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MADEMOISELLE CHANEL EN
HIVER
« Mademoiselle Chanel en hiver » Caroline
Silhol & le glamour au Théâtre de Passy
de Thierry Lassalle
mise en scène
Anne Bourgeois
avec
Caroline Silhol, Christophe
Barbier,
Emmanuel Lemire, Thomas Espinera, Bokai Xie & Lucie
Romain |
****
Théâtre de Passy
|
|
© LOT
Le rideau s'ouvre sur une silhouette impériale, élégamment
vêtue pantalons noirs, chemisier blanc, collier de perles iconique,
tout le style Chanel est concentré sur ce profil se détachant
sur une tapisserie ''art déco'' aux arabesques orangées et
or. La blonde Caroline Silhol portant perruque brune, très glamour,
le regard suspendu sur les volutes d'une cigarette est à s'y
méprendre, devant nos yeux ébahis, Mademoiselle Chanel en chair
et en os.
Sa pensive impassibilité sera soudainement interrompue par
l'arrivée impromptue du diplomate et écrivain Paul Morand qui,
pour l'heure, vient lui apprendre que leur ami commun, le poète Jean
Cocteau, a été arrêté et doit comparaître
devant le Comité d'Epuration.
Paul Morand rend visite régulièrement à la grande
dame de la mode dans le salon cossu d'un très chic hôtel à
Saint-Moritz en Suisse. Nous sommes en 1946 et tous deux sont exilés
sur les bords du lac Léman. Il est reproché à Paul Morand,
foncièrement antisémite, davoir été, durant
la guerre, pétainiste et collaborationniste ainsi quà
Gabrielle Chanel davoir entretenu une liaison avec Hans-Gunther von
Dincklage, officier allemand recherché comme criminel de guerre, ce
qui aurait menacé de lui attirer de graves ennuis si elle était
restée dans sa boutique de la rue Cambon à Paris.
Deux tempéraments qui se ressemblent, deux contemporains poussés
à lécart dun monde se retrouvent donc
régulièrement devant une tasse de thé servi par un
délicat et affable maître d'hôtel (Thomas Espinera) qui
veille à ce que rien ne manque à Coco Chanel. Cette dernière
s'ennuyant mortellement dans ce huis clos commence à dicter ses
mémoires que Paul Morand recueille soigneusement dans un carnet au
fil des séances.
Il la questionne et Coco Chanel raconte tel un kaléidoscope son
enfance, sa liaison avec Boy Capel, un homme providentiel qui a financé
son installation à la ''capitale'', ses relations avec Misia Sert
surnommée ''la reine de Paris'', ses amitiés prestigieuses
avec des artistes comme Picasso mais aussi sa solitude, voire sa marginalisation,
ce qui a fait son originalité, son aspect révolutionnaire dans
la couture. « C'est la solitude qui m'a trempé le caractère
que j'ai mauvais, bronzé l'âme que j'ai fière et le corps
que j'ai solide ». Personnalité difficile, irascible, tyrannique,
fermée et orgueilleuse, elle donne ses avis parfois à
l'emporte-pièce sur son métier, sur ses goûts. «
Sous la méchanceté, il y a la force, sous lorgueil, il
y a le goût de la réussite et la passion de la grandeur
».
Les dialogues sont très rythmés, parfois dune ironie
dévastatrice mais aussi empreints démotion et de
poésie. Ils reflètent létat desprit
tempétueux de la styliste en arrêt de travail forcé dans
cet écrin hôtelier. Désinvolte en apparence, elle bouillonne
littéralement de lintérieur.
A 63 ans, désuvrée pour la première fois, rongeant
son mors, elle ne digère pas d'être recluse, sans moyen de
créer ses modèles, elle qui se moque ouvertement des fanfreluches
et des robes excentriques aux motifs fleurs que portent les femmes, on dirait
qu'elles sont habillées avec des rideaux persifle-t-elle. Au cours
de ses confidences, elle se montre dune sévérité,
dun pessimisme absolu sur les qualités des femmes, elle
déclare qu'elle veut voir toutes ces dames en noir, sans doute
marquée par les deuils, les souffrances, les privations quelle
a constatés pendant la guerre.
En contrepoint, tout au long de la pièce, avec un même charme
aguicheur, Caroline Silhol offrira tout un défilé de tenues
chics et sobres qui ont fait la renommée de la célèbre
styliste, toujours dans ses couleurs de prédilection, le noir et le
blanc (costumes Jean-Daniel Vuillermoz).
Face au ton caustique et acéré de Mademoiselle, Paul Morand
a la répartie très aiguisée. Christophe Barbier le joue
avec beaucoup dhumour et de naturel, mélange d'intelligence
et de bassesse. Leur véritable complicité vieille de 25 ans
permet à Morand de répliquer avec aplomb à Chanel et
lui dire ses quatre vérités quand il trouve qu'elle
exagère.
Ces échanges parfois féroces, drôles, cruels, sans
concession sur la haute société cosmopolite qu'ils
fréquentent sinterrompent brutalement quand apparaît de
manière inopinée le baron allemand Von Dincklage dont Mademoiselle
était tombée amoureuse pendant l'Occupation. Fin du premier
acte.
Gabrielle semble à nouveau être attirée par cet homme
dont elle voulait chasser le souvenir encombrant. Un système de
décor amovible permet de glisser au second acte en basculant d'un
salon somptueux à une chambre à coucher toute teintée
de bleu à Lausanne où elle est allée retrouver cet ancien
amant interprété par Emmanuel Lemire qui, très à
laise en adoptant un curieux accent pour endosser le rôle d'un
nazi, cherche subtilement à montrer les failles de son personnage
follement épris. Ce deuxième acte s'achèvera par une
tentative de suicide du baron après des propos au vitriol lancés
par l'indomptable Coco. Après ce dramatique intermède, ils
ne se reverront plus et Von Dincklage se réfugiera à
Majorque.
Dans un décor très chic et intimiste mis en scène
avec une extrême finesse par Anne Bourgeois, Caroline Silhol incarne
la grande prêtresse de la mode avec beaucoup de panache et de
désinvolture. Toute la joute verbale déclamée avec ses
deux partenaires est brillamment écrite par Thierry Lassalle. Le texte
est inspiré des conversations restituées dans "L'allure de
Chanel" que Paul Morand, accédant bientôt à son insatiable
ambition dêtre élu à LAcadémie
Française, aura rédigé traçant ainsi le portrait
dune femme dorigine modeste qui sut imposer au milieu mondain
de Paris et du monde entier sa vision révolutionnaire du vêtement
féminin aux lignes épurées. Une distinction naturelle,
une signature inimitable
La classe incarnée sur la scène
de ladorable Théâtre de Passy.
CatS / Theothea le 30/01/23
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BERENICE
« Bérénice »
Carole Bouquet La Reine convoitée de La Scala
de Racine
mise en scène
Muriel Mayette-Holtz
avec
Carole Bouquet,
Frédérique
de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt &
Eve Perreur |
****
Théâtre de La Scala
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© Sophie Boulet
De Titus à Antiochus, La Reine de Judée embrasant, de par
son charisme séducteur, les deux prétendants pouvant paraître
a priori exclusifs lun de lautre, règne de facto sur ces
deux amoureux irrémédiablement transis jusquau point
paradoxal où ils pourraient dénier leurs assujettissements
respectifs en paraissant sen détacher virtuellement au nom des
grands principes que la considération de soi porterait très
haut sur léchelle de l'honneur.
Lun sous influence dictée par la raison détat,
lautre mené par une susceptibilité orgueilleuse hors
du commun seraient en mesure de laisser la place libre à leur
rivalité réciproque en tirant un trait définitif sur
leur idéal féminin conjoint de façon à pouvoir
conjurer la hantise de ne pas être à la hauteur de leurs sentiments
proclamés.
A ceci près que durant les cinq actes de la pièce de Racine
dont les alexandrins chantent les louanges du dépassement de soi au
profit dun amour éternel incommensurable dusse-t-il se retrancher
dans lombre de lAimée jusquà disparaître
de son paysage affectif, les deux conquérants nen finissent
pas de ressasser linanité de cette situation conjoncturelle
défavorable qui les empêcherait chacun daccéder
librement au pinacle de leur aspiration amoureuse.
Lun est empereur de Rome, lautre Roi de Commagène,
le premier na pas conscience dêtre jalousé par le
second qui, lui, ne supporterait pas lidée dêtre
relégué au rang doutsider par Bérénice
qui, elle-même, ne jure que par sa dévotion au souverain romain
pleinement envoûté par ladoration absolue quil lui
porte en retour.
Mais voilà, en parallèle, il y a Rome et le peuple
complètement en phase avec Titus qui, redoutant son propre bannissement
politique, sinterdirait de la prendre pour épouse de façon
à ne pas devoir imposer à ses concitoyens la Reine de Judée
promue impératrice contre leur gré.
De son côté, même dans cette perspective qui lui serait
profitable, Antiochus ne pourrait se résoudre à tirer parti
opportunément de la situation dabandon en rase campagne
effectuée par son concurrent car, fatalement, il se reprocherait de
navoir constitué pour la souveraine quun plan B de mauvaise
fortune.
Bref, en se neutralisant respectivement et en assumant ni lun ni
lautre les conséquences de leur fascination sans limites, les
deux monarques finiront par provoquer tour à tour le courroux de la
Reine de Judée prenant dignement la décision définitive
de quitter ce royaume des soupirants tétanisés par leur propre
passion.
Selon la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz extrêmement
sobre et feutrée, la tragédie racinienne prend à La
Scala une tournure intimiste où Carole Bouquet brûlant dun
feu totalement intérieur développe son regard distancié
sur le comportement de ces deux galants tout en prenant dévidence
la mesure délicieuse de ce temps déchange en alexandrins
avec une immense délectation.
Cest dailleurs en pleine sérénité que
les cinq comédiens viennent recueillir les applaudissements des
spectateurs enchantés par cette ambitieuse et tellement dévorante
ode à lAmour
pouvant être fantasmée tel un
miroir métaphorique cinématographique
à limage
de « Jules et Jim » dépeints par François
Truffaut.
Theothea le 01/02/23
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ALBERT & CHARLIE
"Albert & Charlie" Einstein & Chaplin selon
Affinités électives au Théâtre
Montparnasse
de Olivier
Dutaillis
mise en scène
Christophe Lidon
avec
Daniel Russo, Jean-Pierre Lorit & Elisa
Benizio |
 ****
Théâtre Montparnasse
|
|
© Fabienne Rappeneau
Quand le rideau se lève, toute la scène est occupée
par le décor stupéfiant d'un appartement ceint d'un immense
tableau noir rempli à la craie de formules mathématiques dont
l'équation E= mc² ainsi que de figures géométriques,
telle une ellipse révélant l'antre d'un savant.
Une fenêtre haute laisse entrevoir un ciel fait d'étoiles
et une très grosse planète plane au-dessus du plateau comme
la projection mentale du maître du lieu. Ce décor symbolique
est l'uvre de Catherine Bluwal.
C'est dans l'intimité de cette pièce meublée
côté jardin d'un opulent bureau, côté cours d'un
piano sur lequel sont posées une partition de Schubert et une mappemonde,
que vont se confronter deux hommes de renommée internationale que
tout pourrait opposer en apparence :
D'un côté, Albert Einstein, hirsute, vêtu d'une veste
informe, assis derrière son bureau, maugréant sur l'état
du monde, lisant les journaux, les balançant rageusement au sol, de
l'autre Charlie Chaplin de 10 ans son cadet, cinéaste fringant, alerte,
venu lui rendre une première visite à l'Université de
Princeton. Nous sommes en 1938, les nouvelles du monde ne sont guère
réjouissantes
Tous deux sont exilés aux USA. Einstein est resté en Allemagne
jusqu'en 1933, date à laquelle Adolf Hitler a pris le pouvoir. Le
physicien a alors renoncé à sa citoyenneté allemande
et s'est installé aux États-Unis pour devenir professeur de
physique théorique. Il deviendra citoyen américain en 1940.
Point commun avec Chaplin qui vit à Beverly Hills, ce sont deux
pacifistes.
Ce dernier avait invité précédemment le physicien
et sa femme à découvrir en avant-première ''Les
Lumières de la ville'' à Los Angeles. Une photographie en noir
et blanc projetée montre les deux grands hommes côte à
côte en nud papillon.
Le prestigieux réalisateur vient retrouver Albert pour lui faire
part de son projet cinématographique, réaliser son 1er film
parlant en interprétant par le burlesque un personnage inspiré
du Führer, se mesurer à Hitler avec les armes du cinéma
en le tournant en dérision, traiter la tyrannie par le biais de la
satire et de la parodie.
Pour Albert, c'est absolument inconcevable de faire rire sur un tel sujet
et brocarder ainsi par le comique la barbarie menaçante.
Albert ne croyait pas à la force du cinéma comme arme de
guerre pour dénoncer la brutalité d'un régime totalitaire.
Pourtant, Charlie allait s'engager personnellement et combattre à
sa manière en faveur de l'idéal démocratique et de la
paix avec son film prémonitoire et génialement satirique ''le
Dictateur'' qui sortira sur les écrans en 1940.
Daniel Russo, tignasse blanche en bataille, est la parfaite illustration
du scientifique un peu fou, bougon, lunatique; Jean-Pierre Lorit, lui,
sest glissé dans la peau du cinéaste avec une grande
finesse et beaucoup d'élégance.
Lors de cette première rencontre, celui-ci caresse symboliquement
la mappemonde qui nous renvoie immédiatement, en miroir, la scène
danthologie dun ballon d'hélium figurant le globe terrestre
tournoyant entre les mains du dictateur hystérique sur une musique
de Wagner jusqu'à son explosion !
Outre leurs désaccords traités avec une bienveillance mutuelle,
on assiste à un face-à-face émaillé de saillies
percutantes :
« Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut
être que par erreur quils ont reçu un cerveau, une moelle
épinière leur suffirait amplement »
« Hitler et Charlot ont la même moustache. Je pense qu'Hitler
me l'a volée pour s'approprier la popularité de
Charlot...Voilà au moins un putsch qui a échoué!
»
« Le nationalisme est une maladie infantile. C'est la rougeole de
l'humanité ».
Entre les deux hommes, l'un nerveux et impulsif, l'autre flegmatique et
charmeur, s'interpose régulièrement Hélène, la
gouvernante, pour donner son avis ou pour calmer le jeu.
Celle-ci a un rapport presque filial avec Albert qu'elle surprotège,
elle lui est entièrement dévouée. Tel un chef d'orchestre,
elle dirige les choses, prête à interrompre la discussion si
celle-ci échauffe trop le Maître.
Avec un accent allemand plutôt cocasse, Elisa Benizio offre une
prestance bluffante en modelant un personnage haut en couleurs,
impressionné et émoustillé par Charlie qui lui jouera
une petite scène de pantomime la faisant rire aux éclats.
Actrice instinctive, Elisa nest pas sur scène sans fort
ressembler, par intermittences, à sa mère l'artiste et humoriste
Shirley alias Corinne Benizio (duo Shirley et Dino).
Après cette première entrevue immergée dans la
montée angoissante du nazisme, deux autres visites auront lieu, en
1947 lors de laprès-Seconde Guerre mondiale et en 1952 sur fond
de maccarthysme.
En 1947, ce sera au tour de Chaplin de marquer sa surprise, ne comprenant
pas qu'Albert Einstein ait pu écrire une lettre au président
Franklin D. Roosevelt afin de l'avertir que l'uranium pourrait être
utilisé pour une bombe atomique et contrer ainsi les avancées
de l'Allemagne nazie. Mais conscient du danger, il demandera, en vain par
la suite, au président américain de renoncer à l'arme
atomique, alors que ce projet en élaboration aboutira, hélas,
à l'utilisation de la bombe sur Hiroshima et Nagasaki. Le savant ne
cessera de regretter son initiative malheureuse.
Quant à Chaplin ses films sont boycottés, il est la cible
d'attaques répétées, une campagne de presse s'acharne
contre lui et il doit affronter une virulente « chasse aux sorcières
» anticommuniste.
En 1952, il décide de fuir les Etats-Unis avec sa dernière
épouse et ses enfants. Il rend visite pour la dernière fois
à Albert. Pourraient-ils encore se revoir ? Albert a 73 ans. Il
décèdera en 1955. Charlie, lui, part dans un premier temps
à Londres puis établira sa résidence permanente en Suisse
pour y couler une retraite paisible.
Ces entretiens aux envolées lyriques proposés par Olivier
Dutaillis permettent également dopposer deux approches
différentes du rapport à la vie.
Lun représente la science et le second la création
artistique. Ainsi Einstein dit à Chaplin : « Ce que jadmire
le plus dans votre art, cest son universalité. Vous ne dites
pas un mot, et pourtant, le monde entier vous comprend ». A quoi le
second rétorque « Cest vrai, mais votre gloire est plus
grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend?
».
Christophe Lidon assure une mise en scène rythmée, dynamique,
les échanges fusent sans aucune monotonie, entrecoupés par
les interventions intempestives et pittoresques de la pétulante
gouvernante à l'affût du moindre mot qui pourrait ''énerver
le professeur''.
Devant la gravité des évènements évoqués,
l'humour instillé par la direction dacteurs constitue, de fait,
linstrument pertinent, par excellence, pour cette création
théâtrale !
Cats / Theothea.com le 24/02/23
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EN ATTENDANT GODOT
"En attendant Godot" André Marcon & Gilles Privat
Le duo de Françon qui signe L'excellence.
de Samuel Beckett
mise en scène
Alain Françon
avec
Gilles Privat, André Marcon, Philippe Duquesne, Eric Berger
& Antoine
Heuillet
|
****
Théâtre La Scala
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|
© Thomas O'Brien
En proposant à La Scala la pièce de Beckett, Alain Françon
donne un accès direct et factuel à ce texte de 1948 où
les échanges verbaux se lisent aisément au premier degré
ou plus exactement à travers le prisme de la candeur.
Si donc Estragon et Vladimir attendent Godot, il n'y a aucune raison de
remettre en question leur décision commune... même si en prenant,
eux-mêmes, le risque de se lasser, il pourrait leur venir l'envie de
s'éloigner le plus possible de ce lieu, peu hospitalier, calculé
a minima dans les didascalies :
Un rocher à jardin ainsi quun arbre sec à cour et
voici donc le décor désormais planté jusqu'à
la fin des temps.
Bien qu'il ne s'agisse point à proprement parler de métaphysique
appliquée, André Marcon et Gilles Privat sont au taquet pour
effectuer cette partie de dualité tennistique où ils semblent
se renvoyer la balle avec une assiduité constante dans le rôle
spécifique qui leur est à chacun dévolu :
Cest-à-dire en dépressif fataliste pour Estragon et
en optimiste opiniâtre pour Vladimir, leurs échanges verbaux
pourraient ainsi durer ad vitam aeternam puisqu'ils apparaissent programmés
pour assurer leurs fonctions dans une récurrence infinie.
Qu'ils soient, par deux fois, interrompus par Pozzo et Lucky dans leur
débat méta-réaliste, importe peu en définitive
puisque, de fait, ils sont branchés sur pilote automatique.
Que le « jeune garçon » (Antoine Heuillet)
vienne leur répéter le même message dimportance,
également à deux reprises, cela ne changera guère davantage
l'ordonnancement de leur emploi du temps.
D'accord, ils ont compris que Godot ne viendra pas aujourd'hui mais ils
peuvent prendre leurs dispositions pour l'attendre demain. Ce ne sera donc
que partie remise.
Sans doute, seront-ils plus ou moins impactés par la relation
d'aliénation extrême exposée par le maître Pozzo
et l'esclave Lucky, mais passé leffet - dialectique
hégélien - de surprise, et puisquau demeurant, les humains
s'habituent à tout, ce tableau consternant sera plutôt perçu
par eux sous forme doriginalité burlesque plutôt que comme
injustice insupportable.
Bref au royaume de Didi et Gogo, tout s'enchaîne à merveille
jusqu'aux motifs de l'ennui sans cesse renouvelés rien que pour pouvoir
faire diversion.
Comme toujours concernant cette pièce, il faut de grandes pointures
pour assurer la crédibilité de ces personnages sortis tout
droit du réalisme le plus tangible.
André Marcon & Gilles Privat assurent avec une complicité
haut de gamme ce dialogue cadencé par Alain Françon à
la manière dun métronome qui, à certains moments,
s'emballerait juste pour le plaisir de mettre du piment dans cette vie
essentiellement réitérative.
C'est dans ce dessein que Pozzo, Philippe Duquesne et Lucky, Eric Berger
vont également collaborer en tant quêtres
télécommandés par leurs instincts de survie, l'un par
abus de pouvoir et l'autre par excès de soumission mais tous les deux
super focalisés dans la perfection du geste à réaliser.
Cette mise en scène sur fond d'écran où lune et nuit
noire se relaient parmi les nuages comme pour en signifier l'hyperréalisme,
garantit au mieux, à légard du spectateur, la lecture
de Samuel Beckett au plus proche des intentions de l'auteur... qui lui, sans
vergogne, ne craint pas de laisser, au final, ses personnages dans le même
état qu'il les avait accueillis au départ non sans affirmer,
par ailleurs, qu'il est définitivement quitte avec eux.
Voici donc, de fait, un grand moment de Théâtre à
part entière qu'Alain Françon aura su, de surcroît,
orchestrer avec belle distance humoristique.
Theothea, le 11/02/23
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DEVASTE-MOI
dramaturgie
Alexandra
Lazarescou
chorégraohie Yan Raballand
mise en scène
Johanny Bert
avec Emmanuelle
Laborit
The Delano Orchestra : Guillaume Bongiraud,
Dima Tsypkin, Yann Clavaizolle, Matthieu Lopez, Julien Quinet et Alexandre
Rochon
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****
International Visual
Théâtre
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