CHRONIQUES
36 à 40
S7
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POINT A LA LIGNE
de Véronique Olmi
Mise en scène: Philippe Adrien
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Théâtre du Vieux-Colombier
Tel: 01 44 39 87 00
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Point à la ligne!.... intrinsèquement différent du
point final, celui-là permet d’initialiser le paragraphe suivant pour
passer à une autre idée!.... La pièce de Véronique
Olmi se termine effectivement sur un Point à la ligne et non sur un
Point final!.....
Et entre temps, elle nous raconte cet instant particulier dans la vie
d’un couple de 25 ans, où un « grain de sable » va faire
gripper la belle mécanique de la vie partagée
s’écoulant sans histoire et où pourtant
d’incompréhensions en lâchetés respectives, le bel
ordonnancement va se métamorphoser en faillite complète!....
C’est en tout cas cette histoire là, que voulait nous raconter
Véronique Olmi mais il n’est pas sûr qu’elle soit entendue ainsi
par le spectateur!... Déjà le premier d’entre eux, le metteur
en scène, considère ce « grain de sable » (cahier
compromettant dans lequel traînent quelques notes en forme de
fantasmes!...) comme la preuve effective que l’adultère est le garant
du non-sens de l’institution du mariage!...
Aussi la découverte de ce cahier compromettant nous apparaît
assurément comme un simple épiphénomène dans
la dégradation de ce couple: L’homme et la femme vivent effectivement
ensemble depuis 25 ans, révélant des caractères qui
peu à peu ne se savent plus se dissimuler mutuellement, voire des
patologies qui semblent se confirmer!..
Des étapes
marqueront successivement l’impossibilité du retour en arrière,comme
la naissance de leur fille qui va s’imposer comme le tiers gênant,
celui qui empêche de tourner en rond avec ses illusions!.... Jalousie,
psychose maniaco-dépressive, lâcheté, les torts pourraient
être partagés, mais tout se passe comme si aucun des deux ne
tenait les rênes de l’attelage car ils sont tout simplement submergés
par ce qui devient une indifférence réciproque, trop occupés
à tenter de reprendre le gouvernail de leur propre existence!....
La petite-fille, la fille, le père, la mère, toutes ces
particules élémentaires entrent alors en conflagration
existentielle et se repoussent comme des électrons de charge
négative!.... Ils n’en peuvent mais! rarement des mots de haine, dont
on connaît par ailleurs l’ambiguïté significative, seront
prononcés de part et d’autre avec autant de vérité!...
Processus de projection, d’identification, d’amalgame sont au travail
chez le spectateur au point que celui-ci pourrait pour un peu perdre de vue
que le Réalisme est toujours une fiction au théâtre!...
Il lui est donc nécessaire de maintenir le sens de l’observation au
détriment de celui de l’implication!....
C’est effectivement de la « dynamite » que Véronique
Olmi manie avec ses propres éléments autobiographiques et
immanquablement ceux de chaque spectateur. Attention vrai danger!... Le malade,
c’est évidemment l’Autre!....
Theothea le 25/11/98
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YVONNE, PRINCESSE DE
BOURGOGNE
de Witold Gombrowicz
Mise en scène: Yves Beaunesne
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Théâtre de la Colline
Tel: 01 44 62 52 52
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Du haut des cintres du Grand Théâtre, tout juste rebaptisé
Salle Maria Casarès, de multiples meubles en bois massif se balancent
dans des va-et- vient intermittents, suspendus qu’ils sont à des
câbles qui vont jusqu’à provoquer un enchevêtrement, digne
d’un sac de noeuds!...
Tels des pantins désarticulés, ils contribuent au délire
général qui s’est emparé de la cour du Roi Ignace et
de la Reine Marguerite, car leur fils, le prince Philippe s’est entiché
d’une princesse qui est affublée de toutes les disgrâces dont
seule la répulsion peut parer l’Amour!....
En effet, par défi aux lois de la Nature qui commandent de
manière inéluctable à la Beauté le désir
de s’unir à la Beauté, ce dernier s’est juré
d’épouser face à l’unanimité générale
Yvonne, la muette sans atouts, qui n’attire à elle que les quolibets,
les injures, les humiliations!....
Va s’en suivre un ballet où stratégie, diplomatie, manipulation,
autoritarisme de toutes sortes vont se relayer pour tenter de renverser
l’Ordre naturel et faire surgir le charisme de la laideur!....
Que d’énergie, de pusillanimité, de velléité
vont se déchaîner, entraînant chacun du plus servile au
plus puissant à transgresser une Réalité où la
différence fait tâche!...
Et pourtant qu’elle est belle Yvonne enfermée dans son étrange
silence, si profond qu’il en semble assourdissant à tous!....Sur
scène, Aline le Berre se meut et gravite comme en état
d’apesanteur avec un éternel sourire dont on ne sait s’il est complice
ou béat!...
Face à elle le Roi, influencé par son compère le
Magellan se démantibule jusqu’à en devenir gaga!... La Reine,
l’indicible Bulle Ogier, altière et fantasque s’envole alors dans
un cauchemar éveillé et jubilatoire que seuls pourraient
contrôler des câbles invisibles!...
Mais soudain devant tant d’efforts consentis en vain, le Prince Philippe
opère un retournement de jugement radical et décide d’en finir
une fois pour toutes avec son égarement libidinal insensé!
De manière concomitante quoiqu’en apparence indépendante, tous
sont gagnés par le recouvrement de l’Ordre nouveau: Nier cette rebutante
Princesse Yvonne, supprimer son existence devenue inconcevable à tous!...
Le crime voulu par tous n’est sans doute pas un crime!... Il peut
aisément s’appeler Volonté générale, Morale,
Loi... bref tous ces concepts imminents constitutifs de Civilisation!...
Que vivent donc les consciences en éveil!...
Theothea le 27/11/98
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L'IDIOT
de Dostoievski
Mise en scène: Jacques Mauclair
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Théâtre 14
Tel: 01 45 45 49 77
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Le moins idiot qu’il soit au monde, le Prince Mychkine se présente
plutôt en candide dont l’essentielle lacune serait
l’indécision!... Dans ce train provenant de Suisse où il a
été soigné pour son épilepsie et de retour vers
la Russie, sa rencontre avec Parfione va inscrire le Prince sur les rails
des tourments de la Passion!....
De Moscou à Saint Pétersbourg, c’est l’affection qu’il
suscite qui lui ouvrira alors les portes de la bonne société
dont il fait certes partie par ses origines!.... Son comportement à
la fois simple et courtois, mais aussi idéaliste et exalté
éveille l’intérêt de chacun, tout en perturbant le jeu
social dont il respecte implicitement les règles, sans y entrer!....
Les femmes gravitent autour de lui, appréciant sa sensibilité
tout en s’amusant de son innocence!.... sa fréquentation des hommes
les rend plus dignes à leurs propres yeux!... Tous recherchent sa
compagnie et cependant lui souffre de ne pouvoir apporter le bonheur à
chacun!....
A l’instar de Marcel Proust, son hypersensibilité détruit
autant qu’elle enrichit, faisant de chaque sentiment éprouvé
un enjeu inéluctable!...
Séduit par Aglaïa, jeune fille en fleurs en quête de
sa propre vérité, qui le provoque et le pousse allègrement
dans ses contradictions évidentes, il est submergé par la passion
qu’il éprouve envers Nastassia, superbe femme d’âge mûre
qui n’en finit pas de faire tourner les têtes masculines, mais dont
un sentiment de fierté bafouée inhibe l’âme!...
Emmanuel Dechartre investit le personnage du Prince, en lui apportant
un calme étrange, une voix litanique et suave, une maladresse en
éveil!... Entouré de partenaires brillants, son
interprétation se dessine en contraste indicible, à la
manière d’un miroir sans tain d’une société en
déliquescence, comme une sorte de Don Quichotte qui aurait substitué
la compassion à la mégalomanie!...
Silhouette affublée du pathétisme, son oeil respire
l’allégresse!... Face notamment à Gérard Ortega et
Françoise Thuriès, l’émotion subtile irradie la scène
intime du théâtre 14 et donne à la mise en scène
des connotations Viscontiennes.
Theothea le 1/12/98
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LA MOUETTE
d' Anton Tchékhov ***
Mise en scène: Christophe Lidon
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Théâtre Silvia Monfort
Tel: 01 45 31 10 96
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La
nécessité du théâtre se glisse dans les ailes
de cette mouette comme préoccupation majeure de cette saga familiale:
Chaque membre aspire à se situer face à la représentation
que la vie et donc l’Amour se donnent à eux-mêmes!....
Qu’il est difficile de commencer une carrière de comédien,
plus ardu encore de perdurer et de s’adapter à l’âge, qu’il
est complexe de mettre en mots et d’interroger le langage pour donner à
voir; en outre le succès n’est évidemment pas gage du bonheur,
souvent il en est même antinomique!
Leçon de Vie, leçon de théâtre, Tchekhov excelle
à distiller la parabole au point qu’il nous faut résister à
la nostalgie de l’âme Russe: C’est en tout cas avec une volonté
d’abstraction et de dépouillement que Christophe Lidon a souhaité
apporter la plénitude du texte à la seule responsabilité
de ses acteurs!....
Sur scène et sur fond de symbolisme pictural néo-impressionniste,
s’élève seul un praticable incliné avec côté
cour et jardin deux ouvertures à même les planches figurant
les coulisses du théâtre imaginaire, celles de l’inconscient
sans doute !....
Alors Danièle Lebrun dont nous apprécions par ailleurs la
palette des raffinements subtils, se met à « lâcher la
bride » et parvient à redonner à son corps la silhouette
de la jeune femme qui vampirise le retour d’âge!.... Ce numéro
d’actrice sera bien entendu ajouté à son crédit mais
il ne suffit pas à inspirer le charisme dont ses partenaires semblent
dépourvus!...
En effet sous prétexte d’abstraction, le jeu semble morne et
dénué de transcendance malgré cependant la
frénésie ludique de Yannis Baraban et de Anne-Charlotte Bory.
Un spectacle plein de bonnes intentions qui semblent de fait
s’évaporer dans un vide spatial que nous contemplons en état
d’apesanteur!...
Theothea le 2/12/98.
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POUR UN OUI POUR UN
NON
de Nathalie Sarraute
Mise en scène: Simone Benmussa
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Comédie des Champs-Elysées
Tel: 01 53 23 99 19
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Sami Frey et Jean-François Balmer sont deux grands faiseurs
professionnels devant l’Eternel et à ce titre ils s’y entendent
parfaitement pour communiquer au public la vérité du texte
de Nathalie Sarraute qu’ils ont décidé avec la metteur en
scène d’interpréter à contre-pied du ton que les rôles
impliquent naturellement!....
Exclu donc le pathos que les susceptibilités respectives des deux
personnages pourraient drainer en couches successives!.... Le noir ne se
voit jamais mieux qu’en contraste du blanc!.. Aussi la sensibilité
à fleur de peau des deux protagonistes ne doit pas faire pléonasme
avec une interprétation qui risquerait en grossissant le trait,
d’étouffer des sentiments si subtils!...
C’est ainsi que les spectateurs sont mis en position confortable pour
capter les multiples émotions qui vont se décliner à
la recherche d’un temps contracté en une heure!....
C’est alors que la compassion va pouvoir rivaliser par joutes verbales
interposées avec condescendance, arrogance, hypocrisie, manipulation
etc.... C’est comme si les deux comédiens faisaient irruption sur
un ring imaginaire, «gonflés à bloc» pour en
découdre avec une rhétorique calibrée au scalpel!...
Chaque
représentation de la pièce devenant ainsi l’enjeu d’un jeu
de surenchères où les deux comédiens complices ont le
loisir de se surprendre mutuellement tant l’énergie physique qu’ils
concentrent dans les «starting blocks» a un réel besoin
de jaillir sous les regards ébaubis!... un peu comme si "l’asthme"
de Marcel Proust allait nous submerger en un souffle unique sur «cent
mètres chrono»!...
Tout doit être dit!...Tout sera donc dit!... Et c’est bien ainsi
que la messe est dite!... Puis chacun de repartir avec ses secrètes
pensées, ses ressentiments, ses jalousies rentrées qui ont
l’espace d’un moment, affleuré la conscience collective!...
« C’est bien, ça!... » est le leitmotiv ressassé
de cette heure condensée où il apparaît clairement que
le ton et l’intention priment sur les mots qui eux de toutes façons
se déguisent au gré des événements!... Alors
qu’est-ce que l’ami qui vous veut du bien si celui-ci fait implicitement
de vous son obligé ? Qu’est-ce qu’un discours bien pensant, si au
détour d’une inflexion sur une simple syllabe, se trahit la condescendance
si bien dissimulée jusque là ?
Sami Frey et Jean-François Balmer en porte-parole d’un cynisme
tonique et lucide ? A chacun d’en faire son substantifique miel !....
Theothea le 7/12/98
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