Magazine du Spectacle vivant ...

   

 

   

Les    Chroniques   de

  

17ème  Saison     Chroniques   17.011   à   17.015    Page  304

 

                                   

     

                 

   

         

            

     

65ème Festival de Cannes 2012

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LE PERE

de  Florian Zeller 

mise en scène  Ladislas Chollat 

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Théâtre  Hébertot 

Tel:  01 43 87 23 23 

 

           photo ©  Theothea.com 

               

Que l’époustouflant Robert Hirsch soit en pyjama rayé façon bagnard ou en costume de ville, façon retraité actif, le fabuleux rôle d’André, taillé sur mesure par Florian Zeller, est pris dans la tourmente d’un quatrième âge complètement marginalisé par la société moderne.

Comme dans une descente aux enfers, l’enjeu de la vieillerie serait d’être dépouillé peu à peu de tous ses repères, de façon à ce que toute volonté d’autonomie se trouve engloutie dans un statu quo favorable à l’abdication d’une existence à part entière.

C’est ainsi que, profondément, le doute s’installe dans les esprits, le sien, celui de sa fille Anne (Isabelle Gélinas), de ses proches alors qu’à chaque instant la mémoire communautaire, même récente, pourrait être pris en défaut, voire en flagrant délit de contradiction.

Est-ce que oui ou non, Anne lui aurait dit qu’elle envisageait de s’expatrier à Londres ?

Comment se fait-il qu’il ne reconnaisse pas l’aide ménagère avec qui il avait sympathisé précédemment ?

A-t-il assurément des raisons tangibles de penser qu’on pourrait, délibérément, lui soustraire sa montre ?

Puisque l’auteur n’a pas l’intention de résoudre ces tourments qui, par effet de boomerang, s’imposent en objet de questionnement au spectateur, ce dernier se trouve en situation de reconstituer le puzzle problématique, selon l’image virtuelle qu’il se fait de normes sociables acceptables.

André, cet homme âgé et veuf, devrait-il donc être pris en charge par sa fille ?

Celle-ci vit-elle encore mariée, divorcée ou en concubinage ? Bien entendu, son statut relationnel ne regarde qu’elle, à ceci près que cette situation équivoque cache elle-même tellement d’autres ambiguïtés dans la vie quotidienne qui se désorganise tout autour d’André qu’on est en droit de se demander si le vieil homme n’est pas la proie de forces occultes destinées à le dompter, voire plus si opportunités !

Pourquoi son appartement aurait-il pris les apparences de celui de sa fille ?

Mais qui est, donc, ce beau fils qui paraît s’être installé dans la vie de celle-ci pourtant séparée de son mari ?

Et puis, comment se fait-il que Louise, sa seconde fille tant aimée ait disparu de leur environnement à tous ?

Ladislas Chollat, le metteur en scène suit l’auteur, avec respect intuitif, dans ce jeu de vraies-fausses pistes où chacun se doit de remettre les pendules à l’heure.

Mais au fait quelle heure est-il réellement ?

Serait-ce l’heure des médicaments prêts à anéantir tout réflexe de survie ou celle de renvoyer, cul par-dessus tête, toute autorité malveillante à l’égard d’une subjectivité en souffrance ?

Non seulement Florian Zeller laissera chaque spectateur penser ce qu’il veut de ce désarroi générationnel mais de surcroît, il laissera l’autorité médicale prendre le relais, à la suite de la famille…. en une alliance objective et complémentaire.

Alors, tout est bien qui finira bien, se dit-on !

Pas nécessairement car le tandem Zeller-Chollat, tout au long de la pièce, a décidé, à juste titre, d’épouser implicitement le point de vue d’André, de telle façon que l’empathie rejoigne le malaise ambiant persistant… ce qui, en d’autres termes, pourrait s’intituler « La mauvaise conscience collective » !

Theothea le 06/10/12

LE JOURNAL D'ANNE FRANK

de  Eric-Emmanuel Schmitt   

mise en scène   Steve Suissa   

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Théâtre  Rive Gauche 

Tel:  01 43 35 32 31 

 

           photo ©   Theothea.com 

               

Quand la passion s’empare d’un projet artistique, cela force le respect et, si d’aventure ce projet concerne l’un des récits les plus lus au monde, c’est forcément avec admiration sans réserve que s’apprécie le spectacle vivant qui s’en émane.

L’association du prénom Anne avec le nom Frank est à jamais signifiant d’une écrivaine de quatorze années ayant témoigné de l’indicible avec la considération universelle d’avoir contribué à éclairer, au plus haut point, la conscience humaine.

C’est donc pourquoi Eric-Emmanuel Schmitt souhaitait apporter sa pierre à cet édifice patrimonial. L’opportunité d’un appel d’offres lancé par les ayant droits permit à l’auteur de remporter leurs suffrages et de pouvoir s’atteler à la tâche ambitieuse d’en moderniser la représentation théâtrale.

Décidant alors d’en construire le scénario autour de la figure du père d’Anne qui, en remontant le temps, découvre page après page, le journal de sa fille alors même que celui-ci a fini par se résoudre à la perspective inéluctable du non retour, le dramaturge va confier le rôle paternel à un comédien ô combien emblématique à l’égard de cette incarnation:

Francis Huster, puisqu’il s’agit de lui, va en prendre la mesure comme si sa propre destinée était en jeu, alors que bien des accointances personnelles vont lui apparaître d’évidences.

Par ailleurs, en accord avec le metteur en scène Steve Suissa choisi pour cette cause, l’auteur devenu lui-même, entre temps, co-directeur du Théâtre Rive-Gauche allait confier le rôle de la jeune adolescente qu’était Anne, à Roxane Duran, révélation du film d’Hanneke, « Le ruban blanc ».

Tout était ainsi en place pour qu’avec le décor de Stéphanie Jarre, représentant l’annexe de l’Atelier où étaient confinées trois familles juives jusqu’à leur découverte et déportation en 44 par les Nazis, l’intensité théâtrale soit au cœur de l’épreuve et de l’émotion.

A chaque spectateur d’apprécier, à l’aune de l’idée qu’il se fait du Journal d’Anne Frank, la force et la vérité du témoignage reproduit ainsi grandeur nature, subjective et fictionnelle.

Néanmoins, le choix de montrer la promiscuité à travers ses vicissitudes, ses ressentiments et autres exaspérations n’est pas forcément le meilleur moyen de transmettre le sentiment partagé de l’exclusion du reste du monde et celui d’être au ban de la société des hommes.

Alors que Francis Huster nous est apparu en retrait paradoxal du fil conducteur thématique, en revanche Roxane Duran se place d’emblée à la hauteur du mythe avec l’ensemble des fragilités qui lui incombent.

En définitive, le spectacle, construit de manière très cinématographique, est de bonne facture mais laisse une impression d’abstraction inachevée.

Theothea le 05/10/12

QUE FAIRE DE MR. SLOANE

de  Joe Orton 

mise en scène  Michel Fau   

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Comédie des Champs-Elysées

Tel: 01 53 23 99 19  

 

           photo ©  Theothea.com 

                 

Que faire de Mr Sloane ? La question reste ouverte mais ce qu’en fait Michel Fau nous convient particulièrement; Certes le choix de Charlotte de Turckheim pour interpréter le rôle de Kath était osé mais s’avère très judicieux tant la comédienne, encline à beaucoup d’abnégation vis-à-vis des apparences de son ego, va tirer son épingle d’un jeu en carré où la famille tuyau de poêle y convoque le père, le frère et la sœur.

C’est alors que va survenir une espèce de Théorème Pasolinien qu’il va leur falloir résoudre chacun à sa manière.

Pour le père (Jean-Claude Jay) bougon et empêcheur de tourner en rond, c’est clair: Cet étranger, venu de nulle part pour vivre chez eux, est forcément un meurtrier en cavale.

Pour la sœur, au-delà du locataire fournissant l’occasion de subsides à la famille, Sloane (Gaspard Ulliel), jeune beau gosse est une opportunité à saisir sur le plan de la libido. Et comme la denrée est rare pour Kath, c’est peu de dire que celle-ci va se jeter sur le jeune homme comme une furie, prête à toutes les compromissions.

Pour son frère (Michel Fau), l’occasion serait belle également de lui mettre le grappin dessus, histoire d’assouvir l’extravagance de son style de vie.

Cette situation tripartite ne va cesser de se dégrader, au vu des tiraillements intéressés pour confisquer la proie, en exacerbant toujours davantage les reproches, la médisance, la calomnie dans une atmosphère de perfidie et de traîtrise hilarante.

Chacun des rôles en prendra pour son grade alors même qu’au fur et à mesure, les détritus de la décharge voisine envahiront peu à peu la perspective, ô combien théâtrale, de cette famille.

Métaphore au sein de la parabole, le ton de la pièce est une sorte de patchwork où les bons sentiments côtoient les pires noirceurs que l’humanité ne peut assumer.

A ce stade de la transgression du vocabulaire et du bon goût, l’auteur apparaît comme un poisson dans l’eau; ce qui donne à Michel Fau, toute latitude en tant que metteur en scène mais surtout comme interprète pour savoir aller jusqu’où, normalement, il ne faudrait pas aller.

Cela touche tout simplement au génie, mais çà on le savait déjà et c’est donc cartes sur table que Michel Fau abat son jeu fantasque sur les planches de la Comédie des Champs-Elysées.

Theothea le 11/10/12   

LA DERNIERE BANDE

de Samuel Beckett   

mise en scène Alain Françon   

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Théâtre de l'Oeuvre

Tel: 01 44 53 88 88 

 

           photo ©  Dunnara Meas 

               

S’il suffisait, au théâtre, d’avoir une voisine de devant qui ne tienne pas en place, pour se sentir en porte à faux avec une représentation exigeante, il pourrait être aisé de justifier un sentiment de malaise à l’écoute de la dernière bande de Beckett, dupliquée par Alain Françon selon les didascalies très strictes de l’auteur.

En effet, écouter la voix de Serge Merlin, durant la majorité du temps de représentation, au travers de l’enregistrement d’un magnétophone trônant en véritable partenaire sur les planches du Théâtre de l’Oeuvre, en présence du fameux comédien fulminant contre le jeune Krapp, prétentieux et imbécile qu’il juge avoir été au diapason des propos restitués par la machine, pourrait se transformer en véritable souffrance du spectateur lui-même, tant l’insatisfaction semble prendre le pouvoir, pendant ces instants de spectacle vivant, suspendus en abîme.

Bien entendu, face à un tel dilemme critique, il est nécessaire de faire la part des choses :

Le metteur en scène, tellement subtil par ailleurs, ne peut être tenu responsable du respect absolu des directives imposées à sa direction d’acteur.

Ce dernier ne peut, lui-même, être fautif de pousser dans leurs retranchements, toutes les zones d’ombre autodestructives que son rôle d’observateur intransigeant ressent instinctivement face au jeune présomptueux qu’il prend en flagrant délit d’avoir été.

Alors, question d’intonations insupportables, question de propos mythomanes, question d’imbécillité de la jeunesse seraient partie prenante d’une interprétation, forcément ambivalente.

Oui mais, dans cette perspective, quel être censé ne se reconnaîtrait-il pas dans ce retour sur les origines improbables du talent, quel qu’il soit ?

Aussi, dans le mal-être présent, il doit y avoir d’autres facteurs de gêne et d’accablements venant interférer avec la thématique du « On ne peut pas être et avoir été » prise à contre-pied.

Serait-ce, donc, cette voisine incapable de maintenir son corps en état d’attention soutenue qui parasiterait le champ visuel nécessaire à l’empathie scénographique ?

Peut-être, en tout cas: « Yes, I can’t get no satisfaction ».

Serait-ce, ainsi, que le point de vue du spectateur rejoindrait celui de l’acteur…. de toutes évidences, pour de mauvaises raisons ?

Theothea le 08/10/12

LA FAUTE D'ORTHOGRAPHE EST MA LANGUE MATERNELLE

de  Daniel  Picouly 

mise en scène  Marie Pascale Osterrieth

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Théâtre  Tristan Bernard 

Tel:  01 45 22 08 40 

 

           photo ©  Alain Beauvais 

                   

Quel beau présage de s’être produit cet été à « la Chapelle du Verbe incarné » à Avignon pour un homme amoureux des mots et de la langue française, l’ancien enseignant devenu écrivain reconnu est donc aujourd’hui au théâtre, cette fois sur la scène du Tristan Bernard à Paris.

Tel un griot, Daniel Picouly est certes plus un raconteur d’histoires qu’un comédien à part entière, et, devant un tableau noir, il égrène ses souvenirs tirés d’un texte autobiographique « la faute d’orthographe est ma langue maternelle » mis sobrement en scène par Marie-Pascale Osterrieth.

Comme l’a chanté Alain Souchon « J'ai dix ans- Je sais que c'est pas vrai mais j'ai dix ans - J'ai dix ans - Je vais a l'école et j'entends… », l’enfant Picouly se projette dans son école primaire de la fin des années 50 « debout sur le bureau, les mains sur la tête, un cahier accroché autour du cou » et il entend l’instituteur remplaçant qui, outré par le nombre de fautes d’orthographe jusqu’à 26 fautes ¾ dans une même dictée lui jettera un dédaigneux « il faut être bête à manger du foin ».

Ce qu'il ignore ce maître d'école, c'est que la mère du petit Daniel fait aussi beaucoup de fautes. Dans l'esprit de l'enfant, le professeur vient d'insulter sa mère. De cette humiliation, Daniel Picouly tire son envie de revanche, sa rage d’écrire pour laver les affronts faits à sa famille déjà exposés dans « Le Champ de personne (1995) » dans lequel l’auteur décrit son enfance à Villemomble, avec beaucoup de tendresse et de truculence, son père ouvrier d’origine martiniquaise, sa mère et les treize enfants. 

Donc pour son one man show, dans une décor en image projetée de salle de classe avec pupitres, planisphère, planche anatomique, quelques mots d’anglais au mur, (Décors de Pierre-François Limbosch - Lumières de Laurent Castaingt), Daniel Picouly va donner une conférence et répondre aux questions des élèves qui tardent à arriver.

Et voilà l’adulte, devant une chaise géante, symbole du pouvoir du maître, qui se rappelle comment une humiliation subite peut insuffler l’envie de tuer son instituteur, comment on attend la cloche de la récré salvatrice.

Son esprit vagabonde au gré des souvenirs, telles des madeleines de Proust, auteur qu’il s’est mis à lire pour impressionner une fille, laquelle restera insensible, mais pour lui ce fut une belle avancée dans le monde merveilleux de la littérature.

Daniel Picouly que l’on appelle parfois Daniel Piccoli ou même carrément Michel, l’inverse n’étant jamais le cas car on ne peut pas confondre le grand comédien avec lui, occupe bien la scène, sait donner de la vie à son enfance avec ses soldats Mokarex ou ses Dinky toys.

Son langage clair, précis est imagé. Il a en outre l’art de la formule « On doit écrire en amant et se relire en mari ! » et, avec sa voix douce et chantante, il distille humour, sincérité et émotion.

Comme le professeur qu’il fut pendant de nombreuses années se tenant sur une estrade face à des écoliers, Daniel Picouly se retrouve aujourd’hui sur l’estrade théâtrale face à un public qui apprend pourquoi il dit « la faute d’orthographe est ma langue maternelle ».

Chapeau bas d’avoir osé le seul en scène pour celui qui, parce qu’il était nul en orthographe, et dont la maman faisait beaucoup de fautes, est devenu écrivain et a été récompensé par le prix Renaudot pour "L'Enfant léopard" (2000). L’offense reçue comme une gifle est effacée, les blessures se sont refermées sur l’éducation et la transmission, la rage s’est muée en joie de vivre.

Cat.S / Theothea.com, le 06/11/12 

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