Les
Chroniques
de
Theothea
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chroniques
de 26
à
30
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ON NE SAIT COMMENT
de Luigi Pirandello
Mise en scène: Michel Fagadau
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**
Comédie des Champs-Elysées
Tel: 01 53 23 99
19
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On sait comment Luigi Pirandello excelle à disséquer, analyser
les comportements de jalousie et de susceptibilité de ses personnages!...
Suggérer des motifs de doute chez l’un d’eux, c’est comme installer
le ver au beau milieu d’un superbe plateau de fruits mûrs!... Tout
devient compliqué!.. Plus personne ne sait comment retrouver le chemin
du pragmatisme!...
Deux couples, les Daddi et les Vanzi en villégiature chez le marquis
Respi, un de leurs amis communs vont s’initier contre leur gré, à
un jeu psychique de chaises musicales transformant méfiance et
soupçon en mécanisme à produire de la paranoïa
à fortes doses!...
C’est Romeo Daddi qui sera l’instigateur de cette occupation oiseuse à
détromper toute oisiveté!... Se fixant dans l’esprit comme
la lancinante obsession du fameux «C’est bien ça!» de Nathalie
Sarraute ou encore comme le ressentiment apte à tarauder Marcel Proust
jusqu’à la lie, le «tromper ou pas-tromper» de Roméo
s’installe peu à peu comme une attitude psychologique rongeant tout
espoir de bonheur!...
La pièce de Pirandello se construit dans la durée
répétitive du même tracas qui circule des uns aux autres,
étant sans cesse relancé par l’incapacité de Roméo
à accepter tout apaisement!...
Christophe Malavoy en supporte la charge, en ralentissant la cadence de
ses répliques au point de prendre le risque d’excéder à
la fois ses partenaires et le public!...
Ce parti pris d’interprétation et de mise en scène oblige
chacun à se concentrer sur la souffrance rhétorique que chaque
mot enfonce l’un après l’autre dans une blessure morale
indicible!...
L’entracte laisse une ultime porte de sortie à ceux qui ne peuvent
adhérer à cette pédagogie de la pesanteur
délibérée!... Ils auraient tort d’en profiter, car la
violence du dénouement éclairera définitivement
l’enjeu vital d’une telle problématique!...
Un magifique décor de bosquets fleuris en arrière-plan sous-tend
la dialectique que se livrent les forces antagonistes de l’inconscient!...
Gageons que Philippine Leroy-Beaulieu, Isabelle Gelinas et Jean-Pierre Malo
y trouvent inspiration et épanouissement!...
Theothea le 25/10/00
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GLENGARRY
de David Mamet
Mise en scène: Marcel Maréchal
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***
Théâtre du Rond-Point
Tel: 01 44 95 98
10
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Lorsque l’idéologie de la compétition rythme le quotidien
d’une petite agence immobilière de Chicago, ce n’est pas le chapardage
de son fichier «clients» qui risque de remettre les pendules à
l’heure, alors que ses employés semblent être en proie à
un delirium tremens permanent!...
Mais qui sait, si le jargon du métier n’agit pas comme une drogue
sur les synapses malmenées de ceux qui y font carrière depuis
la nuit des temps, sans cesse à la recherche de la meilleure manière
de fourguer leur marchandise à tous les gogos de la terre, de passage
dans ce no man’s land de l’éthique professionnelle?
Chacun arbore un style qui lui est propre en fonction de
l’expérience du métier acquise en surveillant constamment le
fameux tableau d’avancement qui autorise ou non, l’accès au gratin
de la clientèle!...
Le langage qui court-circuite toutes les relations individuelles, reproduit
un idiome incorrect dans lequel tous se vautrent avec délectation,
y compris l’adaptateur Pierre Laville qui règne sur la pièce
de David Mamet avec la malignité d’un aficionado!...
La truculence de ce roman noir secrète une effervescence jubilatoire
que les numéros d’acteur peuvent transcender à leur aise sous
la baguette magique de Marcel Maréchal, qui signe présentement
son ultime mise en scène au théâtre du Rond-Point!...
Shelly (Michel Duchaussoy) respire un ton looser décalé
qu’un imperceptible accent «ch’timi» esquisse comme un vieux routier
surfant crânement sur les déboires de la compétition!...
Les jeunes loups, John (Christopher Thompson) et Richard (Philippe Uchan)
aiguisent tous les ressentiments de leur entourage qui espère en vain
une chute irrémédiable dans les chausse-trappes qu’ils se tendent
mutuellement!...
Jean-Marc Thibault, Jean-Pierre Moulin et les autres campent des personnages
typés dans la caricature de l’échec revivifié par
l’assujettissement que toutes les couleuvres de la terre ne suffiraient pas
à rassasier!...
Un monde d’hommes trop humain pour que nous osions le croire issu d’une
simple fiction parée aux couleurs du réalisme!...
«Je déteste ce boulot», telle est la dernière
réplique de la pièce... Et cependant, ils en vivent tous et
continueront de même!...
Pourquoi le cacher, la verve théâtrale de David Mamet
s’avère efficace et franchement drôle?
Theothea le 17/10/00
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LORENZACCIO
de Alfred de Musset
Mise en scène: Jean-Pierre Vincent
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**
Théâtre des Amandiers (Nanterre)
Tel: 01 46 14 70 00
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Entre angélisme et corruption, Lorenzo ce jeune homme de 23 ans
en 1833 à Florence tergiverse au gré de son compagnonnage!...
D’un côté la débauche partagée avec le jeune
duc de Médicis, de l’autre l’amitié nouée avec le peintre
idéaliste Tebaldeo!..
Dans la foultitude des intrigues qui se tissent entre les politiques,
les religieux, les grandes familles de la société florentine,
c’est la gratuité du geste artistique qui semble accompagner le serment
prononcé originellement à Rome par Lorenzaccio, de tuer un
des tyrans de la Patrie!...
Comme si la «forme» devait assurer la rédemption du
«fond», l’appel au meurtre de son compagnon en turpitudes
s’impose peu à peu comme le geste d’un rachat sacrificiel
inéluctable!...
Vengeances succédant aux assassinats, c’est en définitive
le même Pouvoir qui se perpétuera sous d’autres têtes
couronnées, mais l’acte aura eu valeur de symbole, de témoignage
en faveur d’une aspiration à la «Justice»!...
Jean-Pierre Vincent, le metteur en scène excelle à composer
des scènes de places où s’effectuent rencontres, discussions,
développant ainsi toutes les catégories de relations humaines:
déambulations, entrecroisements, bruits de pas brossent ainsi la vie
de la cité florentine ou vénitienne, en fomentent le souffle
et la respiration!...
C’est dans ce rythme scandé tout au long des trois heures de
représentation qu’est puisée l’énergie dont les
comédiens habillent la multitude des personnages, se succédant
dans l’illustre pièce de Musset!...
Jérôme Kircher endosse celui de Lorenzaccio avec une grâce
étrange qu’un léger accent teinte d’une couleur venue
d’ailleurs!...
Ce n’est pas ici le charisme des comédiens qui transgresse la mise
en scène de Jean-Pierre Vincent mais davantage leur
complémentarité, leur solidarité à illustrer
que «Le monde est un Théâtre !».
Ruses, trahisons, mensonge, machiavélisme restent à lire
entre les lignes d’une interprétation délibérément
éthérée et guidée par le mouvement
d’ensemble!...
Theothea le 27/10/00
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UNE CHATTE SUR UN TOIT
BRÛLANT
de Tennessee Williams
Mise en scène: Patrice Kerbrat
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****
Théâtre de la Renaissance
Tel: 01 42 08 18 50
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Cette pièce de Tennesse Williams atteint des sommets
d’intensité où mensonge et vérité sont intimement
liés au coeur de cette famille à qui appartient la plus grande
plantation de coton du delta du Missipi et qui va se trouver totalement
tourneboulée par la disparition annoncée du patriarche!..
La mise en scène de Patrice Kerbrat imprime d’emblée un
rythme et une tension d’enfer dans ce huis clos que constitue la chambre
de Maggie et Brick, qui deviendra à la fois le lieu des regroupements
familiaux ainsi que celui des confidences et des apartés!...
Chritiana Reali y déboule en pleine effervescence, se jetant sur
sa proie sans plus jamais lâcher prise comme si l’assaut de son mari,
Samuel Labarthe était devenu le seul salut possible à la survie
de leur couple!...
En voix off, nous parviennent très proches, les bruits et les voix
du bouillonnement qui agite le reste de la résidence!...
Qui influence qui ? Qui manipule qui ? Les différents points de
vue s’affirment successivement sans que l’Auteur prenne partie au point que,
même Brick dont la principale vertu est l’indifférence silencieuse,
semble profiter comme les autres du même droit à
s’exprimer!...
Que ce soit le père (Georges Wilson) qui, revenant comme un taureau
en pleine lumière pour effectuer le barouf d’honneur de sa vie, affronte
tous les regards compatissants avec un mépris aussi superbe que
dénué d’illusions !...
Que ce soit la mère (Annik Alane) qui, reprenant le flambeau avant
que son époux le laisse vacant, distribue à l’avance les opprobres,
qui couperont radicalement l’herbe sous le pied, à toute tentative
de prise de pouvoir!...
Que ce soit précisément le couple faux cul formé
par Gooper (Emmanuel Patron) et Mae (Sophie Bouilloux) qui tente avec beaucoup
de persuasion, de redonner du sens et de la raison aux contraintes
inévitables de la succession à venir!...
Rien n’empêchera Brick de continuer à narguer tout un chacun,
prolongeant ses états d’âme et son spleen de l’amour perdu à
jamais, au plus profond d’un whisky qui tarde à insuffler le déclic
libérateur et apaisant!....
En outre, l’intrusion du poids moral des institutions et de la
société au sein de cette famille est représentée
par le Révérend Tooker (Emmanuel Pierson) et son alter ego
le Docteur Baugh (Joël Demarty), tous deux se disputant sans vergogne
le titre de meilleur Tartufe!...
Aussi à questionner l’enjeu de ce récit théâtral,
serait-ce deux frères rivalisant sous le regard de leurs proches ?
Serait-ce deux brus jalouses, tirant à hue et à dia leurs
territoires de conquête? Ne serait-ce pas des parents qui au soir de
leur vie tente désespérément de surnager sur les derniers
flots? Serait-ce?... Ne serait-ce pas ?
C’est tout cela à la fois, emmêlé dans maintes
subtilités qui décrivent en toile de fond l’art du mensonge
comme un principe dynamique de Réalité, voire comme une
éthique!...
Pour cette création de la version initiale d’«Une chatte sur
un toit brûlant » au théâtre de la Renaissance,
l’adaptation de Pierre Laville, la mise en scène et les
interprétations sont remarquables!... De toutes évidences,
tous concourent d’ores et déjà pour les Molières 2001!...
Theothea le 30/10/00
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