Seule la dernière représentation peut avoir un sens quand
"Le Roi se meurt" : nous y avons assisté. Quand le rideau est tombé,
tout était joué, définitivement.
Cette dernière représentation inscrit encore plus
profondément la pièce dans la réalité. Loin des
allégories plus ou moins éthérées, il s'agit
vraiment du cheminement d'un être humain (Bérenger 1er)
découvrant brutalement sa finitude et contraint d'admettre que le
trou noir l'attend non pas à l'orée d'un lointain lendemain
mais à la fin de ce spectacle, devant nous. Aucune échappatoire
ne s'ouvrira et le temps qui lui reste lui sera inexorablement
décompté par les autres personnages tout au long du spectacle.
Et pourtant, il l'aime cette vie. La jeune et belle reine Marie lui rappellera
combien grands sont ses attraits et pourquoi il doit se battre pour ne pas
les abandonner.
La reine Marguerite dans un registre beaucoup plus sombre lui rappellera
tout au long de la pièce les vanités qui peuplent notre existence
et l'exhortera à y renoncer pour accomplir son destin.
Petit à petit, sans jamais changer de ton, en gardant des accents
familiers presque gouailleurs, elle le mènera à ouvrir les
yeux sur ce qui l'attend et, progressivement, à ne plus voir la reine
Marie qui elle-même disparaîtra de la scène.
De la même manière, la reine Marguerite qui, au début
du spectacle fait chorus avec le médecin, parviendra à endurcir
le roi contre les coups violents de ce personnage. Tous les deux, ils l'auront
profondément ébranlé notre Bérenger : son royaume
qui se restreint d'instant en instant, ses sujets qui meurent ou passent
à l'ennemi, les éléments même qui refusent de
lui obéir.
Tous les témoins de la vie du roi disparaîtront : la reine
Marie quand elle aura compris que le roi ne la voit plus, le garde et Juliette
la servante, happés par un " noir ", et enfin le médecin,
appelé vers on ne sait quelles affaires du royaume.
Et finalement la reine Marguerite, après être passée
pour un personnage cynique et acariâtre l'amène à
s'alléger des boulets qui le retiennent à la vie. Elle conduira
seule, et dans une immense sérénité, son roi à
" prendre place " pour le tomber de rideau final. A son tour elle quittera
la scène et c'est donc seul que Béranger 1er " prendra place
" et que le noir se fera peu à peu.
Bien sûr, Michel Bouquet est formidable et rend parfaitement le
lent chemin fait des renoncements successifs à la vie. Tour à
tour, par son jeu le roi est poignant, insupportable, exaspérant,
attendrissant.
Bien sûr, Juliette Carré nous présente une reine
Marguerite entièrement attachée au roi et qui sera son guide
familier jusqu'au dernier instant.
Le médecin (Jacques Echantillon), la reine Marie (Valérie
Karsenti), Juliette (Nathalie Niel) et le Garde (Jacques Zabor) sont eux
aussi parfaits mais ont un peu de mal à exister vis-à-vis du
couple royal.
La mise en scène de Georges Werler rend remarquablement, dans la
limpide fluidité du temps, les révoltes du roi confronté
à un destin qui le révulse. Il s'écoule inexorablement
et chaque annonce du temps qui reste au roi rappelle le spectateur à
l'ordre et lui fait redouter à la fois l'issue fatale d'un personnage
qui nous aura rappelé tant de situations vécues mais aussi
la fin d'un spectacle dans lequel nous sommes aussi parfaitement
installés.
En guise de clin d'il, nous remarquerons que le roi, certainement
horrifié par le sacrifice quotidien de son cher petit chat roux a
décidé, pour la dernière, de le laisser vivre. La porte
est donc restée fermée, le petit chat ne s'est pas enfui, il
ne s'est pas fait écraser et a donc survécu à son
maître. Les amis des chats apprécieront et les spectateurs attentifs
regretteront quelques répliques cinglantes.
Un dernier coup de griffe de la part du petit chat roux, profondément
choqué par ce spectateur qui, au moment où, progressivement,
le noir se fait, troque la minute de silence nécessaire devant la
mort d'un roi, contre des applaudissements aussi intempestifs que
frénétiques et gâche le moment subtil où
s'échappe l'âme de Bérenger.
B&D le 10/01/05
voir également
Chronique de
Theothea