Instinctif cérébral par nature, Stanislas Nordey s’empare
du rôle de Baal à sa manière hors norme mais, bel et
bien, fidèle à lui-même.
C’est, en effet, toujours un régal que de voir débouler
sur scène l’acteur que l’on comprend à merveille
tant il articule et décompose les phrases en autant de missiles que
les oreilles subjuguées reçoivent comme un exercice de style
emphatique totalement maîtrisé.
Cependant une telle mécanique en dialectique avec elle-même
ne marquant jamais aucun arrêt sur pause, ses temps forts, fougueux
et déterminés pourraient à la longue donner
l’impression de se systématiser en boucle infinie alors que le
rôle titre omniprésent aurait comme seul et unique objectif
de jouir de tout et tout le temps sans autre projet de vie.
En outre, dans cette perspective nihiliste, le risque majeur pour Stanislas
Nordey serait de s’auto-plagier en une complaisance pouvant effectivement
finir par lasser le spectateur bienveillant !…
Mais quelles seraient alors les motivations à varier la palette
des sentiments et divers états d’âme éprouvés
de part et d’autre de la scène lorsque le jeune héros
Brechtien, s’exerçant en son second Baal version 1919, passerait
d’une étape à la suivante séquençant ainsi
un gigantesque road-trip au fin fond des forêts avec leurs auberges
servant de relais au réconfort des corps et des esprits en vagues
d’errance ?
L’escalade des plaisirs et forfaitures ne s’accroîtrait
en crescendo que si la pénombre scénique
délibérée offrait des évasions supplémentaires
sur des « horizons apaisés » mais pour cela il
faudrait que ces contrées imaginaires ne soient point hors sujet.
Ici, dans ce paysage de luxure et de transgression, tout est maléfice
sombre à franchir avec audace et sans tact de bon aloi.
C’est donc ainsi que l’anti-Quichotte, en présence opportune
de Ekart (Vincent Dissez), musicien et compagnon de traverse, se doit de
terrasser les moulins à paroles vaines s’efforçant de
le ramener à plus de civilités.
La mise en scène de Christine Letailleur lui a concocté
un parcours du combattant de 2H30 au sein d’une scénographie
pleine de mystères et vidéos luxuriantes à faire pâlir
tous les trains fantômes des fêtes foraines les mieux
équipées en machines à effroi et sensations oppressantes.
Tous ses partenaires de rencontre n’auront de cesse de rappeler ce
poète maudit aux vertus d’une humanité élémentaire
mais le délice d’être au ban de la société
est beaucoup plus enivrant lorsque rien ne vient contredire le plaisir
immédiat et sans concession apparaissant pourtant tellement plus
valorisant à celui qui parvient à y accéder à
son gré.
Stanislas Nordey est ici plus que jamais chef de bande mais, paradoxalement,
son Baal éponyme s’y exerce quasiment seul contre tous
jusqu’à l’assaut final qui le terrassera
définitivement.
Theothea le 25/04/17