Magazine du Spectacle vivant ...

   

 

   

Les    Chroniques   de

  

17ème  Saison     Chroniques   17.001   à   17.005    Page  302

 

                                          

     

                 

   

               

   

   

         

     

65ème Festival de Cannes 2012

sous ondée crépusculaire

   

Les Molières 2012

Point de vue de Theothea

   

R E V I V A L

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L'ETUDIANTE ET MONSIEUR HENRI

de Ivan Talbérac

mise en scène:  José Paul 

****

Petit Théâtre de Paris

Tel: 01 42 80 01 81  

 

           photo ©   Bernard Richebé

                 

Débuter une nouvelle saison théâtrale par une pièce d’une telle qualité humaine, c’est tout simplement un cadeau venu de la plume d’un scénariste de cinéma qui, s’essayant pour la troisième fois à l’écriture du spectacle vivant, signe un coup de maître en dramaturgie comique.

Dans sa note d’intention, Yvan Calbérac se situe comme un observateur attentif de la perspective patrimoniale déterminant chaque individu dans sa relation avec ses congénères.

En toile de fond, sa lecture discrète mais omniprésente d’une interprétation psychanalytique des comportements sociaux vient conforter son empathie envers ses personnages pris dans une toile subjective mais néanmoins flexible où les sentiments paraissent sans cesse surnager à la surface de la réalité, à la manière d’une piscine à débordement.

Ainsi, toujours à la limite du déséquilibre affectif, chacun mène sa barque comme le funambule de la vie quotidienne sollicitée sans cesse par les interréactions transgénérationnelles.

Mettant en scène un quatuor où les rôles se complètent en opposant leurs destinées au prorata du vertige de la solitude implicite qui les menace, José Paul parachève cette angoisse existentielle en n’ayant d’autres échappatoires objectives que celles de faire surgir, à chaque instant, le rire salvateur.

Défi si bien gagné au plus fort d’un tel enjeu fusionnel que Roger Dumas semble se promener au sein d’un précipité du troisième âge incarné en temps réel, tel l’ange exterminateur des motivations fallacieuses.

Face à lui, une jeune étudiante (Claudia Dimier), mal orientée dans des choix d'apprentissage mal assumés, tente de ramer à contre-courant d'auto-frustrations alors qu'elle voudrait dévorer les failles du vécu.

Entre eux deux, se dresse un couple de tourtereaux vulnérables (Lysiane Meis & Sébastien Castro) qui, tout à la fois, souhaiteraient la fuite en avant à tire-d’aile alors que la pesanteur ne cesse de se rappeler à la vigilance de l’autorité mémorielle, sous le truchement du masque familial.

Quatre comédiens en pleine possession de leurs facultés à communiquer au public, le flux et le reflux des affects pulsionnels, quel que soit l’âge de sincérité à les exprimer entre bougonnerie calculée, espoir onirique et enthousiasme crédule.

Ce huis clos mis au profit d’un hébergement locatif vient, à point nommé, ajuster la trajectoire de chaque destin individuel en le replaçant habilement au cœur d’une cohabitation l’enveloppant d’un cocon à la fois protecteur et inhibiteur.

Ivan Talbérac et José Paul s’emploient à le faire imploser à petites touches ininterrompues d’hilarité au énième degré d’une émotion à fleur de peau.

Theothea le 14/09/12

BRITANNICUS

de  Jean Racine

mise en scène  Jean-louis Martinelli 

****

Théâtre Nanterre-Amandiers

Tel: 01 46 14 70 00  

 

           photo ©  Pascal Victor  

               

Dès le premier de ses 1768 alexandrins, la petite musique de Jean-Louis Martinelli s’installe entre les vers raciniens, en distillant un sentiment d’étrangeté qu’un plateau scénographique, tournant sur lui-même très lentement mais sûrement, vient renforcer, en son axe central, d’un petit bassin miroitant.

Sous sa surface d’eau claire se situeraient toutes les forces occultes qui, d’Agrippine à Néron en passant par Britannicus lui-même, vont renvoyer, dos à dos, toutes les thèses préexistantes sur la conquête du pouvoir ou sur la violence de la passion.

Telle la « patate chaude » renvoyée entre destinataires impliqués, un jeu de chaises musicales se met en place au profit de points de vue différenciés voire interchangeables car les enjeux de la pièce ne sont pas linéaires mais bel et bien parcellaires.

En tout cas, le parti pris de Jean-Louis Martinelli est bien de confronter, scène après scène, les multiples options qui s’offrent successivement aux protagonistes de remporter la mise dans l’instant alors que, dès le coup suivant, la donne peut se métamorphoser en son contraire.

Ainsi, tous pris au piège d’une maîtrise événementielle impossible à maintenir de manière unilatérale, les sept personnages se débattent d’abord avec l’ombre de leurs ressentiments et, seulement ensuite, avec des partenaires substitutifs dont une bonne moitié sont confident, conseiller ou même instigateur, voire cumulent les trois fonctions à la fois.

Bien entendu, il faudra que l’heure du sacrifice rituel sonne sur l’autel de la Tragédie classique et c’est finalement, sans surprise excessive, que la disparition de Britannicus pourra être annoncée avec, à la clef, la nécessité d’une redistribution des cartes à moins que la monstruosité l’emporte définitivement faute d’adversaire à sa taille.

D’une oralité délibérément conceptuelle, la mise en scène distribue la parole au gré d’un schéma mental sans cesse rejoué en son intégralité, comme s’il s’agissait d’épuiser toutes les chances de perspective humaine, mise à mal par la malignité d’une déviance récurrente.

Qu’importe en définitive, que celle-ci puisse s’appeler tyrannie ou autre clone abusif, les conséquences de sa dévastation semblent s’inscrire dans une logique inéluctable, à marche forcée.

C’est pourtant face à l’autorité impériale d’Anne Benoît (Agrippine) que pourra s’épanouir, à satiété, la jubilation décalée d’Alain Fromager (Néron) tout au long d’une véritable leçon de ping-pong dialectique que leurs cinq partenaires vont façonner allégrement en partie de poker menteur.

Theothea le 19/09/12

LE TARTUFFE

de  Molière 

mise en scène  Marion Bierry 

****

Théâtre de Paris

Tel:  01 48 74 10 75   

 

           visuel affiche  

   

Le « Tartuffe » proposé par Marion Bierry s’ouvre sur un décor minimaliste contemporain de Nicolas Sire, aux tons froids et cliniques. Sur le mur blanc du fond se détache un visage du Christ portant croix, suggérant le poids de la dévotion. Sans mobilier, hormis un piano blanc, tout ce blanc serait là, peut-être, pour mieux refléter la noirceur à venir de Tartuffe.

Les comédiens vont rentrer sur scène et, tel un jeu d’échecs, se mouvoir sans raison apparente, de façon répétitive et approximative pendant dix minutes, plutôt longuettes, pour focaliser leur regard dans une même direction, en haut d’un escalier, à l’étage, lieu d’un espace privé aux secrets compromettants, sans doute évoquant la menace à venir. Ils s’immobiliseront enfin autour de la grand-mère, Madame Pernelle (Jacqueline Danno), en chaise roulante, qui va vitupérer contre sa descendance et faire l’éloge de Tartuffe qui a été imposé par le maître de maison Orgon.

Ce prologue semble un peu laborieux avant l’arrivée d’Orgon qui, fragilisé par son veuvage, bien que remarié, est un être sous influence. Il subit avec une certaine jouissance l’emprise mentale de Tartuffe, malgré toutes les réserves et les mises en garde de sa famille. Cet Orgon est campé par un Claude Brasseur goguenard, au regard pétillant et malin. Il le joue bonhomme, bienveillant, prenant, au fur et à mesure, une densité toute humaine, ses « le pauvre homme » sonnent d’un juste ton mais, cependant, il est prêt à faire éclater sa famille en livrant sa fille et sa fortune.

Quant à Tartuffe qui apparaît au bout d’une heure, vêtu de noir, tel un corbeau, tranchant sur tout ce blanc, c’est une autre star de théâtre qui l’incarne, Patrick Chesnais, qui nous le fait doucereux au possible sans doute pour mieux endormir Orgon. Mais par son côté flegmatique nonchalant et désabusé, un peu je « m’en foutiste », reste-t-il trop influencé par les personnages contemporains joués précédemment « Toutou » et « Cochon d’Inde » qui jonglaient avec l’absurde, il affadit l’âme tortueuse et machiavélique de son personnage.

La fameuse scène « Cachez ce sein que je ne saurais voir » dite platement passe inaperçue et ses soupirs pour exprimer son impuissance manquent d’inspiration, ses mimiques tombent à l’eau et quand il est le jouet de la manipulation théâtrale de l’épouse d’Orgon, celui qui se prétend amoureux transi de celle-ci, ne trouve pas la flamme lyrique et ardente du séducteur ou la jouissance friponne du félon dissimulateur.

Il manque beaucoup de conviction aux personnages secondaires à part Dorine (Chantal Neuwirth connue pour les « Brèves de Comptoir « ) qui enrage à l’envi, la belle Elmire (Beata Nilska) qui usera avec subtilité de ses charmes pour abuser Tartuffe dans une belle parade et l’engagement physique de Damis (Arnaud Denis), insuffisamment exploité.

Dans la mise en scène de Marion Bierry, la satire grinçante de Molière a perdu de son âme, celle de dénoncer en faisant rire. On ne saisit pas bien son point de vue, il n’y a pas de réel éclairage, ni satire des dévots, ni dénonciation franche de l’hypocrisie, ni risque d’implosion familiale dont l’ambigu Tartuffe pourrait être le révélateur, car cette famille subit les affres d’une menace qui risquait de briser son harmonie apparente.

Le spectateur, décontenancé, reste sur sa faim, nageant entre les eaux troubles d’une mise en scène sans audace que l’absence de dynamisme rend faiblarde.

Cat.S / Theothea.com, le 29/09/12   

DON JUAN

de Molière

mise en scène  Jean-Pierre Vincent 

****

Comédie Française / Ephémère

Tel:  08 25 10 16 80 (0,15e/mn)  

 

           photo ©  Theothea.com  

                 

Quel contraste entre le Tartuffe dépassionné de Marion Bierry aux tons froids et à la réalisation approximative au Théâtre de Paris et ce Dom Juan proposé à la Comédie Française.

La mise en scène de Jean-Pierre Vincent, au Théâtre Ephémère, est audacieuse et réglé au millimètre.

Elle s’ouvre sur un superbe décor aux teintes chaudes telle une peinture vénitienne sur fond bleu ébloui d’une lumière crue méditerranéenne; celle-ci (Alain Poisson) découpe les personnages, les mettant en relief dans leurs somptueux costumes, aux étoffes chatoyantes (Patrice Cauchetier).

Ce décor de Jean-Paul Chambas, aux plans géométriques, évolue en fonction des épisodes de la marche vers l’abîme de Dom Juan et de son valet Sganarelle.

Au 2ème acte, dans leur fuite, la tempête les jette sur une plage, aux grands pins parasols rappelant une toile de maître; la forêt du troisième acte sera renversée, arbres à l’envers pour mieux devenir le mausolée du Commandeur et la fameuse statue prendra, ici, la forme d'un immense bloc rouge se déplaçant et duquel surgira un être gigantesque.

Après cette traversée, telle une remise en question métaphysique, Dom Juan, rejaillira aussi frais et jouisseur, pour mieux défier le Commandeur lors d’un banquet cadré sur une grande table à la nappe d’une blancheur moirée.

Celui qui fuit ainsi a l’insouciance de la jeunesse.

Il a beaucoup de charme, ce Dom Juan, dégaine d’adolescent, croquant le vie à pleines dents, incapable dans son assurance inébranlable, de réfréner un tant soit peu ses désirs, virevoltant d’une femme à l’autre, abandonnant Elvire, jeune noble après l’avoir séduite, papillonnant autour de deux paysannes, qu’il délaisse par peur de l’ennui ou par lassitude.

Il n’y a pas de calcul chez lui; c’est un enfant mutin et capricieux qui, par provocation, enfreint les règles de la morale et du religieux. Il ne réfléchit pas, n’accepte pas les contradictions, renvoie son créancier, rejette les remontrances de son père.

Par bravade, tel un d’Artagnan, il peut défendre, l’épée à la main, son rival attaqué par des bandits, inconscient de la portée de ses actes, il aime les défis, jusqu'au défi final : le repas avec la Statue du Commandeur.

Loïc Corbery, jeune sociétaire de la Comédie française est ce très original Dom Juan, à l’élégante séduction, très précis dans ses déplacements, ses postures; l'acteur est magnifique de complexité, jusque dans sa transformation en faux dévot au terme de la pièce.

Emporté avec lui dans ses pantalonnades, le puissant Sganarelle est interprété par le merveilleux Serge Bagdassarian.

Massif et très mobile dans son costume moliéresque, il est, tel un Sancho Panza devant Don quichotte, égaré par les folies de son maître qu’il n’approuve pas; il veut le remettre dans le droit chemin mais ne peut s’empêcher d’être son complice et de le suivre contre vents et marées. Pour laver sa conscience, il fait des remarques sentencieuses d’un bon sens populaire, à la cantonade.

Il s’essaie à la rhétorique, dans la pleuterie, véritable contrepoint d’une dispute philosophique existentielle entre le Maître et le valet comme les deux faces opposées mais complémentaires d’une vision du monde qui devrait les entraîner dans la damnation.

Chez Jean-Pierre Vincent, celle-ci ne s’achève pas par la mort foudroyante de Dom Juan après avoir touché la main du Commandeur, mais par une pirouette, un pied de nez au destin programmé.

En effet, tel un tour de passe-passe à la surprise générale, Dom Juan, terrassé, se relèvera et, rejoint par son compagnon Sganarelle, ils quitteront tous deux la scène, riant d’un dernier bon tour joué aux bien-pensants de l’ordre moral et religieux.

Un final étonnant, qui s’éloigne de Molière au terme d’une mise en scène jusque-là d’une grande fidélité, mais voilà le théâtre est magique !

Alors, d’un coup de baguette et …aussi léger que l’air, Dom Juan, désinvolte, nous nargue une dernière fois, telle une énigme transcendentale.

Cat.S / Theothea.com, le 01/10/12   

UN DRÔLE DE PERE

de  Bernard Slade / adaptation  Gérald Sibleyras 

mise en scène   Jean-Luc Moreau 

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Théâtre  Montparnasse 

Tel:  01 43 22 77 74   

 

           affiche - photos ©  Pascalito  

                 

Michel Leeb fait le pari que ses contemporains ont un immense besoin de légèreté d’âme afin de s’affranchir des tourments qui ne cessent de les ronger.

En s’appuyant sur ce postulat, Gérald Sibleyras a rédigé une adaptation de la pièce originale signée Bernard Slade, mettant celle-ci en prise effective avec l’air du temps.

Si, par ailleurs, la maladie est au centre implicite des motivations du pater familias, c’est pour mieux profiter de l’instant présent, ainsi ravi aux forces insidieuses de la pathologie.

Voici donc, en face à face, François, l’adulte immature et Christophe, le jeune homme polarisé par ses études.

Ainsi, Père et fils vont devoir se côtoyer le temps de retrouvailles décidées d’un commun accord.

Cependant les femmes vont jouer les empêcheuses de tourner en rond avec cette relation filiale mise à mal depuis belle lurette par le principe de décomposition des familles.

Majoritaires avec quatre rôles sur sept, les forces féminines en présence vont s’associer au mâle dominant dans sa reconquête pour conjurer et terrasser l’esprit de sérieux ayant pris le contrôle du jeune loup en situation de défensive.

Dire que le personnage de Michel Leeb est complètement raccord avec l’idée que le grand public se fait du comédien l’ayant habitué à son tempérament farceur, serait un euphémisme s’il suffisait d’ignorer le volontarisme, affiché présentement, d’une mission pédagogique, exercée selon un art et des manières très personnels.

L’humour est bien évidemment convoqué à la clef de chaque réflexion ou décision à prendre au fur et à mesure de tribulations liées à deux perspectives de vie forcément et radicalement opposées.

Toutefois, de manipulations avérées en quiproquos incontournables, père et fils vont néanmoins, à force de bonne volonté réciproque, faire des pas décisifs l’un vers l’autre en donnant à cette comédie la tonalité morale, si ce n’est d’une leçon de vie, tout au moins celle d’un modus vivendi où l’adaptabilité joyeuse pourrait se constituer en passeport universel.

Rien que pour cet objectif délibéré et généreux, Michel Leeb mériterait tous nos encouragements; alors si, en plus, l’artiste réussit à nous faire sourire et rire de cet imbroglio relationnel, les félicitations doivent se joindre à nos bravos.

Theothea le 24/09/12

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