Magazine du Spectacle vivant ...

   

 

   

Les    Chroniques    de

  

13ème  Saison     Chroniques   13.31   à   13.35    Page  212

 

   

DIANE DUFRESNE AUX BOUFFES DU NORD  

     

61ème Festival de Cannes

Palme d'or, juste " Entre les murs " de mai 08

            

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OTHELLO

de William Shakespeare

mise en scène  Eric Vigner

****

Théâtre de l'Odéon

Tel: 01 44 85 40 40

 

    Photo ©  Alain Fonteray 

   

Un plateau noir jais brillant tel un miroir qui réfléchirait les âmes tourmentées des héros et reflèterait leur double inconscient; des ovales concentriques tel un disque vinyle sur lesquels ceux-ci tournoieraient, noyés dans une lagune d'eau émeraude, comme piégés par leur aveuglement et bientôt engloutis dans leur propre abîme.

Othello est la pièce des ténèbres où la question du désir, de l'amour, des ravages vertigineux qu'ils entraînent, circule dans une atmosphère hypnotique et obsessionnelle, d'abord fêlure puis poison engourdissant insidieusement l'esprit jusqu'à l'anéantissement absolu.

Des paravents alvéolés s'imbriquent les uns aux autres qui formeraient tantôt des ponts vénitiens à enjamber tantôt des tours aux mille fenêtres éclairées dans la nuit symbolisant une forme de terrorisme, la peur de l'étranger, le berbère mercenaire, le Maure que les vénitiens utilisent car il est le seul à pouvoir vaincre les turcs avant de le tuer quand ils n'en ont plus besoin.

Des moucharabiehs tout dentelés, propices aux regards indiscrets et à l'écoute sournoise ou des panneaux à l'écriture en braille - serions-nous donc aveuglés, comme les protagonistes eux-mêmes par la tragédie qui se déroule devant nos yeux ? - s'articulent autour de très hauts escaliers... plus dure serait la chute après l'ascension au sommet !

Ce décor abstrait, tel un lego géant aux verticalités et lignes géométriques très étudiées, évoque davantage l'espace mental dans lequel les héros se débattent plus qu'une cité lacustre où la guerre règnerait.

Le noir et le blanc dominent comme un jeu de dames sur lequel les pions avanceraient pour s'éliminer au fur et à mesure. Couleurs froides, lumière métallisée et glacée, blancheur excessive ou noir intense, les éclairages léchés balaient la scène jusqu'à la lampe orangée finale comme l'éclat incandescent précédant la mort quand la lumière s'éteindrait sur les héros qui ne voyaient plus clair.

Noir et blanc des costumes, tel Iago, qui, en clown blanc se masque et joue l'innocence comme pour mieux tromper son monde en véritable serpent dissimulateur et paradoxe vivant d'une âme fourbe; il deviendra le véritable manipulateur des sentiments d'Othello, gouverneur de Chypre, et, sous cette apparence candide, lui injectera petit à petit le venin de la médisance et du soupçon.

En fait Iago, le subalterne et le bafoué, s'avère être le double d'Othello. Celui-ci, sous l'emprise de l'amour, en manifeste les deux versants, le clair et l'obscur, le lumineux et le ténébreux, pour se laisser finalement empoisonner par la douloureuse jalousie qui le conduira au meurtre et à sa perte.

Dans cette nouvelle mise en scène très moderne, comme l'est la traduction qui suit au plus près le jeu des acteurs, l'accent est mis davantage sur le couple indissociable que forme Iago et Othello puisqu'ils constituent les deux faces d'une même médaille.

Michel Fau, coupe au bol lui donnant l'allure de Jeanne d'Arc, est sirupeux à souhait; quant à Samir Guesmi, à la stature sereine, il joue le dédoublement très distancié et intériorisé.

Au-delà du traditionnel couple Othello avec sa rousse vénitienne et de la mise à mort de la blanche Desdémone, poignante Bénédicte Cerutti un peu en retrait, Eric Vigner met d'abord en valeur le métissage de l'âme humaine, en le liant au tumulte de cette dualité masculine.

Cat.S / Theothea.com, le 20/11/08

L'ECHANGE

de Paul Claudel

mise en scène  Yves Beaunesne

****

Théâtre de la Colline

Tel: 01 44 62 52 52

 

        Photo ©  Guy Delahaye 

   

De "L'hôtel du libre-échange" de Georges Feydeau à "L'échange" de Paul Claudel, publiés tous deux en 1894, Alain Françon, fêtant ainsi son douzième anniversaire à la tête du Théâtre de la Colline, ose, à dix mois d'intervalle, le grand écart linguistique que l'émancipation de l'Amour se doit de rétribuer à ceux qui font les frais de l'infidélité.

Certes, les deux couples échangistes de Claudel ne sauraient cautionner la "franche rigolade" du début de l'année 2008, mais ils ont, pour eux, cette poésie de la libre versification que la désillusion amoureuse peut porter au sommet du mysticisme, pourvu que l'ascèse soit consentie.

Cependant, que de points communs entre les deux pièces dans le chassé-croisé que livre la séduction à l'égard du principe du plaisir alors même que l'argent en procure le statut de consommateur attitré.

Donc, Marthe (Julie Nathan) ayant suivi, par amour, Louis Laine (Jérémie Lippmann) dans son poste de gardien d'une villa de milliardaire, va tomber de charybde en sylla, en découvrant d'abord qu'elle est allègrement trompée, ensuite qu'elle a été vendue par son mari à Thomas Pollock Nageoire (Alain Libolt) ce propriétaire businessman pour une poignée de dollars, enfin que Lechy (Nathalie Richard), son épouse, star du cinéma Hollywoodien, jetant le grappin sur Louis, n'aura de cesse de l'humilier par sa condescendance et son mépris.

En bord de mer, au soleil exactement, là où tout était assemblé pour être heureux, c'est en définitive l'incendie de la résidence de luxe, avec son cortège de dommages collatéraux, qui réglera les contentieux conjugaux en remettant les pendules de l'affection à l'heure de la pureté théologique.

Mais qu'importe l'histoire, en définitive, pourvu que l'ivresse des mots soit au rendez-vous d'une musique enveloppante au sein de laquelle se livrent, de plein gré, quatre acteurs emportés par une rêverie subtilement cauchemardesque.

Du "Partage de midi" à La Comédie Française avec Marina Hands en 2007 à "L'échange" au Théâtre de La Colline, la mise en scène d'Yves Beaunesne se plaît, avec justesse, à prolonger l'osmose avec Paul Claudel.

Theothea le 14/11/08

LE SONGE D'UNE NUIT D'ETE

de William Shakespeare

mise en scène  Yann-Joël Collin

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Théâtre de l'Odéon Berthier

Tel: 01 44 85 40 40

 

        Photo ©  Pierre Grosbois   

   

En invitant Yann-Joël Collin et la compagnie "La nuit surprise par le jour" à venir faire la fête avec "Le Songe d'une nuit d'été" aux Ateliers Berthier, Olivier Py, le directeur des deux salles de l'Odéon a pris le risque calculé de déplaire à l'orthodoxie Shakespearienne au profit d'un manifeste pour le geste théâtral débarrassé de toute exclusive artistique.

Le soir de la première, cette nouvelle création accueillait les spectateurs en une arène ouverte à toutes les déambulations pour un placement libre dans des gradins à géométrie modulable.

Depuis le bar à même les tréteaux, il semblait que la représentation eut déjà commencé à l'insu de tous, avant toute prise de parole dûment accréditée.

Quatre heures plus tard, à minuit sonnant, alors que les réjouissances avaient été consommées jusqu'à la lie, tout était de nouveau en place pour recommencer du début, mais sans doute devrait-on, quand même, patienter jusqu'à la représentation du lendemain!

Entre-temps, le spectacle vivant avait laissé place au Music Hall, à la Comédie musicale, au One (wo)man Show, au Happening, à la vidéo et même à l'entraide plus qu'à l'interactivité.

Après trois heures d'intense va-et-vient excentrique, un entracte quasi improvisé laissait quelques minutes de délassement dont peu profitèrent pour s'esquiver.

Comme si le théâtre des années 70 se réinventait en Avignon ou autre Cartoucherie de Vincennes, Cyril Borthorel, Paul Breslin, Xavier Brossard, Marie Cariés, John Carroll, Yannick Choirat, Pascal Collin, Issa Dakuyo, Christian Esnay, Delphine Léonard, Eric Louis, Elios Noël, Alexandra Scicluna, sans que l'on sache très bien qui était qui, allaient nous conter "La très lamentable comédie avec la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé" d'après Ovide alors que le théâtre plongeant dans l'abîme de lui-même nous renverrait l'image d'un Shakespeare jeune découvrant avec jubilation tous les artifices qu'il avait à disposition pour propulser les spectateurs dans une nuit insensée de rêverie.

La nouvelle traduction de Pascal Collin, authentifiant un langage en prise avec les tournures syntaxiques de l'époque contemporaine, ainsi que les compositions musicales de Frédéric Fresson actualisées par le son d'Etienne Colin donneraient l'illusion du réalisme alors même que le songe aurait envahi toutes les consciences.

Les Ateliers Berthier offrent, à juste titre, ce lieu fabuleux où, la structure brute de décoffrage dépeignant aisément les contours de l'art expérimental, les lois du théâtre peuvent se ressourcer jusqu'à l'inventivité la plus drôle et néanmoins la plus extravagante.

Theothea le 13/11/08

LA MADONE DES POUBELLES

     

de & mise en scène  Jacques Lassalle

****

Théâtre de l'Est Parisien

Tel: 01 43 64 80 80

 

        Photo ©  Mario Del Curto   

   

En accouchant d'une Madone sortie des poubelles, c'est au coeur de la Tragédie-Bouffe que Jacques Lassalle enfonce le scalpel de la misère réaliste jusqu'aux invraisemblances du burlesque.

Qu'à cela ne tienne aux affres d'une Argentine en plein marasme du tournant d'un siècle à l'autre, le metteur en scène endosse sa casquette de dramaturge peu prolifique, tellement l'écriture lui paraît essentielle et rare à la fois, pour se laisser subjuguer par le plaisir vertigineux de se ressentir Pygmalion.

Sa Lolita (Roxana Carrara) sera la prisonnière d'un système économique devenu fou, au point de faire basculer les valeurs familiales traditionnelles dans l'enfer de la dette à vie.

Rosko, le père (Rodolfo de Souza) et Jason, le frère (Carles Romero Vidal), sous désaveu matriarcal d'outre-tombe, tiennent les rênes de la déliquescence tribale en organisant le marché noir au prorata de la valeur marchande de la jeune femme.

Celle-ci, promise au grand chef mafieux purgeant une peine de deux années de prison, se languit en stand by d'affection et de droit à l'existence.

Mais voilà que Gratien (Régis Royer), le jeune cadre européen récemment licencié économique, pointe dans le bidonville avec son appareil à photos numériques, pour que s'affolent les enchères du droit à l'image.

Frappé par la foudre, dès le premier regard, celui-ci n'aura de cesse de revenir sur le lieu de sa torture morale, amoureuse mais surtout physique car désormais les coups vont pleuvoir autant que les dollars qu'il ne peut débourser.

En effet l'inspecteur Segundo (Andrés Spinelli), ami de la famille, veille au respect des contrats en cours, qu'ils soient tacites ou explicites, en régulant la balance des paiements au mieux de ses commissions.

A ce stade, le bon samaritain, laissé pour mort, ne pourra escompter le bout du tunnel que si le tango meurtrier de la partie adverse se neutralisait faute de combattants valides.

En jouant sur l'absurdité des consciences exacerbées au fer rouge du travestissement et de la prostitution en trafic pérenne, Jacques Lassalle laisse ses personnages s'abîmer à la mesure de leur propre regard sur eux-mêmes.

Derrière les volets en fer des garages squattés se refermera l'inéluctable cohérence autodestructrice d'où subsisterait néanmoins la lueur d'une fugue rebelle vers un monde meilleur.

Theothea le 12/11/08

CHARLES GONZALES DEVIENT CAMILLE CLAUDEL

d' après les lettres de Camille Claudel

mise en scène  Charles Gonzalès

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Théâtre des Mathurins

Tel: 01 42 65 90 00

 

        Photo presse  DR.  

 

Une totale pénombre, soudain surgit dans un halo de lumière une "gueule, une belle gueule" à la Léo Ferré, anguleuse, blafarde et fardée, auréolée de cheveux hirsutes, au regard à la fois étrangement doux et tendu, d'un éclat particulier prêt à exploser à tout instant et qui révèlera la permanente dichotomie de Camille Claudel, féminine et masculine, tour à tour clairvoyante et démente, pleine d'amour pour aussitôt sombrer dans la haine, calme ou agressive, créatrice géniale et spectaculaire autodestructrice.

Ces versants antinomiques de sa personnalité sont complètement endossés par Charles Gonzalès dont le visage serait pétri par une Camille en fureur qui voudrait y inscrire tous ses désirs et tous ses délires jusqu'à le déformer et le rendre grimaçant et finir par tirer la langue à Rodin et ses "sbires" qui l'ont dépouillée de son art.

Outre un visage modelé à tous les caprices de la psychologie de la sculptrice, Charles Gonzalès module sa voix en conséquence de tous ces états changeants; cette voix sera tantôt lente et fragile, tantôt profondément intense, rauque et caverneuse, à nouveau doucereuse, réclamant la tendresse pour finalement s'emporter, blasphémer, jeter son venin puis devenir véritable cri de souffrance.

Charles Gonzalès, revêtu de haillons, mains bandées comme les momies, symbolisant les mains qui "se sont tues", elles qui parlaient si fort, ou des mains qui ont été tuées, s'empare de cette artiste à l'aide de quelques accessoires, un vieil éventail, une canne chaplinesque pour exprimer la démarche cahotique et brinquebalante, une chaise sur laquelle il s'immobilise et montre l'impossibilité d'agir, une corde blanche pour tenter de s'accrocher tel un fil de funambule duquel Camille, à l'équilibre instable, tombera, une paire de bas pour étrangler son cri et la réduire au silence, des accessoires simples, des presque riens pour signifier le pire, l'anéantissement de la création, la dégradation de l'être, le repli et l'enfermement; la dernière image terrible, les simples bras relevés au dessus de la tête, le visage ravagé, dans une attitude de supplication, est bien le sacrifice d'une femme crucifiée par les hommes.

Un monologue déchirant, tragique, bouleversant. L'acteur, Charles Gonzalès, aux limites des transes qui vous exaltent hors de soi, telle une pythie, est bien devenu Camille Claudel, la maudite, Camille Claudel, la martyre, Camille Claudel, la mythologique.

Cat.S / Theothea.com, le 07/11/08

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