Pour sa première mise en scène théâtrale, Isabelle
Carré se dédouble en comédienne osant affronter la puissance
noire de la force.
En effet, jouer et se voir jouer dans le rôle monoparental de
Béatrice face à ses enfants Ruth (Alice Isaaz) 17 ans et Mathilda
(Lily Taïeb ou Armande Boulanger) 13 ans, comme la garde-chiourme selon
laquelle chacune de ses filles essaye, à sa manière, de pactiser
au mieux avec la figure maternelle, relève nécessairement de
la performance « border line » pour une actrice aussi
renommée.
Mais quimporte donc le risque de se mettre ainsi en danger de
notoriété, lartiste éprouve un besoin viscéral
à faire ce saut du miroir en le traversant dune vision
fantasmagorique pour sa réalisation, elle-même au service dun
enjeu communautaire où les trois personnalités féminines
chercheront à se neutraliser mutuellement.
Ainsi, lune par mimétisme formel, et lautre par posture
intravertie, les jeunes filles ne devront leur survie existentielle quen
faisant violence à leur adolescence contrariée par cette mère
tournée exclusivement sur elle-même et sa réussite sociale
avortée.
Sans porter de jugement moral sur ses personnages, lauteur exacerbe
le rapport de forces en contraignant les deux surs à une
rivalité contre nature que la fréquentation ou non de
linstitution scolaire arbitrera de manière paradoxale.
Échec ou réussite ne cesseront dêtre la clef
dune compétition familiale où ce que semble gagner
lune sera forcément à porter au débit des deux
autres.
Isabelle Carré emmène son duo
d« élèves partenaires » dans un
comportement fantasque à composer en temps réel entre prostration
et sublimation comme si le cycle maniaco-dépressif maternel construisait
leur propre vérité.
Par son interprétation désinhibée de ce personnage
sarcastique et tyrannique, Isabelle Carré transgresse crânement
le droit à lexistence pour chacune, en portant le ressentiment
collectif au-delà des normes sociales acceptables.
Le lapin domestique, lhandicapée à charge ne seront-ils,
en définitive, que les seules victimes collatérales de cet
auto acharnement ou, au contraire, le trio au féminin sera-t-il
emporté, comme fétu de paille, dans ce désastre
annoncé ?
A lAtelier, en tout cas, pour un coup dessai, cest un
véritable coup de maîtresse en scène !
Theothea le 20/12/15