A la manière des lectures autour de « Love
Letters » qui ont pu réunir auparavant, par exemple, Anouk
Aimée & Philippe Noiret ou encore Cristiana Reali & Francis
Huster, la mise en scène dAnne Kessler, orchestrant ici au
Théâtre de Paris le chassé-croisé dAnne
Loiret & Thierry Frémont, sappuie sur cette même
spécificité des regards qui jamais ne se rencontrent
le temps de la représentation.
Ainsi Mathilde, la cadre supérieure et Thibault, le médecin
urgentiste vont-ils, en cette journée du 20 mai qui, pourtant, a
été annoncée par une voyante comme celle dune
opportunité positive, se côtoyer, se frôler dans la grande
ville mais aussi signorer, tout empêtrés quils sont
dans leur cycle respectif de descente aux enfers.
Elle, étant devenue récemment la proie dun
harcèlement professionnel de son supérieur hiérarchique,
lui, déjà en marge dun amour distancié errant
à travers ses consultations médicales quotidiennes formatées,
tous deux pourraient peut-être trouver, sous une fortune bienveillante,
lâme sur qui, au-delà de lécoute
attentionnée, créerait le choc émotionnel salvateur.
Mais rien de tout cela dans le récit à deux voix
parallèles rapporté par Delphine de Vigan qui poursuit dans
son collimateur romanesque lindifférence
généralisée à tous les stades de la dépression
en action destructive.
Que cherche lauteur, si ce nest à nous montrer la face
cachée de lhyperréalisme existentiel propre à
notre époque outrancièrement individualiste ?
Que cherche ladaptatrice théâtrale, si ce nest
à rendre tangible le désarroi dêtres humains en
porte à faux avec leur milieu de vie au jour le jour ?
Que cherche la metteuse en scène, si ce nest à faire
vibrer, le plus sobrement possible, ces élans naturels du cur
que les deux protagonistes se sentent de plus en plus incapables dexprimer
à autrui et dont même ils se sentent contraints de réprimer
jusquà lespoir vain den retrouver la motivation
?
Que recherche le duo des superbes comédiens sur cette scène
de la salle Réjane, si ce nest lindicible satisfaction
de se renvoyer à distance dun jeu en miroir linvisible
balle que constituent les maux du désespoir pour tenter de les sauver
par les mots dune quête si peu existentielle ?
Elle, tout en retenue, distinguée et très calme, lui,
énergique mais désemparé par tant de misère
environnante, les voilà tous deux, Anne & Thierry, sur les rails
dune scénographie ingénieuse et faisant diversion, à
se répondre en échos par-delà les bouteilles à
la mer que ceux-ci ne cessent de sadresser à leur corps
défendant.
Une pièce qui se mérite dautant plus quelle
nécessite lacceptation implicite dun impossible happy
end
à moins que !
Theothea le 26/06/15