Les
Chroniques
de
Theothea
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chroniques
de 41
à
45
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OUBLIER
de Marie Laberge
Mise en scène: Daniel Benoin
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Théâtre du Vieux-Colombier
Tel:
01 44 39 87 00
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En un huis clos cerné par la tempête de neige, quatre soeurs
se retrouvent dans la maison familiale auprès d’une mère agonisante
et réfugiée dans les toilettes!..
Quatre points de vue face à une situation à la fois morbide
et burlesque!... Une écriture quebecquoise qui fait fi des convenances
pour plonger au coeur du ressentiment!...
Tout se passe comme si était instruit à charge et à
décharge le procès d’une mère qui n’a que le bruit
intempestif et cyclique d’une chasse d’eau pour se faire entendre!...
Comme dans un jeu de société où la connivence
distribuerait des rôles antagonistes, les quatre soeurs se relaient
au chevet d’une mémoire qui n’en finit de rejouer l’enfance et son
cortège d’inhibitions, de non-dits, de jalousie et d’amour
empêtré!....
Mais voilà le temps a passé, les caractères se sont
forgés et endurcit au fil des expériences de vie professionnelle
et affective souvent insatisfaisantes!... Aussi désormais le conflit
jusque-là latent, est-il mûr pour éclater en une
déflagration infinie!...
C’est la mère, Juliette qui serait donc la coupable initiale de
cet échec général!... C’est elle qui devrait être
sacrifiée au son du glas, sans aucune pitié pour ses incontinences
et sa maladie d’Alzheimer!...
Le mutisme soudain de Micheline, l’activisme pragmatique de Judith,
l’indifférence provocatrice de Joanne s’opposent cependant à
la compassion terrassée de Jacqueline qui tente
désespérément l’apaisement autour de la grabataire
délibérément cachée!....
Seule la mauvaise conscience rôde sur toutes, en se travestissant
dans une succession de prises de position hystériques et
jusqu’au-boutistes!...
Ainsi l’objectif serait de résoudre ce profond malaise collectif
en transgressant le traumatisme du passé pour atteindre au sentiment
de liberté chèrement gagné!...
Au terme de cette psychothérapie familiale, les voies d’un avenir
recouvré semblent appartenir à chacune.... dans l’ombre d’une
mère qui continuera d’expirer!...
Nous avons apprécié particulièrement
l’interprétation de Cécile Brune qui promène avec
délectation le personnage de Joanne, dans une distanciation cynique!...
Tous les comédiens s’adaptent avec détermination à une
mise en scène qui met en valeur la cyclothymie des caractères
et les excès d’humeur contradictoire, tout en en laissant percevoir
l’ambivalence!....
Theothea le 23/11/00
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SLAVA 's SNOW SHOW
de Slava
Mise en scène: Victor Kramer
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Casino de Paris
Tel: 01 49 95 99 99
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Superbe comme un feu d’artifices dans la neige, étrange comme un
poussin dans une bulle de savon, inquiétant comme une mémoire
du fond des âges, émouvant comme un rêve éveillé,
le Snow Show ravive les ballons rouges de l’enfance, les contes de Noël
au coeur de la steppe, survolant les imaginaires qu’il embrase en faisceaux
d’étincelles!...
Une lenteur lunaire compose la gestuelle et les expressions du visage
à la fois farceur et ténébreux de Slava, voire accablé
de ses acolytes !...
En glissant à l’infini, les traîneaux fantôme
déclenchent un raz de toile d’araignée qui s’avance
inéluctablement vers les spectateurs, les recouvrant au passage de
son long manteau ajouré!...
Des tempête de neige en papier virevoltent dans la poésie
des fumigènes et le souffle d’un blizzard chaleureux!...
Des énormes ballons multicolores peuvent alors blackbouler dans
la salle du Casino de Paris, où une foultitude de bras se dressera
pour les diriger à chaque rebondissement, au-delà des rires
et de l’inquiétude métaphysique!...
A la croisée du plaisir et de la frayeur latente, ce spectacle
venu des profondeurs de la Russie, invente une fête de
l’émerveillement que grands et petits apprécieront au diapason
des images enfouies et de l’atavisme!...
Theothea le 21/11/00
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LE COCHON NOIR
de Roger Planchon
Mise en scène: Roger Planchon
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Théâtre de la Colline
Tel: 01 44 62 52 52
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A la manière d’un chemin de croix où les multiples stations
rejouent sans cesse la mise à mort d’un monde hostile, Roger Planchon
nous emmène au coeur du monde ancestral où les forces surnaturelles
s’affrontent directement à celles de la Théologie!...
Sorcier et curé rivalisent sur le terrain des souffrances physiques
et morales pour mener une guerre d’influence que nous identifierions de nos
jours aux pouvoirs de la manipulation!...
Pendant que les révoltes sociales de la commune grondent dans la
capitale, là sur cette terre paysanne oubliée par la marche
de l’Histoire, les pompes d’un mariage annoncé cachent maladroitement
viol, inceste et autres turpitudes d’une vie communautaire, tirée
à hue et à dia par des idéologues de pacotille!...
Gédéon, à l’instar du locuteur dans «La nuit
juste avant les forêts» de Koltès, se présente et
agit en électron libre, en prônant l’irresponsabilité
morale, engendrée elle-même par les perversions manifestes de
l’humanité!...
Du moyen-âge à la modernité, les forces du mal seraient
ainsi à l’oeuvre pour saper les aspirations à l’Idéal
et c’est comme solde de tout compte que ces deux antihéros prennent
respectivement le parti de s’en affranchir!...
Ici, au théâtre de la Colline, reprenant la création
de sa pièce en 1973, Roger Planchon s’investissant tous azimuts, en
construit une mise en scène cinématographique, découpant
en fondu enchaîné le flux de l’histoire par des tableaux
intermédiaires, de manière à figer la composition du
vivant au plus profond de l’inconscient collectif!...
Face à un Gédéon à l’accent provençal,
typé Daniel Auteuil dans «Manon des sources», et
interprété excellemment par Roger Souza, l’auteur-metteur en
scène quant à lui, endosse avec une légèreté
de bon aloi, les frusques du solitaire, ce sorcier errant dans les
campagnes!....
Du grand art théâtral dont Roger Planchon maîtrise
l’ensemble des composants avec une pertinence pédagogique
inégalée et un goût jubilatoire du spectacle total!...
Theothea le 30/11/00
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LE REVE ARGENTIN
d' Armando Discepolo
Mise en scène: Oscar Sisto
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Théâtre du Renard
Tel: 01 42 71 46 50
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Qu’il est poignant le désenchantement qui imprègne en 1900,
cette famille de paysans napolitains, immigrés en Argentine alors
qu'Esteban, le fils aîné était promis par les siens et
par lui-même au plus bel avenir à Buenos Aires!...
Devenir un grand compositeur d’Opéra à l’égal de
Puccini et Verdi!...
Vingt ans après, marié et père de 7 enfants, il
végète comme tromboniste dans la fanfare municipale, en subissant
l’acrimonie de ses proches qui lui reprochent de les avoir mystifiés
tout au long de ses années!....
Cependant vivant en communauté familiale, c’est davantage
l’affectivité excessive partagée ensemble qui est devenue leur
principal handicap à tous, plutôt que l’échec d’une vocation
artistique de celui qui avait initialement décroché son
diplôme au conservatoire national de musique de Naples!....
Nous pénétrons ainsi dans l’intimité d’une famille
«tuyau de poêle», revisitée à la sauce argentine
par Armando Discepolo, grand auteur de la première moitié du
XXème siècle!....
Chacun de ses membres y semble avoir développé des outrances
comportementales qu’un amour infini protège sans réserve et
sans pudeur psychologique!... Comme si le délire devenait la
«substantifique moëlle» de l’imaginaire sécrété
par ce cocon familial!...
Grâce à des comédiens truculents, c’est un plat savoureux,
très couleur locale, que nous concocte le metteur en scène
Oscar Sisto, tellement l’exotisme suranné des sentiments à
la fois naïfs et sincères qui se développent entre parents
déjà âgés et enfants déjà adultes,
nous apparaît à la fois criant de vérité et bel
et bien objet d’un conte métaphorique!...
« La vie est une illusion et l’idéal, un papillon qu’on
n’attrape pas » !...
Theothea le 27/11/00
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STALINE MELODIE
de David Pownall
Mise en scène: Régis Santon
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Théâtre Silvia Monfort
Tel: 01
56 08 33 88
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A toutes les époques, le Pouvoir a aimé s’entourer des artistes
mais rarement il a su et voulu leur laisser une réelle liberté
de création!...
Le cas échéant, tout se passe comme si un antagonisme naturel
contraignait ceux-ci à se rapprocher de l’Etat en se moulant dans
une version officielle qui précisément leur ôte toute
originalité!...
Tel le papillon attiré par la brillance de la flamme, ce sont les
«ailes du désir» qui viennent ainsi se consumer en
première instance!...
Bien entendu, selon les périodes et le régime institutionnel
en place, une grande latitude de comportements, du plus libéral au
plus autoritaire, a le loisir ou la contrainte de s’installer au coeur des
consciences!...
Mais, toujours un même schéma dresse plus ou moins consciemment
l’état des lieux, suggérant ou imposant une petite mélodie,
destinée à mettre en musique l’avenir des puissances en
place!...
Le nier équivaudrait à feindre de croire que la
notoriété de l’artiste acquise éventuellement dans la
résistance et la révolte, aurait des chances d’être
légitimée par sa marginalité!...
C’est donc ainsi que dans la pièce de David Pownal, Prokofiev et
Chostakovitch obtempèrent au bon vouloir de Staline, non tellement
parce que ceux-ci craignent pour leur survie mais parce qu’ils pressentent
que la reconnaissance de leur oeuvre artistique en dépend!...
La tonalité caricaturale de cette réunion de crise au Kremlin
en 48 où ces deux musiciens renommés constituent les souris
dont s’amusent le chat «Joseph Staline» et le molosse
«Andreï Jdanov», secrétaire du Comité Central,
révèle à quel point les dés étaient
pipés à l’avance!...
De toutes évidences, le caractère universel que constitue
le «langage» de la musique, fait d’office de celle-ci un instrument
convoité par le Pouvoir; aussi quand elle s’avise à des
prétentions atonales, comment imaginer que ce dernier ne se sente
pas gravement menacé dans ses structures et sa
pérennité?
Cependant, si en l’occurrence le recours au compromis neutralise toute
violence physique, l’abdication de l’Art au profit de la raison d’Etat, montre
à quel point la liberté des esprits pourrait être une
vanité bien illusoire!...
Terrible constat que dresse cette fable moderne qui, si elle possède
toutes les qualités d’une farce, s’appuie sur des événements
historiques avérés, rendant crédible son
témoignage!...
Les comédiens Victor Lanoux, François Lalande, Olivier Brunhes
et Vincent Grass y gagnent brillamment la gratitude du metteur en scène
Régis Santon... tous ensemble au service de l’auteur David Pownal!....
Mais à ce jeu de l’art du théâtre, existerait-il
également un enjeu du pouvoir ?
Theothea le 29/11/00
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