Les
Chroniques
de
Theothea
|
 |

chroniques
de 51
à
55
|
JEFFREY BERNARD EST
SOUFFRANT
de Keith Waterhouse
Mise en scène: Jean-Michel Ribbes
|
***
Théâtre Fontaine
Tel: 01 48 74 74 40
|
Créant en France le rôle interprété par Peter
O’Toole à l’Apollo Theater de Londres en 1989, puis dix ans plus tard
à l’Old Vic, Jacques Villeret établit d’emblée un
compagnonnage, voire une filiation avec le personnage de Jeffrey Bernard,
à la fois dandy et fantasque qui dans les brumes de la vodka, pose
un regard attendri, amusé et complice sur les rencontres et tribulations
qui décrivent le roman de sa vie!...
S’étant endormi cette nuit-là, dans les toilettes du Coach
and Horses, il se résout à en attendre l’ouverture non sans
tenter de réveiller à plusieurs reprises le patron du Pub par
téléphone!...
Chroniqueur mondain, sa plume se trempe dans l’encre des frasques
d’êtres originaux qui affabulent, rêvent et divaguent une existence
qu’ils peignent aux couleurs de l’étrangeté et du génie
artistique!....
S’immergeant parmi eux, il en est devenu à son insu, le leader
charismatique que les volutes du tabac ont porté sur ce petit nuage
d’où il nous harangue, en cette aube très inhabituelle!...
Défile alors une galerie de portraits extravagants et
d’événements pittoresques dont nous devenons a posteriori les
témoins éberlués!...
Doué pour le prosélytisme de l’alcool et sachant parfaitement
ranger les rieurs de son côté, Jeffrey aurait tôt fait
de nous convaincre de le suivre sur les pentes vertigineuses de son délire
fort sympathique et aisément contagieux!...
Cependant cette logorrhée d’ivresse, destinée à tromper
l’attente de «Godot» trouve de fait son public là où
la convivialité de la conversation réchauffe les souvenirs
partagés sur le ton de la confidence, voire du conte pour grands
enfants!...
A l’ouverture du Pub, Jeffrey pourra, s’il le souhaite, aller rejoindre
les bras de Morphée; le charme indicible de Jacques Villeret lui,
restera imprégné en notre mémoire, comme un malicieux
parfum à la suavité éthylique!...
Theothea le 12/12/00
|
CLAUDINE OU
L'EDUCATION
Mise en scène: Philippe Caubère
|
****
Théâtre de l'Athénée
Tel: 01 53 05 19 19
|
Philippe Caubère possède ses valeurs, ses repères,
ses ambitions, ses qualités, ses défauts etc.... à
l’instar de tout à chacun!...
Mais sa différence, est qu’il y tient au point de ressasser
continûment le même sillon pour aller jusqu’au bout de leurs
nécessaires implications!...
Ainsi son devoir et son oeuvre seraient de poursuivre jusqu’au point ultime
de tous les retranchements, l’étoile d’une nostalgie jamais
assouvie!...
Cependant dans cette épopée autobiographique en diable,
il y eut inévitablement une rupture fondatrice!...
Le comédien la date de manière crédible du
décès de sa mère, précédant de peu sa
rupture d’avec le metteur en scène, Ariane Moutchkine!...
Selon lui, c’est seulement après le film Molière, que la
compagnie du Théâtre du Soleil eût pu atteindre à
la quintessence du travail entrepris, en systématisant tous les
matériaux acquis pour le parachever en chef d’oeuvre!.... Il n’en
fut rien!... Aussi passer à d’autres projets collectifs fut pour lui
source de profonde déception et d’immenses regrets!...
De là, sont nées règle de conduite et éthique
personnelle, impérieuses: Remettre constamment sur l’établi
de l’écriture, le puzzle de la mémoire pour lui faire purger
toutes les réminiscences qui cherchent à dissimuler le trésor
des affects mais en prenant le risque évident de réveiller
simultanément tous les anciens démons!...
Un véritable travail de psychanalyse freudienne pour une enquête
récurrente et associative, mais également de philosophie kantienne
qui, en accréditant l’approfondissement incessant, s’inspirait
elle-même volontiers de la rumination bovine!....
Mais si l’abîme du passé constitue une source inextinguible
de découvertes passionnantes, Philippe Caubère, en envisageant
un si vaste chantier de recherche, s’enchaîne paradoxalement et de
facto avec les mailles de l’avenir, sans savoir s’il pourra réellement
un jour, parvenir à ses fins!....
En l’occurrence, en cette première partie de «L’homme qui
danse» (qui en comprendra cinq ou six!) intitulée «Claudine
ou l’éducation», ce sont la naissance, l’enfance et
l’adolescence dans les années cinquante, celles du baby-boom qui remontent
à la surface d’une mémoire collective imprégnée
à jamais par l’image emblématique de Johnny Hallyday à
qui Philippe Caubère dédie son spectacle!...
Par ailleurs, la figure de de Gaulle s’élevant en stature de commandeur
dans le brouillard des premiers tubes cathodiques et râbachant à
l’envie que le maréchal Pétain avait trahi la France, pourrait
illustrer à merveille cette volonté de
l’auteur-metteur-en-scène de jouer constamment le même sillon
d’un disque 78 tours, rayé à jamais!....
De même pour Mauriac se lançant en des diatribes moralistes
où les mots ne trouvaient leur sens profond que dans leur inaudible
et géniale incompréhension!...
Et puis, se scandaient les événements d’Algérie au
rythme des «petites marches» que sa mère ne cessait
d’évoquer en passant d’une pièce à l’autre pour éviter
d’ y perdre son équilibre!...
Effetivement avec Philippe Caubère, tout est dans tout!...
L’amalgame passe au peigne fin tout ce qui résiste ou cherche à
s’esquiver!... La langue de bois s’y dissout en une logorrhée que
trois heures de spectacle sans entracte ne parviennent guère à
épuiser!...
Les spectateurs se prennent à son jeu, ils en redemandent!... Le
bouche-à-oreille transforme son spectacle en une quête universelle
des origines qui affiche complet à chaque représentation!....
A suivre donc, avec «Le théâtre selon
Ferdinand»!...
Theothea le 14/12/00
|
LE DINDON
de Georges Feydeau
Mise en scène: Anne Delbée
|
**
Théâtre 14
Tel: 01 45 45 49 77
|
Feydeau est une fête de l’esprit, un régal des zygomatiques!...
Les comédiens aiment se laisser emporter dans son flux
énergétique où chaque impasse du labyrinthe amoureux
s’invente en feu d’artifices inventif!...
Mais ce plaisir obéit à une contrainte impérative;
celle de respecter en ses moindres rouages, une mécanique de très
haute précision ne souffrant aucune altérité, ni aucun
état d’âme!....
C’est sans doute dans cette perspective que la mise en scène
d’Anne Delbée pourrait être sujette à caution!...
En effet sublimant l’emphase des comportements et le surréalisme
des situations, celle-ci tend souvent à une certaine abstraction
esthétique là où il faudrait, nous semble-t-il, tout
au contraire mettre les points sur les « i »!...
Pourquoi en effet refuser de faire entendre des sonneries, lorsque les
protagonistes se plaignent de leurs retentissements intempestifs ?
Pourquoi un personnage se réfugie-t-il dans un lit, alors qu’il
annonce qu’il quitte la pièce ?
Bref, ces multiples contradictions délibérées estompent
les repères du spectateur qui tend à s’égarer hors des
rails solidement implantés par l’auteur!....
Moderniser les pièces de Feydeau pour les rendre sensibles à
la contemporanéité ne signifie pas pour autant les amputer
de ses signes distinctifs!...
Anne Delbée a su inspirer le souffle exacerbé nécessaire
à l’interprétation mais paradoxalement a freiné le rythme
et la respiration des séquences!...
Sous sa direction, les comédiens osent se distancier en transgressant
les rôles!... Ce qui, convenons-en, ajoute souvent un supplément
d’âme au délire!....
Theothea le 14/11/00
|
L'AIGLON
d' Edmond Rostand
Mise en scène: Marion Bierry
|
**
Théâtre Trianon
Tel:
0 892 702 502
|
De «Après la pluie», récompensé par le
Molière du meilleur spectacle comique en 99, Marion Bierry,
déjà metteur en scène de «Horace»,
«L’écornifleur», «Le journal d’une petite fille»,
pièces toutes nominées aux Molières, trouve avec
«L’Aiglon» en cette fin 2000, une pièce et un auteur
d’envergure pour franchir les siècles!...
Du théâtre de Poche au Trianon, fidèle à son
équipe de scénographie et de lumière, les dimensions
du spectacle se multiplient, le nombre de comédiens se double et une
grande production d’origine industrielle mise sur son talent reconnu!...
Avec ce spectacle historique et littéraire, Marion Bierry est donc
en charge d’une grande ambition pour laquelle une volonté
d’extrême qualité est soigneusement apportée dans tous
les aspects de la création artistique: costumes, masques, décors,
lumières, son etc!...
En revanche, la direction d’acteurs paraît plus hésitante
et sans doute le désir de faire oeuvre collective l’emporte sur la
nécessité de construire une aura autour de l’Aiglon et d’y
insuffler ce charisme qui capterait l’essentiel de l’attention des
spectateurs!...
N’oublions pas que trois ans après son succès avec «Cyrano
de Bergerac», Edmond Rostand écrivait «l’Aiglon» en
l’honneur de Sarah Bernhardt qui connut avec ce rôle, un immense triomphe
public!...
Lucas Tavernier est loin de démériter, mais sans doute
n’apporte-t-il pas au rôle du «Roi de Rome» en France, devenu
«Duc de Reichstadt» en Autriche, la démesure qui illustrerait
le surréalisme de sa captivité familiale!...
Ce sont néanmoins les frasques de Séraphin Flambeau, le
grenadier perspicace tentant de déjouer la garde de Schönbrunn
et interprété joyeusement par Bernard Ballet qui réussissent
à imprimer le rythme de cette épopée romanesque dont
les répliques sculptées au scalpel des alexandrins résonnent
d’un humour ravageur!....
En contrepoint, la figure autoritaire et pragmatique du Prince de Metternich,
incarnée par François Dunoyer, révèle au drame,
la contingence insurmontable des obstacles géo-politiques!...
Ainsi naît l’émotion d’un spectacle dont l’intensité
aurait pu être décuplée si toutefois ses forces actives
avaient pu se concentrer exclusivement et même avec outrance sur ce
jeune homme appelé Franz, passé à côté
de son destin d’être sacré Napoléon II !...
Theothea le 19/12/00
|
LE RETOUR
de Harold Pinter
Mise en scène: Catherine Hiegel
|
***
Comédie Française
Tel: 01
44 58 15 15
|
Selon un point de vue factuel, s'effectue le retour à Londres de
Teddy accompagné de sa femme Ruth, dans l’intention de rendre visite
à Max, son père veuf, vivant en communauté avec Sam,
son propre frère ainsi que Lenny et Joey, les frères de
Teddy!...
Ainsi, l’histoire de ces retrouvailles familiales peut commencer son
étrange cheminement et poser sa question de fond: Ruth deviendra-t-elle
la prostituée servile de toute la famille ?
Aussi, si les intentions des protagonistes semblent prendre rapidement
une tournure incompréhensible sur le plan de la simple psychologie
comportementale, il sera sans doute perspicace d’admettre que le retour de
Teddy pourrait fort bien en cacher un autre!...
Ne serait-ce pas le refoulé qui effectue ainsi son tonitruant retour
? Ne serait-ce pas l’inconscient collectif qui fantasme ainsi sur scène,
en direct live, et sans filet de protection?
Qui pourrait douter alors que s’emballent les perspectives les plus
audacieuses, dans une complicité instinctive de toutes les
libidos!...
Catherine Hiegel, la metteur en scène a su installer une
atmosphère suspensive, en laissant place aux silences, faisant surgir
le non-dit en lieu et place d’une interprétation rationnelle de la
conversation!....
Et chacun des comédiens de laisser apparaître les forces
démoniaques retranchées dans le fort intérieur des
personnages!...
Roland Bertin, la moue concupiscente, alterne tendresse exacerbée
et monstruosité innommable!...
Les trois frères sur des registres harmoniques différenciés
semblent tisser autour de Ruth, un filet subversif dans lequel, celle-ci
découvre peu à peu le plaisir secret de se laisser enfermer
délibérément!...
Quant à l’oncle profondément choqué par ces moeurs
ostensibles, lui cultiverait plus volontiers le vertige de la transgression
cachée!...
Une grande subtilité dans la direction d’acteurs permet au
théâtre de Pinter de s’exprimer sous forme problématique
et laisse ainsi à l’insu de chaque spectateur le soin de régler
ou non, ses propres «contes» avec lui-même!...
Theothea le 18/12/00
|
|

|
|