CHRONIQUES
16 à 20
S24
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L'ECOLE DES
FEMMES
de Molière
Mise en scène: Eric Vigner
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Théâtre Comédie Française
Tel: 01 40 54 07 31
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C’est à une superbe mise en scène que nous convie Eric Vigner
où l’écoute du texte, celle des partenaires force, grâce
à une diction articulée jusque dans la moindre syllabe,
l’attention apportée à chaque mot comme si leur sens profond
serait directement lié au temps que spectateurs et acteurs souhaitaient
leur accorder!...
Tels les branchages d’un lierre, les phrases vont pouvoir se répandre
symboliquement sur la structure en espalier qui trône dans des
lumières diaphanes, caressant avec suavité les planches de
la Comédie Française.
A mi-hauteur de la construction de bois et comme d’une chaire sans garde-fou,
véritable plate-forme carrefour de toutes les rencontres, chacun viendra
tour à tour délivrer sa profession de foi, bercée par
des effluves baroques provenant de trois musiciens dissimulés dans
ses méandres!...
Et cela, comme s’il fallait prendre de l’altitude à chacun pour
prendre position face au projet d’Amour que nourrit Arnolphe depuis 13 ans
envers Agnès alors qu’elle n’en avait que quatre!..
Comment parvenir à faire son deuil d’une ambition devenue la seule
raison de vivre d’Arnolphe, alors que s’y mêlent intentions
d’éducation et utopie amoureuse?
Agnès et Georgette par-delà les âges de la vie,
enrobées telles des magnifiques Derviches tourneurs, tourbillonneront
sur scène et dans les têtes, à la fois comme les jouets
convoités d’enfants gâtés ainsi que comme des sphinx
inaccessibles dans la froideur de leurs sentiments!...
Le «Oh !» de stupeur final lancé par Arnolphe,
confronté à la réalité du mariage entre Horace
et Agnés, sonnera la fin du rêve éveillé et par
là-même celle de la magie du théâtre, dont
l’immense plateau se laissera découvrir dans sa réalité
nue!...
Ce passage de témoin entre la doyenne Catherine Samie et la jeune
Johanna Korthals Altes encore élève du Conservatoire, sous
la baguette du «maître d’école» Bruno Raffaelli affiche
des vertus de symbole que seule la Comédie Française peut susciter,
car comme nous le suggère Eric Vigner, le Temps depuis Molière
est effectivement son principal allié!...
Theothea le 01/10/99
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LE CHANT DE LA
BALEINE
d' Yves Lebeau
Mise en scène: Jacques Rosner
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Théâtre du Vieux-colombier
Tel: 01 44 39 87 00
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A chacun sa «Cerisaie» !... «Le chant de la Baleine»
a la sienne!...
«Fermée, fermée !» répète la mère
comme dans une conjuration obsessionnelle, face à la porte de sa maison
que ses trois enfants souhaitent qu’elle quitte ce jour, invoquant de vagues
raisons de sécurité, pour un studio du troisième
âge!...
Mais rien n’y fait!... Sur le pas de la porte, jamais la mère
n’acquiert la tranquillité d’avoir correctement fermé la serrure
en tirant derechef un trait sur le passé heureux qu’elle partageait
alors avec ses trois enfants et son mari.
«Quitter sa maison ?», elle accepterait bien cette idée
bizarre qui a germé dans leurs esprits si toutefois l’un d’entre eux
acceptait de venir partager sa nouvelle vie dans la résidence
envisagée!...
Chacun bien entendu a de bonnes raisons de refuser cette perspective!
Le cadet habite l’Australie, l’aîné a sa propre vie de famille,
quant à la fille, elle voudrait enfin vivre pour elle-même!...
Sur le patio, tous vont rejouer le psychodrame de leurs vies, plus
tentés par un pragmatisme de fuite que par une nostalgie de
l’affection!...
Denise Gence, sociétaire honoraire est ainsi de retour à
la «maison» de Molière pour notre grand plaisir et très
certainement pour le sien!...
Catherine Hiegel, habituée aux grands rôles du répertoire
en robe longue, nous surprend par sa composition de femme
«quotidienne».
François Beaulieu et Jean-Paul Bordes, en retrait psychologique,
les encadrent toutes deux comme si en fait, il s’agissait d’une très
douloureuse explication ultime entre une mère et sa fille!...
Nous ne verrons que la façade de cette maison, mais par transparence,
nous en devinerons les tourments comme si le metteur en scène Jacques
Rosner souhaitait nous les faire apparaître en miroir!...
Theothea le 04/10/99
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LES FAUSSES
CONFIDENCES
de Marivaux
Mise en scène: Jean-Laurent Cochet
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Théâtre 14
Tel: 01 45 45 49 77
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Jean-Laurent Cochet précise dans la présentation des
«Fausses confidences» qu’il s’agit du chef-d’oeuvre absolu de Marivaux
et que par conséquent sa compagnie s’efforcera d’interpréter
cette comédie avec le plus grand respect dû à son
auteur!...
Certes devant un parterre composé majoritairement de
«scolaires», comme lors de cette représentation de début
octobre, la mise en scène se révèle très
efficace:
Vivacité des répliques, télescopage des scènes,
entrechoquements des personnages, nous assistons à du Marivaux TGV,
sans être toutefois assurés de comprendre toutes les circonvolutions
de l’action et tous les méandres de la pensée!...
Condensant l’interactivité des rôles, la subtilité
de leurs relations affectives ou antagonistes est escamotée au profit
d’un comique de la conflagration perpétuelle!...
C’est un choix délibéré de mise en scène qui
a ses vertus, il est cependant possible d’en préférer
d’autres comme celui très malicieux et raffiné qui prévalait
cet été 99, au Théâtre Antoine pour
«Le petit Maître
corrigé» toujours de Marivaux.
Au théâtre 14, nous avons apprécié le jeu de
Stéphanie Canellis qui parvient à composer une «Marton»
crédible, en conservant la liberté de faire à
apparaître les sentiments sur son visage!... Par ailleurs, nous avons
pressenti une palette diversifiée du jeu de Catherine Griffoni qui
avec célérité généreuse joue ici
consciencieusement celui de Jean-Laurent Cochet.
Ce soir-là, les adolescents ont fait un triomphe aux acteurs, en
mettant le feu à leurs applaudissements!...
Theothea le 06/10/99
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GIN GAME
de D.L. Coburn
Mise en scène: Jacques Mauclair
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Théâtre du Marais
Tel:01 42 78 03 53
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Le «théâtre du Marais» avec ses 80 places est devenu
au fil des saisons un lieu «culte» du Théâtre à
Paris que Jacques Mauclair dirige avec toutes les compétences d’un
artisan du spectacle.
Déjà deux Molières ont récompensé sa
transposition de «L’Avare» au XIX, ainsi que «Les Chaises»
de Ionesco avec Tsilla Chelton.
Voici donc le «directeur» à nouveau sur les planches
en compagnie de la très distinguée Eléonore Hirt. Tous
deux vont entretenir un «flirt tumultueux» dans cette maison de
retraite où ils ont échoué selon les vicissitudes de
la vie!...
Chacun a ses secrets, ses blessures, ses remords, ses frustrations et
tente néanmoins de se composer une apparence digne aux yeux de
l’autre, surtout s’il se sent gagné par une misanthropie à
l’égard de tous les autres pensionnaires!..
Trouver et cultiver un terrain d’entente ou même de conflits, telle
est la démarche qu’intuitivement ils se donnent réciproquement,
de façon à faire perdurer leur attachement et lui donner un
contenu qui leur appartienne en propre!...
Alors pas question de fréquenter les animations, conférences,
et autres cours organisés à l’intention des résidents;
c’est pourquoi à l’heure du cours de danse en groupe, ils se retrouvent
seuls sur le patio pour deviser autour d’une partie de
«Gin»!...
Mais voilà qu’au fil des parties de cartes, Fancy ne cesse de gagner
sans qu’il soit possible de déterminer la part de chance de celle
de son intelligence du jeu, alors même qu’elle ignorait jusqu’à
l’existence de celui-ci et de ses règles avant leur rencontre!...
Wingger se sentira donc menacé, déstabilisé dans
ses certitudes, ce qui paradoxalement ne fera qu’accroître sa passion,
sa drogue du jeu de Gin!...
Le couple Hirt-Mauclair fonctionne à merveille, tellement
l’humour, la tendresse, la taquinerie semblent au soir de la vie de leurs
personnages, devoir être les gagnants ultimes de cette tendre
bataille.
Et bien évidemment, leurs talents respectifs irradient l'idylle
dans ce théâtre de l’intimité, précisément
ce soir-là sous le regard étincelant de la spectatrice Tsilla
Chelton!....
Theothea le 07/10/99
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COUVRE-FEU
de Roney Brett
Mise en scène: Bernard Sobel
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Théâtre de Gennevilliers
Tel: 01 41 32 26 26
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Nous aimons Anne Alvaro qui, au sein de la troupe de l’Odéon, imprime
par son timbre de voix venue d’ailleurs, son étrangeté et sa
vérité de comédienne!...
Avec présentement pour décor un noeud ferroviaire grandeur
nature dans l’immense salle « Maria Casarès » du
Théâtre de Gennevilliers dont au passage des sièges
individuels confortables ont remplacé les banquettes spartiates des
gradins, nous faisons face à un assemblage de voies de chemin de fer,
métaphore initiale de l’intrication complexe des souvenirs de la
narratrice anglaise Roney Brett, confus à ses propres yeux!...
Et donc dans une lumière teintée d’ombres inquiétantes,
Anne Alvaro va quatre-vingt minutes durant s’impliquer corps et âme
en un personnage titubant, piégé par ces rails comme par les
fils d’une toile d’araignée!...
Articulant comme jamais, un texte autobiographique dont
l’immensité de la salle ne nous renvoie que des échos mal
perceptibles et pendant qu’un double juvénile et muet effectue une
improbable avancée concomittante sur l’une des voies ferrées,
marquant ainsi le début et la fin emblématiques de notre regard
sur « notre temps » selon le metteur en scène Bernard Sobel,
la comédienne, elle, livre donc avec vigueur toute son énergie
intérieure pour tenter de retenir notre attention qui n’en peut
mais!...
Feu contre couvre-feu, Anne Alvaro mène ainsi un tel combat
désespéré avec les méandres de ce récit
fragmenté que nous ne pouvons que l’admirer davantage!...
Theothea le 08/10/99
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