les sentiments
du commentateur, mais cela peuvent être également mille autres
témoignages, pourvu qu’ils y trouvent substance dans cette histoire
que Jean-Marie Besset a, quant à lui, écrit à la suite
de la disparition concomitante de trois êtres chers!...
Ainsi l’auteur s’accorde-t-il le pouvoir vertigineux de poursuivre le
fil de la vie affective interrompu et tenter maintes hypothèses où
toutes les formes de l’Amour peuvent s’essayer à leurs intensités,
leurs contradictions, voire leurs impasses!...
En faisant revivre chaque soir des personnages emblématiques, le
théâtre suscite le sentiment d’éternité que
spectateurs et comédiens partagent « hic et nunc »,
l’instant de chaque représentation!...
Demain est un autre jour!... A demain ses délices et son calice!...
Le théâtre en recélébrera la messe!...
Dans la pénombre du plateau, Mathilde et Guillaume changent la
robe de leurs affects, pendant que Laurent Lucas et Nathalie Cerda endossent
à vue, le costume de chacun des dix épisodes successifs
égrenant leurs rencontres!...
Entre Londres, New-York, Prague, Berlin, Paris, Bruxelles... une vie n’y
suffirait pas à combler leurs manques existentiels pigmentés
de sensualité polymorphe!... Pour le meilleur et pour le pire, il
leur est nécessaire de tout essayer avant de convenir un éventuel
retour à la case départ!...
C’est l’enjeu subtil de ce commentaire d’amour, c’est l’enjeu iconoclaste
d’une vie à partager!...
Theothea le 16/10/00
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WOYZECK
de Georg Büchner
Mise en scène: Thierry Roisin
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Théâtre de la Cité
Internationale
Tel: 01
43 13 50 50
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Bien des accointances pourraient être relevées concernant
ce spectacle de l’IVT (International visual Theatre) mis en scène
par Thierry Roisin avec le film «Dancer in the dark» de Lars von
Trier!...
Woyzeck et Björk associés dans un même projet, pourquoi
pas? Celle de nous faire plonger au coeur d’une douleur humaine indicible
par les voies d’un imaginaire onirique et lyrique, celle d’accorder la
prévalance aux signes et aux gestes plutôt qu’à la parole
toujours paradoxalement empêtrée dans le non-dit, celle enfin
de considérer la mort, comme le soulagement d’un fardeau moral devenu
trop pesant!...
Illustrant la pièce de Georg Büchner à la manière
d’un film muet en noir et blanc, la compréhension des intentions
s’en dessine par l’amplitude de la gestuelle, l’élasticité
du temps et la communication écrite!...
Un grand tableau noir, un écran d’ombres chinoises, un
synthétiseur de sons musicaux, des micros pour une traduction live,
tout concourt à nous rendre proche les tergiversations muettes de
Woyzeck confronté à ses tourments et ses démons
intérieurs!...
Cette suite de fragments de vie peut se lire comme un puzzle qui en cercles
concentriques successifs approfondirait et cernerait peu à peu
l’origine des maux sans jamais en atteindre la substance psychique!...
Qui donc seraient plus légitimes que des comédiens sourds
pour nous transmettre cette adaptation de Woyzeck grâce à ce
catalyseur de tous les sens, qu’est le langage des signes?
Un moment rare comme suspendu dans la Galerie de la Cité Internationale
où les mains des spectateurs muets s’agitent gracieusement comme des
marionnettes afin de signifier leur reconnaissance et leur satisfaction!...
Theothea le 19/10/00
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