Sur laffiche, elle trône, rayonnante dans sa jupe satinée
à volants 18ème siècle, sourire moqueur, regard
espiègle, brandissant un bijou, trophée jouissif dune
victoire. Elle, cest Dominique Blanc, « La
Locandiera » de Carlo Goldoni, mise en scène par Marc
Paquien.
On est un peu étonné de ce choix car Dominique Blanc nous
a habitués au répertoire grave voire douloureux. Elle a servi
les plus grands auteurs ( Racine, Ibsen, Schnitzler, Marguerite Duras). Elle
a travaillé avec Patrice Chéreau et incarné une magnifique
Phèdre, décroché un Molière pour une
« Maison de poupée » en 1999. Mais elle voulait
se frotter au registre comique et campe donc, au théâtre de
lAtelier, après lavoir promenée en tournée,
lalerte Mirandolina, une aubergiste particulièrement malicieuse
qui se joue des hommes hébergés chez elle, dont le fat et
désargenté marquis de Forlipopoli (François de Brauer)
et le fortuné et généreux comte d'Albafiorita (Pierre-Henri
Puente), lesquels se disputent, avec truculence, ses faveurs.
Dans son auberge, sorte de scène de théâtre, elle
interprète un personnage tout en finesse et subtilité. Un peu
âgée pour le rôle, Dominique Blanc nest pas dans
la séduction aguicheuse dune jeunesse insouciante pour charmer
le seul homme qui se dit allergique à la gent féminine, le
chevalier de Ripafratta. Elle va donc utiliser dautres armes, se montrer
spirituelle et jouer avec une autorité malicieuse de la misogynie
exacerbée que celui-ci affiche pour le défier en approuvant
ses moeurs et saccorder ses attentions en se montrant avenante sans
être servile. Elle aussi est indépendante, aime sa liberté
et comprend parfaitement le chevalier qui ne veut pas dentraves.
Cette femme insolente se vengera avec honneur des hommes et cependant
restera soumise à sa condition, car, une fois la partie gagnée,
elle éconduira le malheureux pour accorder sa main à son
fidèle valet Fabrizio, ne pouvant saffranchir de son statut
social et restant conforme aux volontés de son père mort.
Sa victoire sur le chevalier, quelle voulait mettre à ses
pieds, en devient amère car elle restreint ainsi sa liberté.
La jubilation du jeu se teint de gravité.
Dominique Blanc est rayonnante de malice. Face à sa détermination
enjouée, André Marcon, comédien génial,
interprète un chevalier plein de naïveté bourrue qui se
laisse embobiner, malgré ses réticences, aux charmes
féminins. La cuirasse se fend chez cet homme qui atteint une grande
humilité et nous fait chavirer le cur, à défaut
de celui de Mirandolina. Dominique Blanc retrouve ici un ancien partenaire.
Ils étaient Suzanne et Figaro du « Mariage
de Figaro » dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent,
à Chaillot, en 1986. Le duo fait merveille, la scène du repas
est une vraie délectation.
Devant un imposant mur ocre-rouge, principal élément de
décor, seuls quelques meubles, paravent, table, chaises, sont
déplacés au fil des actes, Marc Paquien réalise
une mise en scène élégante, avec une pointe de gravité
cruelle, qui prend des dimensions tellement humaines dans ce
désenchantement final dun homme chaviré par la froideur
mutine de la Locandiera.
Cat.S / Theothea.com, le 30//09/13