Tout le problème de Martin serait de savoir sil faut persister
à regarder la vie comme la vache au bord de la voie ferrée
qui, elle, ne se lassera jamais de contempler les trains y circulant sans
fin à la manière dun spectacle sans cesse renouvelé
à lidentique.
Oui, mais voilà la vache, elle, nest point douée de
cet esprit critique qui devrait mettre sa mémoire en éveil
pour lui signifier le « déjà vu » et par
conséquent de passer « Open » à un autre
sujet détude.
Martin, lui, bien conscient de cet écueil se lance dans une diatribe
mémorable au bord de scène pour tenter davertir ses
contemporains ainsi que ses partenaires de jeu du danger quil y aurait
à se satisfaire du statu quo menant à prendre la vie
« en pleine figure » dans la négligence des leviers
de décision et sans jamais réagir.
Résultat de ce moment de grâce rhétorique
exécuté par lincomparable Daniel Russo, la salle du
Théâtre Edouard VII est pliée en deux
non parce
quelle ne reconnaîtrait pas la pertinence du propos tenu mais
uniquement parce quà ce moment de la pièce de Gérald
Sibleyras, les spectateurs commencent à comprendre qui est le bonhomme
« Martin ».
En effet, éminent historien, spécialisé dans la
période du Moyen-Âge, à qui vient dêtre
décerné le plus important prix célébrant annuellement
sa discipline, Martin en est paradoxalement désespéré
car il sest fortuitement aperçu que tous les lauréats
précédents avaient perdu la vie à la suite de
lobtention de cette récompense.
Terrassé par ce dilemme, Martin perçoit lapproche
de la remise du prix comme une calamité à laquelle sajoute
une instabilité conjugale contextuelle partagée par
lensemble de ses proches engagés dans un jeu de chaises musicales,
affectives et libidinales
au nom de la liberté sacrée
enfin recouvrée.
En fustigeant ainsi habilement ses contemporains, lauteur leur
prête des crédulités opportunes infinies qui, ici en
loccurrence, vont se cristalliser sur lusage symbolique du pendule
là où dautres auraient pu choisir, dans le même
esprit, celui de lhoroscope
pour parvenir à la même
consternation.
Les gens, mais qui sont donc les gens sinquiète Martin,
sembleraient laisser leurs existences happées par des considérations
plus irrationnelles les unes que les autres
et forcément, avec
un peu de distanciation, cela pourrait paraître dérisoire et
par conséquent très « drôle » pour
ceux qui, en spectateurs, assistent ainsi à la représentation
objectivée de ce modus vivendi consensuellement partagé.
Fabienne (Alysson Paradis) la compagne de Martin, Lucas (Lionel Abelanski)
son frère ainsi que Véronique (Anne Jacquemin) lépouse
de ce dernier joueront, tour à tour, la mouche du coche de manière
à pousser, de facto, lhistorien chercheur dans ses retranchements
contradictoires jusquau constat de limpasse subjective.
Restera désormais pour Martin à prononcer, le grand jour
venu, son discours de réception honorifique et il a bien lintention
de faire durer le plaisir puisquil serait censé concomitamment
dy signer sa condamnation à mort virtuelle !
« Ravaillac » sera convié au sein dune
magistrale et délirante démonstration, par labsurde,
de la force majeure que représente, pour la condition humaine, celle
de lespoir qui, jusque dans son infimité extrême, reste
le seul rempart indéfectible à celui de la survie
même
dans les pires configurations.
Armé de ce viatique, Martin pourrait encore, en phase ultime,
être touché par le mystère mystique de Marie (Alice Dessuant)
mais il sagit déjà dune autre
« récompense » par laquelle Bernard Murat signe
délibérément sa joyeuse mise en scène en
trompe-lil de la destinée.
Theothea le 10/04/17