Les adieux magnifiques d’une
comédienne
La Comédie-Française compte désormais un nouveau
Sociétaire honoraire:
Catherine Samie
Elle faisait hier soir ses adieux à la troupe sous les lambris
même de la maison de Molière où elle est entrée
en 1956 après s’être formée auprès de Pierre Dux
et Béatrix Dussane, en un temps où les pensionnaires
n’avaient pas le droit d’emprunter l’ascenseur réservé aux
plus anciens, avant d’être élue sociétaire en 1962 et
doyen en 1989. Une longévité qui est aussi une manière
de record.
Ce fut une soirée exceptionnelle dont elle était la
première spectatrice, assise au centre dans un fauteuil du premier
rang, une représentation unique à guichets fermés,
réservée à ses amis de la
grande-famille-du-théâtre comme on dit par dérision mais
non sans émotion, et à quelques autres.
Pas de discours mais des cadeaux. Des présences, des sourires et
l’énergie des comédiens et techniciens du Français
coalisés en un complot amical afin de rendre justice à son
immense talent, à sa disponibilité, à son rayonnement
et à sa générosité.
La troupe lui avait mitonné un programme aux petits oignons plein
d’hommages et de clins d’oeil. Tous s’y étaient mis à la bonne
franquette pour créer une ambiance de fête. Seuls restaient
en permanence sur la scène un trio de musiciens (piano, violon,
violoncelle) et le buste de Molière.
Les autres n’ont cessé d’aller et venir pour jouer de manière
plus ou moins orthodoxe un texte plus ou moins fidèle au Bourgeois
Gentilhomme, à L’Avare, à Bérénice notamment
en commençant par les mots de Marguerite Duras pour donner le
“la”:
”Tu es la comédienne de théâtre,/ La splendeur
de l’âge du monde, Son accomplissement,/ L’immensité de sa
dernière délivrance. Tu as tout oublié sauf Savannah,/
Savannah Bay./ Savannah Bay c’est toi”
Ils ne se sont pas contentés de jouer par admiration pour elle,
ils la lui ont chantée aussi, s’essayant même aux figures de
ballet à nos risques et périls, entre deux scènes
décalées créées spécialement à
l’occasion de ce “Jubilé jubilant” conçu par Guy Zilberstein
et Anne Kessler.
Deux heures et demies durant, sans entracte, ils réussirent, presque
sans temps mort, à susciter le rire, le fou rire et l’émotion.
Tant d’énergies déployées pour crier l’admiration et
la gratitude de tous à une seule faisaient oublier l’espace d’une
soirée hors du temps les polémiques, affaires, rumeurs,
mesquineries et règlements de compte qui entachent de temps en temps
la réputation de la maison.
Les a-peu-près et l’improvisation faisaient partie du programme;
mais la comédienne qui chanta Lili Marlène en allemand le fit
avec une telle intensité et une telle justesse qu’on en pardonnait
à Michel Robin d’avoir peu avant oublié son texte.
On vit beaucoup de comédiens jouer des rôles de femmes avec
une jubilation communicative, de viriles marquises se battre en duel à
coup d’éventail, puis à l’épée enfin au nunchaku,
ce qui n’est pas une mince prouesse eu égard à l’encombrement
des robes du XVIIIème siècle. La démonstration de tous
les saluts possibles en fin de spectacle (fatigué, pressé,
stressé, amoureux etc) fut un autre grand moment.
Le ministre de la Culture, assis à la corbeille au même rang
que Lionel Jospin, Patrick de Carolis et Pierre Bergé, fut plusieurs
fois interpellé depuis la scène mais, pour une fois, pas pour
se faire engueuler. L’autodérision était de rigueur.
Dans un sketch désopilant de Denis Podalydès, celui-ci et
Guillaume Galienne jouèrent le passage du témoin d’un doyen
à l’autre : “Doyen, ça veut pas dire qu’on est vieille, ça
veut dire qu’on dure plus longtemps”.
A la fin, Catherine Samie monta sur scène pour embrasser tous ceux
qui lui avaient rendu un hommage si chaleureux. La salle debout lui fit une
ovation d’une demie-heure. La musique aidant, rayonnante comma jamais, la
reine d’une nuit se mit à danser avec force déhanchements,
moulée dans son robe fuseau en velours noir.
Les applaudissements ne s’interrompirent que pour la laisser dire
“C’est magnifique !”, son tic de langage que son double sur scène
n’avait cessé d’égrener pendant tout le spectacle. Elle
n’arrivait pas à quitter la scène, allant des deux
côtés de la haie d’honneur des comédiens qui battaient
la mesure, face à un public qui ne voulait pas s’en aller non plus
alors que minuit pointait.
Tous ses rôles semblaient alors se superposer sur sa silhouette,
elle qui avait tout joué, elle qui avait été Madame
Argante et Tante Julie, Aminte et Cléonice, Lisette et soeur Julie,
Hippolyte et la reine Elisabeth, Frosine et Marceline, le Coryphée
et Winnie, Bélise et Canope et la mère qui nous hante encore
dans La dernière lettre de Vassili Grossman, elle a été
tout ça alors que le conservatoire lui prédisait un avenir
d’éternelle soubrette pour avoir été une excellente
Dorine le jours du concours.
Catherine Samie regarda une dernière fois la salle Richelieu de
cette maison où elle était entrée il y a exactement
un demi-siècle. Puis elle s’approcha du buste sur le devant de la
scène. Le silence se fit naturellement de part et d’autre de la rampe
tandis qu’elle le caressait en murmurant de son inoubliable voix chaude et
rauque “Merci, Molière !”
par Pierre
Assouline le 04/01/06 - La
république des livres
Liens vers autres articles de presse concernant
ce "Jubilé jubilant":
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La comédienne Catherine Samie quitte la
Comédie-Française sur un jubilé par Martine
Silber ( Le Monde )
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La troupe lui offre un jubilé jubilant par
Armelle Héliot ( Le Figaro )
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Pour saluer la grande Catherine par Armelle
Héliot ( Le Figaro )