Face à une soeur bigote (Hélène Surgère),
un psychiatre conventionnel (Féodor Atkine), un curé fantasque
(Nicolas Raccah), Le Caïman va être confronté à
ses démons durant une nuit entière où l'épouse
tentera de recadrer leur relation dans une perspective amoureuse et
intellectuelle.
En effet tiraillé entre un fervent catholicisme de jeunesse et
une conceptualisation professionnelle du marxisme, le professeur de l'Ecole
Normale sentira vaciller ses convictions au point de renier l'ensemble de
son oeuvre philosophique inspirée sous l'emprise du militantisme de
sa femme.
C'est d'ailleurs du point de vue féminin que s'avance la pièce
d'Antoine Rault montrant que, dès leur première rencontre,
l'amour exclusif de la dame pour le maître à penser fut à
l'origine d'une union qu'elle imposa aux deux partenaires.
Difficile de savoir en ces heures de dénouement fatal, si la psychose
maniaco-dépressive va délier les langues au point de faire
éclater le malentendu initial de leur vécu partagé,
ou si au contraire la maladie mentale cache irrémédiablement
à l'un des protagonistes ce que l'autre membre du couple perçoit
encore de leur passion commune et créatrice de jadis.
Alors que Claude Rich semble jubiler en planant sur un vaste nuage flou
d'où il se complaît à induire la confusion, le doute
et le paradoxe, pendant ce temps Christiane Cohendy travaille la substance
conjugale en se coltinant avec la réalité brute.
Ainsi en temps réel, leurs proches vont assister à la
destruction inéluctable du couple qu'enfonce toujours davantage, dans
les profondeurs obscures, chacune des bouées du pragmatisme lancées
en vain sauvetage.
Les soubresauts de violence entrecoupés de plages de béatitude
ne sauraient tromper les cycles de plus en plus rapprochés du lent
processus de dégénérescence psychique.
A l'aube, tous les garde-fous auront cédé les uns après
les autres; ainsi c'est dans une fiévreuse danse au corps à
corps qu'Hélène donnera l'ultime gage de complicité
en donnant le signal du passage à l'acte: " Tu en as le courage !...
"... avant que de tomber à terre définitivement
étranglée.
De Marie-Trintignant à Louis Althusser, seuls les masques de la
notoriété pourraient faire croire au simulacre accidentel,
car les enjeux d'un couple en rupture n'appartiennent de facto qu'à
lui-même, fût-ce à son insu!...
Bien entendu l'auteur n'apporte aucune clé mais Claude Rich au
risque de choquer, ose déclarer son émotion face à l'atroce
beauté, à la pureté absolue de cet amour.
Ainsi le vertigineux décor en noir et blanc de Jean Hass
détermine sous les effets d'une intense luminosité signée
de Jean Kalman, l'évidence des affects dont la symbolique pourra
être mesurée à l'aune de l'empathie fictionnelle avec
la nuit du fameux crime de la rue d'Ulm en 1980.
Theothea le 16/12/05