Après l'aventure épique et titanesque de son Henry VI d'une
durée de 18 heures qui avait enthousiasmé voire embrasé
Avignon, Thomas Jolly nous offre une suite logique au personnage qu'il
interprétait lui-même dans cette pièce, le sinistre duc
de Gloucester, en l'empoignant fermement dans sa marche machiavélique
vers le pouvoir, éliminant progressivement tout autre prétendant,
et son Richard III actuel sera l'apothéose de cette ascension royale
suivie de sa déroute. En sa compagnie, il nous tiendra en haleine,
cette fois-ci, un peu plus de 4 heures.
Dès l'ouverture de son nouvel opus, on est galvanisé. Tel
un oiseau de proie - collerette de plumes - doigts crochus - paillettes et
maquillage outrancier, il jaillit d'une trappe dans des éclairs de
lumière comme s'il déchirait l'atmosphère chargée
d'électricité, bondit sur la scène en claudiquant et
va accaparer le plateau avec une énergie époustouflante
malgré une jambe raidie par une prothèse orthopédique.
Véritable pantin désarticulé, difforme, boiteux,
faisant fi de son infirmité, il baigne avec une délectation
réjouissante dans cette atmosphère lugubre, glaçante
et délétère.
Une esthétique gothique sombre et crépusculaire accompagne
son cheminement démoniaque. La scène très haute de
l'Odéon est cisaillée en permanence par des rayons lasers,
tantôt horizontalement ou verticalement, ou en diagonales transversales.
Ces faisceaux lumineux sculptent l'espace. On croirait voir des éclats
de vitraux d'une cathédrale dans laquelle se déroulerait une
messe ésotérique, parfois de petits projecteurs tournoient
tels des miradors inquisiteurs observant les manigances qui se trament autour
du futur roi. Par ce jeu de lumières totalement maîtrisé,
on visualise la cour avec ses intrigants sulfureux.
Des praticables transforment le plateau en deux trois mouvements, des
écrans vidéo apparaissent de temps à autre comme des
caméras de surveillance accentuant davantage encore l'ambiance
inquiétante qui règne.
L'obscurité profonde zébrée de lignes blanches avec
des fulgurances de rouge domine donc cette course effrénée
pour le pouvoir qui a opposé pendant plus d'un siècle les Lancastre
et les York alors que le duc de Gloucester, assoiffé de revanche,
veut remporter celui-ci à tout prix, quitte à éliminer
les gêneurs potentiels. Ainsi sa démarche pour accéder
à la couronne d'Angleterre sera faite de stratagèmes, de complots
souterrains. Il commanditera l'assassinat de son frère Georges. Puis
les crimes s'enchaîneront, ainsi ceux de ses jeunes neveux, sa femme,
jusqu'aux amis et même ses partisans tel le duc de Buckingham.
Comment parvient-il à ses fins, devenir le monarque absolu ? Par
une logorrhée séductrice et manipulatrice.
Thomas Jolly s'appuie sur la force rhétorique du langage, capable
tel un leader politique d'enflammer le "peuple" et d'instrumentaliser les
gens afin d'accomplir son funeste dessein. Il utilise tous les artifices
du théâtre en fonction de ses besoins, use des ficelles du
music-hall; ainsi, pour clore cette course effrénée, Il se
pare des allures d'une rock- star charismatique en rouge et blanc,
interprétant un morceau électro punk, aux effets sonores
spectaculaires, juste avant l'entracte pour légitimer, avec l'ovation
enthousiaste du public, son titre régalien. Il profite d'un moment
de stupéfaction pour berner les spectateurs et, démoniaque,
atteint son but. Piégés, il a réussi à les rendre
complices de son couronnement.
Plus dure sera la chute. Entraînant le chaos, sa folie va le
précipiter au bord du gouffre. Des images fortes continuent à
nous happer et sa mort contre le cadavre de son cheval blanc grandeur nature,
au terme d'une dernière bataille, est une véritable scène
épique très cinématographique, évoquée
par la célèbre supplique « Mon royaume pour un cheval
! ».
Thomas Jolly est bluffant. D'un bout à l'autre des 4 heures, il
campe un Richard III à la joute verbale démesurée car
pour lui le verbe est plus important encore que les images aussi fortes et
clinquantes soient-elles. Et c'est là que le bât blesse
légèrement car, ici, cette pléthore orale est parfois
écrasée par le poids de la machinerie son-lumières.
Quant à la troupe de la Piccola Familia, elle est d'une grande
vitalité, investie totalement dans cette aventure ubuesque, on y
dénote cependant un surjeu parfois criard de certains
comédiens.
Mais ces bémols exprimés, nous restons abasourdis par ce
sacre flamboyant précipitant ce roi caricatural dans une
déchéance funèbre qui s'achève par une sorte
de générique de film héroïque où s'inscrit
en lettres immenses le mot FIN au moyen d'un glissement subtil des signes
RIII. Certes, l'oiseau de proie s'est brûlé les ailes mais
l'aventure théâtrale à l'indéniable efficacité
se révèle ambitieuse et décapante.
Cats / Theothea.com le 27/01/16